Esprit critique, transmission de connaissances et apprentissages de savoir-faire dans l’enseignement de la philosophie dans le secondaire.

 

L’enseignement de la philosophie dans le secondaire doit-il  se donner pour objectif la transmission de connaissance ou l’apprentissage de savoir-faire?

 

L’esprit critique et l’intuition d’un contenu...

 

On associe bien souvent l’enseignement de la philosophie dans le secondaire à l’objectif du développement de l’esprit critique chez les élèves et de leur capacité de réflexion. Ce qui est requis d’eux, c’est l’acte de philosopher et non l’apprentissage de l’histoire de la philosophie. Ainsi, les programmes sont organisés autour de notions, et l’usage de références philosophiques n’est pas une condition sine qua non de la réussite à l’épreuve du baccalauréat.

 

De même, si l’épreuve de philosophie reste liée pour partie à la dissertation - exercice qui est perçu extérieurement comme impliquant des exigences formelles très importantes -, l’accent n’est pas mis sur l’objectivation et la formalisation de ces exigences. Ce qui prime, c’est la diversité des méthodes philosophiques. Du côté des exercices formels tels que la dissertation, ils sont bien souvent maîtrisés par les professeurs sur le mode de l’intuition comme l’explique justement Alexandre Georgondas: “On demande à l'élève de problématiser un texte ou un sujet, sans lui expliquer, la plupart du temps, ce que l'on entend au juste par problématique. Au mieux lui propose-t-on des formules absconses du type: "c'est la question de la question". Force est de constater que rares sont les enseignants qui définissent avec précision ce terme, et pourtant tous s'entendent pour considérer qu'il s'agit d'une étape décisive dans la construction d'un devoir. En fait, la plupart d'entre eux n'en ont qu'une saisie intuitive, mais se révèlent incapables, à l'usage, d'en décrire le fonctionnement”. (“Qu’est-ce qu’une problématique ?”, Diotime, n°41, 2009). De manière générale, les exercices ne sont pas enseignés en eux-mêmes, mais toujours en lien avec un contenu. Le présupposé est qu’une forme vide ne saurait nourrir une réflexion sans l’intuition d’un contenu.

 

Le programme officiel de la philosophie en classe de terminale précise également qu’il s’agit d’offrir aux élèves une “culture philosophique initiale”. Il est d’ailleurs intéressant de constater bien souvent que les enseignants de philosophie font consister en grande partie leur cours dans cette transmission de connaissances, étant donné que la forme pédagogique privilégiée est la leçon. Cela paraît d’autant mieux accepté en philosophie que les connaissances qui sont transmises n’apparaissent pas susceptibles d'obsolescence contrairement à d’autres matières: c’est la philosophia perennis, la philosophie éternelle.

 

 

Des théories de la connaissance implicite

 

La vision classique de l’enseignement de la philosophie semble osciller entre une vision idéaliste intuitionniste et un idéalisme critique.

 

La conception intuitionniste consiste à attendre que l’élève, par une vision intellectuelle, comprenne à la fois le contenu et la manière de faire la dissertation. L’élève doit, en écoutant le professeur, qui est alors le modèle, comprendre ce qu’est l’acte de philosopher, l’esprit critique. Il prouve par là son intelligence. Ceux qui n’y parviennent pas montrent qu’ils ne sont pas capables de s’élever au savoir philosophique.

 

L’approche qui associe forme et contenu peut-être qualifiée d’idéalisme critique. Elle rejoint ce qu’énonce Kant au sujet des conditions de possibilité de la connaissance : "Des pensées sans contenusont vides, des intuitions sans concepts, aveugles." La pensée a besoin certes d’une forme rationnelle, mais elle suppose également des intuitions tirées de l’expérience. La condition de possibilité de l’esprit critique se trouve donc dans une réflexion rationnelle sur une matière.

 

En revanche, pour un pédagogue tel que Dewey, l’intelligence ne consiste pas dans la mise en oeuvre de structures a priori de l’entendement à une matière (c’est-à-dire un contenu), pour la simple raison qu’il n’y pas pour les pragmatistes de catégories transcendantales a priori qui structurent l’entendement. Pour les pragmatistes, l’intelligence est la capacité des êtres humains à construire des instruments en vue d’agir de manière efficace sur leur environnement. C’est la définition qu’en donne Bergson dans l’Elan vital. L’intelligence consiste à construire des catégories générales qui permettent d’organiser le réel et à les utiliser.

 

Dans ce cas, la pédagogie consiste à fournir de tels instruments aux élèves et à les exercer à les utiliser. Elle peut consister, au-delà, à leur montrer comment ces instruments sont construits et comment l’on peut construire soi-même des instruments pour agir dans l’existence en fonction de notre utilité vitale. Cette dernière opération est susceptible de développer l’esprit critique des élèves en leur montrant que les catégories que nous utilisons pour penser ne sont pas données a priori, mais sont construites en fonction de certaines finalités. Cela les conduit à avoir une réflexion sur le caractère construit, et non réaliste de ces catégories, et d’interroger leurs finalités idéologiques.