Parmi les références de Sorel figure Bergson. Ce dernier publie son premier ouvrage, Essai sur les données immédiates de la conscience en 1888. Sorel assiste aux cours donnés par Bergson avant la parution de l’Evolution créatrice (1907) auquel il consacre une série d’articles dans la revue Le Mouvement socialiste. La référence à Bergson revient plusieurs fois dans les ouvrages de Sorel.
Première partie:
- Introduction à l’économie moderne (1903):
Dès 1903, dans Introduction à l’économie politique, Sorel mentionne Bergson. Il oppose la critique de la pensée conceptuelle de celui-ci aux prétentions positivistes de la sociologie naissante de Durkheim. Pour Sorel, les faits sociaux ne relèvent pas d’une rationalité géométrique. La sociologie ne doit pas être une science des structures, mais de l’action et de l’historicité.
La connaissance par concepts a été constituée dans l'antiquité pour étudier les choses immuables, les êtres géométriques, ce qui se conserve et peut toujours se retrouver; elle semble donc aussi mal adaptée que possible aux faits sociaux. Ceux-ci ne peuvent pas être facilement comparés à des corps solides ; on serait plutôt tenté de les comparer à des nébuleuses, dont la position, les aspects et les dimensions varient à tout instant. [...]
Un des maîtres de la pensée contemporaine a maintes fois mis en garde contre les erreurs qui découlent de la philosophie traditionnelle ; il se demande si l'heure ne serait pas venue d'abandonner la vieille méthode grecque, construite en vue de la géométrie, pour chercher à atteindre la réalité, le mobile et le continu. Ces critiques de Bergson trouvent surtout leur application dans la sociologie; mais l'esprit n'est pas cependant désarmé devant les difficultés qu'il signale; nous possédons un moyen, à la fois très sûr et très simple, pour venir assez généralement à bout du réel dans les limites de nos besoins [...] On les étudie sur ce qu'on peut nommer des projections stylisées, arrangées avec assez d'art pour qu'elles donnent l'impression d'être des réalités auxiliaires, possédant chacune son principe propre de vie, d'ordre ou de développement. Les hommes habiles s'efforcent d'envelopper le phénomène social par des systèmes d'images qui ne laissent échapper aucun des caractères dont la connaissance apparaît comme utile pour les recherches qu'ils ont entreprises. [...] les bons artistes savent trouver des aspects que la stylisation permet de transformer de telle sorte que la tension de l'immobile donne une idée claire de la mobilité [...] il faut donc rejeter tout ce qui n'est pas le produit de la réflexion s'exerçant sur des institutions, des usages et des règles empiriques ayant acquis dans la pratique des formes bien déterminées.
Le sociologue qui désire rendre compte des mouvements sociaux doit se rapprocher non des méthodes de la physique, mais de l’artiste peintre. En effet, celui-ci est capable de traduire, dans des images, la vie et le mouvement. La sociologie doit donc proposer, semble-t-il, des tableaux, être une peinture des pratiques sociales à une époque donnée. Ce recours à l’image est d’autant plus nécessaire que comme le précise Sorel dans la suite de son développement, l’action - d’un point du vue subjectif - suppose sans doute le recours à des mythes:
“Je me demande s'il est possible de fournir une exposition intelligible du passage des principes à l'action sans employer des mythes”
- La décomposition du marxisme (1908):
La référence à Bergson est de nouveau présente dans les ouvrages que Sorel publie en 1908. Sorel met là encore en avant la nécessité pour une sociologie qui désire rendre compte du mouvement de s’exprimer au moyen d’images comme l’artiste et non pas de prendre modèle sur les sciences de la matière. Le recours à l’image est d’autant plus nécessaire pour rendre compte de l’action que celle-ci est liée à des mythes:
Les auteurs qui avaient critiqué Marx lui avaient souvent reproché d'avoir parlé un langage plein d'images qui ne leur semblait point convenir à une recherche ayant la prétention d'être scientifique. Ce sont les parties symboliques, regardées jadis comme ayant une valeur douteuse, qui représentent, au contraire, la valeur de l'œuvre. Nous savons aujourd'hui, par l'enseignement de Bergson, que le mouvement s'exprime surtout au moyen d'images, que les formules mythiques sont celles dans lesquelles s'enveloppe la pensée fondamentale d'un philosophe, et que la métaphysique ne saurait se servir du langage qui convient à la science. D'autre part, c'est en recourant à ces parties longtemps négligées que la nouvelle école a pu arriver a une intelligence complète du syndicalisme révolutionnaire.
Ce refus d’une science qui prendrait son modèle dans les mathématiques et les sciences de la matière tient au fait que pour Sorel, comme pour Bergson, l’histoire est un processus de création imprévisible. Sorel s’oppose aux prétentions scientistes à prévoir le devenir historique:
Note de bas de page de Sorel: Une des plus grosses illusions des utopistes a été de croire qu'on peut déduire le schéma de l'avenir quand on connaît bien le présent. Contre une telle illusion, voir ce que dit BERGSON dans L'Évolution créatrice.
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