Le 1er septembre 2012, Vincent Peillon donnait un interview au Journal du Dimanche où il annonçait son désir de voir se mettre en place des cours de morale laïque de la primaire au lycée et donnant lieu à une évaluation : "Je pense, comme Jules Ferry, qu’il y a une morale commune, qu’elle s’impose à la diversité des confessions religieuses, qu’elle ne doit blesser aucune conscience, aucun engagement privé, ni d’ordre religieux, ni d’ordre politique". Depuis, trois personnalités ont été nommées pour réfléchir à la mise en place de cet enseignement : leur rapport étant attendu initialement pour le printemps 2013. Vincent Peillon a présenté le 22 avril l’enseignement de morale laïque qui devrait débuter à la rentrée 2015.
Mais y-a-t-il encore une morale ?
Le projet d’une morale laïque s’inscrit dans la ligne de l’école de la Troisième république où des cours de morale avaient été instaurés en 1882 avant d’être supprimés en 1971. Il s’agissait en particulier de montrer que la République laïque était à même de dispenser une morale indépendamment de la religion. Cette morale s’inscrivait dans la construction d’une communauté nationale républicaine.
L’introduction de cours de morale ne va pas sans poser des problèmes car cette notion a fait l’objet d’une violente déconstruction de la part d’auteurs tels que Nietzsche. Mais quand bien même, l’on accepterait cette notion, se pose la question de lui donner un contenu substantiel. En effet, on peut discuter le fait de savoir s’il existe des valeurs communes comme le défend Vincent Peillon. Un tel présupposé est loin d’être accepté, là encore, par un certain nombres de philosophes. Par exemple, la tradition libérale considère que le bien est relatif à chacun et qu’il uniquement possible de définir le cadre de ce qui est juste. Par exemple, la recherche de ce qu’est une bonne vie, que Vincent Peillon inclus dans la morale laïque, est laissé alors à la subjectivité de chacun.
Les valeurs suffisent-elles ?
Certes on pourrait admettre que la morale laïque, dans une version républicaine qui est sans doute celle implicitement que défend Vincent Peillon à la suite de Durkheim par exemple, constitue l’ensemble des valeurs communes que met en place l’Etat pour construire une communauté nationale à travers en particulier l’école.
L’école est alors ce que les althusseriens appelaient un appareil idéologique d’Etat (AEI). La morale laïque en tant qu’elle vise à construire du commun est ce que d’ailleurs Vincent Peillon appelle une religion (cf. son ouvrage : Une religion pour la république, Seuil, 2010). Mais tout le problème est de savoir si pour construire un commun réel, c’est-à-dire de la solidarité et de la fraternité, une religion suffit. Ne constitue-t-on pas plutôt une illusion de commun ?
C’est en effet bien l’illusion qui caractérise la religion selon Marx. L’idéologie républicaine consiste en effet à construire du commun à partir de valeurs – liberté, égalité et fraternité –. Mais, celles-ci peuvent être vues comme ce qui masque la profonde division réelle de la société liée à l’inégalité sociale. Ainsi l’école républicaine française prétend traiter les élèves comme s’ils étaient socialement égaux, pourtant selon l’enquête PISA, elle reproduit plus encore que les autres l’inégalité sociale. L’école prétend ignorer les différences de genre et pourtant elle les reproduit. Elle prétend ne pas raciser, mais là encore, elle avalise les inégalités sociales que subissent les personnes issues de l’immigration.
Il n’est donc pas certain que la mise en avant d’une morale républicaine suffise à traiter le fond du problème. Pour Marx, la condition de possibilité d’une communauté ne se trouvait pas dans ses valeurs, mais dans la mise en commun des richesses économiques et la remise en cause de la division sociale du travail. On peut douter qu’une société qui est de plus en plus clivée économiquement soit à même de produire du commun. La morale républicaine risque ainsi fort de n’être qu’une tentative de masquage des inégalités sociales réelles derrière la proclamation de grands idéaux de fraternité.
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