Pédagogies actives et néo-management

 

Il ne s’agit pas dans ce texte d’effectuer une critique en soi des pédagogies actives qui peuvent être des vectrices d’émancipation. Il s’agit plutôt d’analyser comment le nouvel esprit du capitalisme peut utiliser à son profit ces méthodes pédagogiques dans les logiques entrepreneuriales qui sont les siennes.

En effet, le capitalisme a changé dans ses méthodes. Il ne demande plus nécessairement les mêmes savoir-faire et savoir-être aux salariés. Il faut savoir s’adapter, avoir l’esprit d’initiative, être autonome...Les pédagogies traditionnelles ne sont plus adéquat pour fabriquer ce type de salarié. Pour cela, les pédagogies actives semblent plus en phase...

 

Partir du désir de l’apprenant: C’est partir de son intérêt, de ce qui l'intéresse. Mais utiliser des techniques pour capter le désir d’autrui,  c’est également pouvoir l’utiliser à son profit, pouvoir le manipuler en agissant sur ses motivations.

Ainsi, certains ouvrages de management s’appuient directement sur les techniques de persuasion développées en sciences de la communication (Voir par exemple: Bellenger Lionel, La force de persuasion)

 

Donner le choix: Proposer aux apprenants ce qu’ils désirent faire parmi une liste de possibilités, c’est les faire participer à leur formation. Mais cela peut également développer des attitudes de consommation. L’offre de formation se présente comme un étalage plus ou moins bien garni où l’on demande à l’enseignant ce qu’il a à proposer comme produits variés.

 

Autogestion pédagogique: Prônée par la pédagogie institutionnelle, il s’agit d’amener l’élève à discuter les règles et à lui apprendre que celle-ci ne sont que le produit de créations humaines qui peuvent être discutées. Les travaux de Kurt Lewin, sur la dynamique des groupes, avaient montré que le type de leader le plus efficace dans une entreprise, est le leader démocratique (par opposition au leader autoritaire et “laisser-faire”). Le management participatif s’appuie sur la thèse que les orientations d’une entreprise seront mieux appliquées, non pas si elles sont imposées par la contrainte, mais si elles s’appuient sur le consentement subjectif des employés. Il s’agit donc de les persuader, s’il le faut par le management persuasif (c’est à dire la manipulation).

 

Méthode inductive: Une méthode inductive peut être comprise de deux manières différentes. La première, c’est l’induction au sens empirique: il s’agit de partir des observations qu’ont pu effectuer les élèves, leurs demander de généraliser pour formuler une hypothèse à tester.

Mais cela peut être aussi guider l’apprenant vers un but que l’on a préalablement déterminé.  Dans ce cas, on se rapproche également des techniques de manipulation, d’induction. Ces techniques, on les retrouve reprises dans le management où il s’agit de faire adhérer les salariés aux buts de l’entreprise.

 

Travail en autonomie: Il s’agit de favoriser l’autonomie de l’individu, sa capacité à prendre des initiatives et son sens des responsabilités. Etre autonome, voilà également ce que demande le nouvel esprit du capitalisme où elle devient injonction à l’autonomie. Celui qui n’est pas jugé assez capable d’autonomie dans son travail, devient un poids mort dont il faut se débarrasser. Les études réalisées ont semble-t-il montré que les enfants qui réussissaient le mieux avec les pédagogies qui valorisaient l’autonomie étaient les enfants des classes moyennes: car cela correspondait à un ethos familial. En revanche, les enfants des classes populaires sembleraient encore plus désavantagés par ce type de pédagogies.

La capacité à s’auto-discipliner dans une salle de cours et à être autonome dans son travail sont nécessaires à acquérir pour réussir dans ce système. Mais elles constituent également des garanties que le futur salarié ait intériorisé et soit capable d’intérioriser les règles de la contrainte salariale.

