- Des notions de capital,
capacité, compétence et performance -
Capital:
a) La notion de capital est utilisée par Marx pour rendre compte de l’inégalité au sein du système capitaliste. En effet, ce qui rend possible l’existence d’un rapport social inégalitaire est l’accumulation primitive du capital qui permet l’appropriation des moyens de production.
b) Cette notion est également utilisée par Bourdieu. Le capital chez cet auteur n’est pas seulement matériel, économique. Il est également symbolique. Bourdieu distingue ainsi par exemple le capital social et le capital culturel.
c) Un capital donné peut être reconverti en un autre type de capital lorsque l’on change de champ social: ainsi le capital scolaire permet une acquisition plus aisée du capital militant (cette dernière notion a été développée par Frédérique Matonti et Franck Poupeau, “Le capitali militant", ARESS, 2007).
Capacité:
a) La notion de capacité peut désigner une aptitude naturelle, donnée biologiquement, comme dans le cas de la capacité de parler. Il s’agit alors plus précisément de la capacité phonatoire.
b) En économie, la notion de capacité a été théorisée par Amartya Sen (in Ethique et économie) sous le terme de capabilité. Elle trouve en particulier une application en économie de la pauvreté et du développement. Les capabilités désignent ce qui rend possible l’exercice complet d’une liberté. Par exemple, chaque citoyen à la liberté de se présenter comme candidat à des élections. Mais cette liberté devient impossible à mettre en oeuvre pour celui qui par exemple n’a pas la capacité de lire et d’écrire. Les capacités dans ce cas ne sont pas nécessairement naturelles, mais elles peuvent être fournies par la société. Elles rendent possible l’action. Elles constitue le pouvoir d’agir.
c) En pédagogie, les capacités sont acquises au cours de la scolarité et rendent possible la mise en oeuvre de compétences. Par exemple, Michel Tozzi a distingué trois capacités philosophiques: argumenter, conceptualiser, problématiser. Ces trois capacités rendent possible la mise en oeuvre de trois compétences philosophiques: lire philosophiquement, écrire philosophiquement, discuter philosophiquement. (Site Internet: http://www.philotozzi.com/)
d) En sociologie pragmatique, cette notion de capacité vise à montrer comment les acteurs ne sont pas seulement dominés, mais qu’ils sont capables d’effectuer une critique de la domination.
Compétence:
a) En linguistique, la notion est utilisée par Noam Chomsky: elle désigne le fait que l’être humain possède de manière innée la possibilité de produire un nombre de phrases infinies à partir de structures grammaticales innées. C’est la théorie de la grammaire générative.
b) En pédagogie, la compétence désigne un ensemble de savoir-faire et de savoir-être que l’individu est en mesure de réaliser parce qu’il a développé certaines capacités. L’acquisition de la capacité nécessite pour être actualisée d’être mise en oeuvre dans des exercices qui supposent des compétences.
c) Management: La gestion du capital humain fait appel à la notion de compétence. L’être humain est considéré comme un bien matériel comme un autre, qu’il s’agit de rentabiliser au mieux. Pour cela, il s’agit d’évaluer ses compétences de manière à lui faire accomplir des missions où il sera performant. Cette approche par compétences permet une plus grande souplesse dans l’utilisation des ressources humaines dans la mesure où elle s’appuie sur les capacités d’adaptation du sujet.
d) En science politique, on essaye de déterminer la compétence politique des citoyens à travers leurs connaissances, mais également leur capacité à se repérer dans le champ politique.
Performance:
a) En linguistique, la distinction entre compétence et performance est utilisée par Chomsky. La performance désigne l’actualisation de la compétence linguistique. Le sujet possède la compétence de construire un ensemble infini de phrases. Mais cette compétence s’actualise dans une performance linguistique donnée.
b) Psychologie du travail: Christophe Dejours critique l’évaluation par compétences et les bilans de compétence en mettant en avant le fait que la compétence ne permet pas de déterminer la performance. On ne peut savoir si quelqu’un est performant que lorsqu’il a effectivement réalisé l’action et non pas à partir des compétences qu’il possède. Par exemple, j’ai acquis la capacité d’écrire. Je l’ai mise en oeuvre en apprenant à écrire des lettres de motivation. Mais, c’est dans le cadre d’une lettre donnée que je dois être performant. (Christophe Dejours, Travail vivant, t.2, Paris, Payot, 2009).
Remarques:
- L’accumulation du capital qui s’effectue au cours de la scolarité n’est pas seulement une accumulation de connaissances, mais de capacités et de compétences (c’est-à-dire de savoir-être, mais surtout de savoir-faire).
- L’économie capitaliste néo-libérale, afin d’augmenter le profit réalisé, cherche à augmenter la rentabilité du capital humain. Pour cela, elle s’appuie sur les capacités et les compétences développées au cours de la scolarité et de la vie professionnelle. La logique par compétences permet d’avoir une main d’oeuvre plus flexible que l’on peut adapter à différents postes de travail. Il s’agit d’exploiter au mieux les capacités et les compétences de chacun.
- Les compétences deviennent d’autant plus nécessaires dans une économie capitaliste qui repose sur la connaissance et l’innovation. En effet, la compétence permet la production de l’innovation dans un domaine donné.
- Le rapports social technocratique repose sur la compétence. Cela consiste à supposer que les plus compétents sont également les plus légitimes: la compétence devrait alors justifier un salaire supérieur. Les compétences ne sont pas toutes évaluées à égalité: certaines compétences sont plus valorisées que d’autres, en particulier celles dont on suppose qu’elles demandent plus d’années d’acquisition. Les fonctions de direction sont également supposées reposer sur une compétence spécifique. Les compétences intellectuelles sont considérées comme supérieures aux compétences manuelles dans la mesure où justement elles supposerait une capacité du cerveau à commander la main et l'outil.
- Il est intéressant de constater que la tripartition dans la fonction publique entre -fonctions d’exécution (C), de techniciens (B) et de conception (A) ressemble étrangement à la tripartition platonicienne de la Cité idéale: les gardiens (la tête), les auxiliaires (le coeur), les artisans et les agriculteurs (le ventre). De même, dans les PCS de l’INSEE, on retrouve: les cadres et professions intellectuelles supérieures, les techniciens, et enfin les employés et les ouvriers. Hannah Arendt distingue pour sa part entre le labeur (assurer les fonctions vitales), l’oeuvre (faire et créer) et l’action (politique et contemplation théorique - science et philosophie).
- La notion de mérite dans le système économique capitaliste semble quant à elle davantage reposer sur la performance. En quelque sorte, la compétence supposée détermine la part de la rémunération fixe et la performance, les primes au mérite.
Conclusion:
Dans le néo-management, la main d’oeuvre est gérée et rentabilisée comme n’importe quelle autre capital. Afin d’augmenter la flexibilité et la performance, il s’agit de s’appuyer sur les compétences et non plus sur les connaissances ou les qualifications.
Afin de faire fonctionner un tel système économique, il faut que dès le système scolaire l’on développe des compétences qui vont permettre l’adaptabilité.
Le capital humain qu’exploite le capitalisme repose dès lors sur des compétences. Cette dernière se caractèrise justement par sa capacité d’adaptation et d’innovation qu’elle permet de réaliser.
Écrire commentaire
Centrifugal Juicer (dimanche, 05 mai 2013 05:09)
This is a great blog post! Thanks for sharing!