Proudhon, La guerre et la paix -I-

 

La guerre et la paix est un ouvrage de Proudhon important par sa postérité, en particulier dans le syndicalisme révolutionnaire, et à la thèse complexe. Proudhon y affirme en effet, contre la tradition philosophique dominante, l’existence d’un droit de la force et de la guerre comme principe de justice.

Cette thèse se retrouve à l’oeuvre chez les philosophes de la nouvelle école (Sorel) et chez les praticiens théoriciens du syndicalisme révolutionnaire (Pouget).

Les enjeux sont alors les suivants. Affirmer un droit de la force (qui ne se confond pas nécessairement avec la violence sauf chez Sorel), c’est affirmer que l’action directe syndicaliste (la grève) peut être productrice de droit. C’est affirmer également que la guerre sociale que mène le prolétariat contient de manière immanente un principe de justice. En effet, la guerre est un fait moral qui est lié à une revendication de dignité. La cause première de toute guerre selon Proudhon doit être cherchée dans le paupérisme (elle est économique et non politique): ce dernier est l’expression d’un déséquilibre économique dans la société et donc d’une injustice.

 

Vol.I

 

LIVRE PREMIER- De la phénoménalité de la guerre

 

La guerre est un fait divin

 

La notion de fait divin chez Proudhon ne fait pas référence à une transcendance divine, mais à un fait qui échappe à toute explication rationnelle. Elle renvoie à l’idée qu’il y aurait de la création dans la nature, c’est-à-dire des faits dont on ne peut pas rendre raison, ou qu’on ne peut pas expliquer par la cause première:

 

“Fait divin: "J'appelle divin, en autres termes, tout ce qui, se produisant en dehors de la série, servant de terme initial à la série, n'admet de la part du philosophe ni question, ni doute. Le divin s'impose de vive force: il ne répond point aux interrogations qu'on lui adresse, et ne souffre pas de démonstrations.”

 

La guerre est pour Proudhon un fait moral et social. Les animaux ne font pas la guerre. Il n’y a pas de possibilité de guerre si l’on vit seul. La guerre est un fait moral car à travers la guerre, ce qui s’exprime c’est le désir d’être reconnu par autrui: le désir de gloire étant une des expressions de ce désir de reconnaissance:

 

“La guerre est un fait moral: "c'est un élément moral, qui fait d'elle la manifestation la plus splendide et en même temps" la plus horrible de notre espèce. [...]”

"C'est par elle que l'homme, à peine sorti de la boue qui lui servit de matrice, se pose dans sa majesté et dans sa vaillance; c'est sur le corps d'un ennemi abattu qu'il fait son premier rêve de gloire et d'immoralité'

 

La guerre, révélation de la justice

 

Proudhon cherche à montrer dans son ouvrage que la guerre est productrice de manière immanente de droit et donc de justice. Mais pour cela, il s’agit de remonter, en deçà même de la notion de guerre, à celle de force.

 

Proudhon associe le peuple et le droit de la force, via la notion de force du nombre. La légitimité première du peuple tient dans la force du nombre. Cette insistance que l’on trouve chez les philosophes à refuser l’existence d’un droit de la force est également une insistance à dénier à la force du nombre, et donc au peuple, le fondement de sa légitimité. Proudhon rappelle que cette force du nombre, le principe du vote à la majorité, se trouve bien au principe de tout régime démocratique:

 

“ Le droit du peuple, c'est le droit de la force. Du suffrage populaire, universel ou restreint, direct ou indirect, se déduit le principe parlementaire des majorités : n'est-ce pas encore, et toujours, la raison de la force? Certes, la force est chose considérable de sa nature et dont il importe de faire état; mais qu'est-ce que la raison de la force?”

 

Le droit de la force n’est pas seulement présent dans la guerre. En effet, la force ne doit pas être confondue avec la violence. Il est ainsi possible de trouver l’expression d’un droit de la force sous une expression plus pacifiée par exemple dans la production et le marché économique:

 

“Cette affinité de la justice et de la guerre se révèle jusque dans les choses de l'ordre économique, qui pourtant en semblent la négation. [...] L'opposition du travail et du capital, de l'offre et de la demande, du prêteur et de l'emprunteur, des privilèges d'auteurs, inventeurs, perfectionneurs, et des peines infligées aux contrefacteurs, falsificateurs et plagiaires, tout cela n'indique-t-il pas la guerre?”

 

Or l’injustice apparaît lorsque les forces sociales ne sont plus en équilibre et en particulier lorsqu’une classe écrase l’autre en lui déniant sa dignité. Il s’agit donc de rétablir de l’égalité sur le plan économique.

 

La guerre comme révélation de l’idéal

 

La vie, l’action et la lutte: Proudhon fait de l’action une caractéristique du vivant: le vivant, par rapport à l’inerte, se caractérise par le fait qu’il agit. Pour l’être moral, l’action, la pratique, est également ce qui le caractérise.

Mais il est possible d’aller plus loin encore en affirmant que l’être moral résulte de cette action. Quelle doit être la caractéristique de l’action pour qu’elle produise un être moral ? C’est une altérité à laquelle il peut s’affronter. C’est ainsi que le fondement de l’anthropisation de l’homme et de son apparition comme être moral se trouve dans le travail. L’action par laquelle l’être humain s’affronte à son environnement naturel pour le transformer, c’est le travail. Le travail pour Proudhon met en oeuvre des phénomènes de solidarité, à travers la division du travail, et de rivalité, à travers le désir d’être reconnu dans sa dignité par son travail.

 

La condition par excellence de la vie, de la santé et de la force, chez l'être organisé, est l'action. C'est par l'action qu'il développe ses facultés, qu'il en augmente l'énergie, et qu'il atteint la plénitude de sa destinée.

Il en est de même pour l'être intelligent, moral et libre. La condition essentielle de l'existence pour lui est aussi l'action, action intelligente et morale bien entendu, puisque c'est surtout de l'ordre intellectuel et moral qu'il s'agit. Or, qu'est-ce qu'agir?

Pour qu'il y ait action, exercice physique, intellectuel ou moral, il faut un milieu en rapport avec le sujet agissant, un non-moi qui se pose devant son moi comme lieu et matière d'action, qui lui résiste et le contredise. L'action sera donc une lutte : agir, c'est combattre.

Être organisé, intelligent, moral et libre, l'homme est donc en lutte, c'est-à-dire en rapport d'action et de réaction, d'abord avec la nature. Ici, déjà, plus d'une occasion s'offre à lui de montrer son courage, sa patience, son mépris de la mort, son dévouement à sa propre gloire et au bonheur de ses semblables, en un mot, sa vertu.

 

Guerre et paix: expressions corrélatives

 

Proudhon s’oppose à la thèse selon laquelle il y aurait une opposition radicale et une exclusion mutuelle entre la guerre et la paix. En réalité, ces deux notions n’ont pas de sens l’une sans l’autre. Elles entretiennent une relation de conditions réciproques. Elles sont dans une relation de dialectique l’une avec l’autre:

 

La guerre et la paix, que le vulgaire se figure comme deux états de choses qui s'excluent, sont les conditions alternatives de la vie des peuples. Elles s'appellent l'une l'autre, se définissent réciproquement, se complètent et se soutiennent, comme les termes inverses, mais adéquats et inséparables, d'une antinomie. La paix démontre et confirme la guerre; la guerre à son tour est une revendication de la paix.

 

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