Ainsi, les emplois d’exécutant, les moins qualifiés, sont le plus souvent soumis à des contrôles disciplinaires (du type de ceux décrits dans Surveiller et punir par Michel Foucault), alors que l’organisation de l’emploi du temps du cadre repose davantage sur l’autocontrôle. Ce point apparait par exemple dans les études menées sur la marge de manoeuvre dans l’usage des appareils de communication: restreint le plus souvent pour les exécutants, mis à libre disposition pour les cadres.

 

Pédagogie différenciée et individualisée: Il ne s’agit plus de s’adresser au groupe classe dans sa globalité, mais aux individus en particulier. En effet, tout le monde n’a pas les mêmes désirs, ni le même niveau. On retrouve ce même principe dans le nouveau management: l’individualisation des carrières, des rémunérations, de l’évaluation. Il s’agit de subjectiver chacun de manière à ce qu’il se perçoive comme un individu autonome.

 

Favoriser la créativité de l’enfant: Donner la possibilité à l’enfant de développer dans le système scolaire sa capacité de création. Voilà une compétence qui peut être appréciable dans le nouvel esprit du capitalisme où il s’agira d’être capable d’innover, de créer de nouveaux produits par exemple.

 

Objectifs: Comme il existe un management par objectif, il existe une pédagogie par objectif. Celle-ci découpe l'objectif pédagogique à atteindre en une sucession d'objectifs que l'élève doit réaliser pour réussir à maîtriser un ensemble complexe de savoirs et de savoirs-faire.

 

Projet: La notion de projet se trouve mobilisée dans le capitalisme par projet. Il s'agit de réaliser des projets qui doivent mobiliser la salariés tant dans leur désir que dans leurs compétences. La pédagogie du projet trouve son origine chez John Dewey: elle consiste à mobiliser l'intérêt de l'enfant autour d'un projet collectif qui lui permet d'apprendre en faisant. 

 

Compétences: ll ne s’agit plus, avant tout d’acquérir des connaissances, mais des compétences. D’une part, parce que la transmission de connaissance ne présage en rien de la capacité à les mettre en oeuvre. D’autre part, parce que bon nombre de connaissances sont conduites à devenir obsolète. Il devient plus important d’apprendre à apprendre que de savoir.

La notion de compétence est également utilisée par le management avec la gestion du capital humain. Il s’agit de gérer de la manière la plus rentable possible les employés. Néanmoins, certains spécialistes du travail, comme Christophe Dejours, critiquent les bilans de compétence en mettant en avant que le travail ne peut être évalué à partir de compétences, mais qu’il est une performance. On ne peut pas évaluer avant qu’il ne le fasse si quelqu’un est compétent pour faire tel ou tel chose: un médecin qui est compétent en France n’est peut être pas compétent pour faire de l’humanitaire en Afrique. Ce qui permet d’en juger, c’est sa performance réelle.

 

Conclusion:  Les changements et les innovations pédagogiques sont d’autant mieux acceptés dans l’institution qu’ils s’accordent avec les grandes orientations politiques. Depuis les années 1970, et face à la crise, les gouvernements successifs ont pensé permettre à la France de résister à la compétition internationale en s’orientant vers une économie tertiarisée, une économie de la connaissance, une économie de pointe à haute valeur ajoutée technologique. Les emplois d’exécutant dans l’industrie, il ne sert à rien de les conserver: ils sont voués à être délocalisés dans des régions du monde où le coût de la main d’oeuvre est moins cher. C’est le principe de la division du travail internationale reposant sur une spécialisation régionale.  Il s’agit alors de constituer une société de col blanc, d’aller vers une moyennisation de la société, reposant sur une grande classe moyenne de techniciens et de professions intellectuelles.

De son côté, l’Allemagne effectue d’autres choix: elle décide d’investir dans la formation professionnelle et d’avoir des travailleurs manuels hautement qualifié. Il s’agit alors de proposer une production industrielle se distinguant par son haut niveau de qualité. De fait, elle a été conduite à maintenir un tissu industriel plus dense. Il semble aujourd’hui, que depuis la crise de la dette au sein de la zone euro, cette option lui permet de mieux résister à la crise.