Deuxième partie:
IV- La sociologie positiviste de Durkheim et la légitimation de l’Etat républicain
On tend à opposer dans le champ philosophique de la IIIe République d’un côté un courant spiritualiste, dominant, et de l’autre un courant positiviste. Pourtant, comme le montre l’examen de la sociologie positiviste de Durkheim, il existe néanmoins un certain nombre de points communs entre ces deux courants dans le type de justifications qu’ils apportent à l’Etat républicain.
Une des principales oppositions entre la philosophie spiritualiste et la sociologie positiviste réside dans le statut de la conscience individuelle. Les deux courants accordent une place tout à fait centrale à la conscience. Mais alors que la conscience pour le spiritualisme est examinée au niveau du sujet individuel, elle est analysée par la sociologie positiviste au niveau de sa production sociale.
Néanmoins, cette différence d’échelle n’est pas un obstacle à l’établissement d’homologies structurales dans la constitution d’une théorie de l’Etat républicain. En effet, Platon dans La République a posé l’hypothèse d’une homologie entre l’esprit individuel et la société. Ainsi comme on l’a vu Rousseau fournit à la tradition philosophique intellectualiste, s’appuyant sur Descartes et Kant, une théorie politique, au prix néanmoins d’une lecture rationaliste de la volonté générale, qui devient une volonté générale rationnelle.
De son côté, Durkheim opère le mouvement inverse puisqu’il transpose au niveau de la société, les catégories de la psychologie individuelle. La société se voit dotée d’une conscience. L’Etat constitue l’intelligence organisatrice de la société permettant de coordonner les activités et d’éviter que les intérêts individuels divergeants ne finissent par la détruire. Les relations sociales sont à même d’établir des obligations morales....
La sociologie a une fonction politique. Le sociologue produit une connaissance des lois sociales, ce qui permet à l’homme politique de prendre une décision politique qui a la forme d’un jugement rationnel. Ce n’est pas l’action qui doit être au principe de la politique, mais la réflexion intellectuelle.
Bibliographie de Durkheim:
De la division du travail social
“L’Etat”
Cours sur le pragmatisme
Les structures élémentaires de la vie religieuse
Les règles de la méthode sociologique
V- La critique de l’Etat républicain par les philosophes de la nouvelle école
Les philosophes syndicalistes révolutionnaires de la nouvelle école, en particulier Edouard Berth, effectuent une critique de l’Etat républicain. La caractéristique de cette critique est son anti-intellectualisme.
L’intellectualisme consiste à appliquer un modèle issu de la réflexion intellectuelle à la société. Le premier niveau de la critique vise les philosophes et les sociologues universitaires qui du haut de leurs chaires proposent des théories abstraites aux hommes politiques.
Le second niveau de la critique porte sur les hommes politiques. Ces derniers appliquent ces modèles abstraits au corps vivant que constitue la société au moyen de l’appareil d’Etat.
Cette critique de l’action politique étatique comporte plusieurs éléments. L’action étatique est transcendante à la société à la différence de la gestion syndicale qui serait immanente à la vie sociale. L’action étatique applique un modèle mécaniste abstrait à la vie sociale.
Néanmoins, l’anti-intellectualisme n’est pas un irrationalisme. Il ne consiste pas à condamner toute forme de science et de rationalité, mais la méthode intellectualiste. Deux confusions sont critiquées. La première est celle qui consiste à considérer que le modèle mécaniste correspond à la réalité alors qu’il n’est qu’un modèle ayant une portée instrumentale.
Seconde critique, elle consiste à confondre méthode intellectualiste et méthode scientifique. Il est possible d’établir une connaissance rationnelle du réel en partant de l’action, de l’expérimentation.
VI- Les pédagogies nouvelles et l’idéologie républicaine
Implicitement les pédagogies nouvelles, qui insistent par exemple sur le fait de faire de l’école une petite démocratie ou qui partent de méthodes inductives, remettent en cause les implicites philosophiques de légitimation de l’Etat républicain.
La légitimité de la loi dans le modèle républicain ne provient pas du fait qu’elle est discutée ou qu’elle a été établie à partir de l’expérimentation. La loi républicaine trouve sa légitimité dans la transcendance de l’Etat tout comme traditionnellement le savoir de l’enseignant trouvait sa légitimité dans l’autorité, issue de la légalité rationnelle bureaucratique de l’Etat. La transmission du savoir s’effectue alors par une méthode intellectualiste.
La place accordée en France, dans l’enseignement des sciences, à l’épistémologie bachelardienne est significative là aussi. La méthode scientifique ne part pas de l’expérimentation, mais de la théorie. L’expérience scientifique est une théorie matérialisée.
VII- La rationalité technocratique néo-libérale et la rationalité de l’Etat Républicain français.
La deuxième gauche rocardienne modernisatrice tenante d’une critique de la bureaucratie est également opposée au jacobinisme centralisateur de la tradition républicaine française.
La critique de la bureaucratie est portée en France à la fois par les milieux issus de la nouvelle gauche et par les milieux néo-libéraux. Le courant de la deuxième gauche et les néo-libéraux finissent par converger dans une conception technocratique de la modernisation de l’Etat alors que dans les années 1970, la nouvelle gauche avait défendue une conception autogestionnaire.
L’introduction de modes de gestion issus des logiques néo-managériales néo-libérales modifient profondément la logique de rationalité sur laquelle s’était construit l’Etat républicain français, expliquant les résistances que ces formes de rationalité néo-managériales peuvent impliquer de la part de fonctionnaires dont l’ethos est celui du type administratif bureaucratique décrit par Weber.
La logique structurale de ces nouvelles formes de rationalité technocratiques néo-libérales ne sont pas celles du spiritualisme rationaliste, mais se rapprochent plutôt de la logique utilitariste benthamienne. Ce qui devient prépondérant dans ces modes de gestion, ce sont les procédures d’évaluation et de contrôle de ce qui est produit sous la forme d’une rationalité calculante sur la base d’une anthropologie du vivant (et non plus d’une anthropologie dualiste), rendant ainsi possible comme l’a montré Foucault, une bio-politique.
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