Les analyses du social en termes d’intersectionnalité (postmoderne) ou d’articulation des rapports sociaux (matérialiste) effectuent une complexification du social par rapport à l’analyse des rapports sociaux du XIXe (Proudhon, Marx…). En effet, la société ne constitue plus en quelque sorte un monde bipolaire, mais multipolaire. Elle se trouve traversée par différents antagonismes dont l’un n’apparaît pas comme plus fondamental que les autres.

 

Intersectionnalité postmoderne et consubstantialité des rapports sociaux

 

            Une première difficulté que pose ses approches consiste dans la détermination du contenu et du nombre de rapports sociaux. Il existe deux approches possibles. Soit il s’agit de déterminer un nombre invariant, transhistorique de rapports sociaux, soit l’existence de ces rapports sociaux est déterminée, par induction, en étudiant des situations concrètes. Dans le cas d’une sociologie des mouvements sociaux, il est possible en suivant la seconde méthodologie de s’appuyer sur l’étude des forces militantes en présence dans une situation donnée.

            L’approche intersectionnelle considère que la pluralité des rapports sociaux est irréductible rendant de ce fait problèmatique toute forme d’alliances entre subalternes.

            En revanche, l’analyse en termes d’articulation des rapports sociaux suppose qu’au-delà de l’apparente pluralité de ces rapports, ceux-ci forment système. Par conséquent, les subalternes auraient intérêt à s’allier pour combattre les dominations dont ils sont victimes. Le présupposé est ici alors qu’il n’est pas possible de détruire une partie du système sans s’attaquer à toutes les autres également. Le capitalisme ne serait pas la base qui conduirait à faire disparaître l’ensemble du système. Néanmoins, il est possible de discuter le problème de savoir si on peut parvenir à faire disparaître une oppression en laissant se maintenir les autres.

            Le problème qui se pose alors dans la pratique est la capacité pour chaque groupe opprimé de maintenir son autonomie de décision et ses objectifs stratégiques tout en faisant alliance avec d’autres groupes.

 

Une pluralité des stratégies militantes d’organisation :

 

            Face à la complexité du social qu’impliquent ce type d’analyse, les stratégies organisationnelles des militantes sont diverses :

 

- Stratégie A :Les militantes peuvent se regrouper sur la base d’une unité de leur condition de classe : Par exemple, l’organisation ne comprend que des femmes lesbiennes racisées.

La visée d’une telle stratégie, c’est de limiter les controverses en partant d’une homogénéité de conditions sociales. La limite c’est le caractère numériquement limitée de ces organisations. Celles-ci doivent dont tente alors de chercher des alliées extérieures. Mais leur poids numérique risque de restreindre leur capacité à peser sur la coalition. (ex : Combahee river collective)

 

- Stratégie B : Les militantes crée une organisation qui défend l’articulation des rapports sociaux, mais celle-ci admet en son sein des individus qui ne sont pas tous nécessairement opprimés par l’ensemble de ces rapports sociaux. (Ex : le PIR – Parti des indigènes de la République)

L’avantage par rapport à la solution précédente est de pouvoir massifier l’organisation et de lui fournir davantage de moyens de peser en externe.

Le risque est que certaines militantes considèrent être opprimées par d’autres minorités de l’organisation. Par exemple, des femmes racisées, comme ce fut le cas chez les Blacks panthers, peuvent considérer qu’en définitive les orientations de l’organisation où elles sont minoritaires par rapport aux hommes ne prennent pas assez en compte leur point de vue situé.

 

- Stratégie C : Les militantes intègrent une organisation de masse et essaient de peser en interne sur ces orientations par exemple en s’investissant au sein des commissions anti-racistes ou féministes de ces organisations. La difficulté de cette stratégie est de ne pas réussir à peser sur les orientations de l’organisation et de se trouver invisibiliser au sein de l’organisation.

 

Une stratégie organisationnelle qui conditionne la stratégie d’intervention militante :  

 

Stratégie A : Le caractère groupusculaire de l’organisation oriente l’activité militante autour de deux pôles : soit la réflexion théorique qui nécessite peu de militantes, soit la recherche d’alliées pour pouvoir agir.

 

Stratégie B : Les formes d’actions peuvent être plus diversifiées. L’organisation peut atteindre la masse critique lui permettant d’agir seule en ayant une certaine visibilité dans l’espace public. Néanmoins, l’énergie peut être polarisée par des débats internes liés à la plus grande hétérogénéité des militants.

 

Stratégie C : L’organisation possède la capacité d’agir de manière autonome dans l’espace public. Les militantes possèdent donc de fait la possibilité de s’inscrire dans un certain nombre d’action. Néanmoins, leur énergie peut être en grande partie polarisée par la tentative de convaincre les autres membre de l’organisation du bien fondé de leurs orientations sans y parvenir.

 

Multiplicité des rapports de force et complexité des alliances :

 

La difficulté qui se trouve soulevée du point de vue stratégique par la mise en valeur d’une multiplicité des rapports sociaux vient du fait que les rapports sociaux ne traversent pas uniquement la société elle-même, mais les organisations militantes. Se pose alors la difficulté de s’allier avec des individus qui par ailleurs exercent également une domination sociale sur soi.

 

On peut constater que la configuration la plus simple, c’est celle qui consiste à identifier un ennemi qui représente l’ensemble des dominations. C’est pourquoi l’affaire Nafissatou Diallo contre DSK a pu représenter une situation paradigmatique pour cette mouvance militante. En effet, DSK apparaît comme concentrant les privilèges de classe, de race et de sexe. C’est cela qui devient la contradiction la plus claire, voire la contradiction principale. Pour qu’il y ait une alliance possible, il semble que les autres contradictions doivent être secondarisées au risque de l’éclatement soit des organisations militantes, soit des alliances.

             Pour qu’il y ait alliance, il faut sans doutes qu’en fonction des rapports de force, les subalternes acceptent d’effectuer des compromis stratégiques entre eux. En effet, si on s’en tient à une analyse matérialiste réductionniste, un individu n’acceptera d’effectuer un compromis que s’il y a un intérêt matériel et si pour l’obtenir un rapport de force l’y contraint.

            Il est ainsi sans doute nécessaire que chaque groupe subalterne possède un espace d’autonomie dans lequel il élabore ses analyses, ses revendications et ses stratégies propres et des espaces où chacun confronte ces objectifs stratégiques et élabore une stratégie commune.

            Il faut en outre supposer que les conditions dans lesquelles s’élaborent les stratégies communes puissent en garantir la légitimité du point de vue de l’ensemble des subalternes.