Il s'agit ici de lever un malentendu, voire un contresens, sur ce que l'on désigne par pédagogie libertaire. En effet, sous ce vocable, on désigne généralement deux courants de l'histoire de la pédagogie qui n'ont en réalité pas les mêmes origines et fondement théoriques.
Des pédagogies valorisant la spontanéité créatrice de l'enfant ?
Pour le grand public, à travers les médias, les pédagogies libertaires désigneraient un ensemble de méthodes pédagogiques introduites dans l'Éducation nationale à la faveur de la critique anti-autoritaire initiée par Mai 68. Ces pédagogies se caractériseraient par la remise en cause de l'autorité de l'enseignant, le refus de la transmission de savoirs constitués, et la valorisation de la spontanéité créatrice de l'enfant, qui se trouve mis au coeur du système éducatif.
Sous cette notion de pédagogies libertaires, aussi bien auprès du grand public que dans la plupart des ouvrages de pédagogie, on classe les expériences des Enfants de Summerhill ou, par exemple, la pédagogie non-directive de Carl Rogers.
En réalité, ces pédagogies ne constituent pas ce que l'on désigne historiquement sous le nom de pédagogies libertaires, qui renvoient au mouvement socialiste anti-autoritaire.
Des pédagogies issues du mouvement ouvrier anti-autoritaire
La notion de libertaire est apparue sous la plume de l'anarchiste Jospeh Dejacques au XIXe siècle. Cette notion est à ses débuts strictement synonyme d'anarchiste. Le premier auteur à utiliser de manière positive la notion d'anarchie pour désigner sa théorie politique est le penseur socialiste Pierre Joseph Proudhon.
Ce dernier accorde une place tout à fait spécifique à la question de l'éducation. En particulier, il prône une forme d'éducation polytechnique, qui remet en question la division entre travail manuel et travail intellectuel, dont le modèle est pour lui l'ingénieur.
Cette option éducative s'explique par la place que Proudhon accorde à la notion de travail. En effet, il s'oppose à ce qu'il considère comme une conception idéaliste des rapports entre travail manuel et activité intellectuelle, qui aurait pour lui sa source dans une division sociale inégalitaire. La dévalorisation du travail en général, et du travail manuel en particulier, viendrait d'une organisation sociale dans laquelle les classes supérieures ne travaillent pas : aristocratie et clergé. En outre, la dévalorisation du travail renverrait à une dévalorisation, issue de la religion, du corps par rapport à l'esprit.
Dans une telle conception de l'éducation, ce qui se trouve à la base, c'est le travail manuel. Car ce n'est qu'à partir du travail manuel que l'apprenti est ensuite capable de s'élever vers une maîtrise plus intellectuelle de son travail.
L'éducation intégrale
La Première Internationale adopte, sous l'influence du pédagogue anarchiste Paul Robin, l'idéal d'une éducation intégrale. Cette éducation intégrale ne vise pas à faire des ouvriers des savants universels, mais à développer chez les enfants l'ensemble des aptitudes de leur être : à la fois physique, intellectuel et moral.
La seconde caractéristique de cette éducation intégrale, c'est qu'elle doit favoriser la vie sociale. Les enfants doivent y expérimenter la constitution collective de règles autonomes par lesquelles ils organisent leur vie sociale.
Les écoles libertaires de la fin du XIXe et du début du XXe siècle se veulent alors des lieux où se forment et s'expérimentent les pratiques d'organisation par les individus de la future société socialiste.
Pédagogies non-directives, travail et démocratie
Il y a donc une confusion entre deux conceptions de la pédagogie sous le terme libertaire.
Une première conception, non-directive, vise à valoriser la spontanéité de l'enfant, à partir de son désir et de son plaisir. La pédagogie devrait alors prendre pour modèle le jeu: l'enfant pourrait apprendre en jouant. Mais ce que vise l'éducation avant tout, ce n'est pas la transmission d'un savoir, c'est le développement de l'authenticité du sujet: apprendre à être soi-même, être une personnalité épanouie. L'éducation devrait favoriser l'expression des aptitudes singulières de l'enfant.
Une seconde conception part de la spontanéité également de l'enfant, de son intérêt et donc de son désir, mais elle ne vise pas à identifier spontanéité et liberté, mais autonomie démocratique et liberté. L'enfant doit apprendre par l'expérience de la vie sociale à l'école à respecter des règles collectives de vie qu'il a lui même contribué à élaborer. L'enfant n'est pas perçu comme naturellement paresseux, mais comme ayant une activité spontanée. Néanmoins, la pédagogie ne recherche par son modèle dans le jeu, mais dans le travail, en remettant en cause la division entre travail manuel et intellectuel.
Écrire commentaire
nyx (mercredi, 06 décembre 2017 18:09)
Je ne comprends pas cette distinction, surtout pour Summerhill , dans cette école, il n'y a pas que le jeu, il y a des cours qui servent à développer les capacités intellectuelles, il y a des cours qui permettent aux jeunes de se développés à travers le jeu, il y a des cours qui servent à développé l'intelligence corporelle, et il y aussi des cours qui servent à développer l'intelligence manuelle et qui prépare à un vrai métier.
Donc rien que cette école réunit vos deux distinctions.