La cré'action de guerillas sociale et artistiques (Troisième partie)


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Troisième partie:

 

6) Créer l’événement contre la prévisibilité technocratique

 

Un certain nombre de formes de guérillas culturelles depuis les années 1970 utilisent pour créer l’événement les formes du happening – c'est à dire une forme de l'événementialité propre au monde de l'art -, mais également les techniques de l’événement médiatique – en utilisant ou en reprenant les codes des mass médias pour pouvoir accéder à une visibilité médiatique.

 

Avec le situationnisme en France, se constitue un mouvement qui se trouve à la frontière entre le groupe politique et le collectif artistique. Dans les années 1960-70, les provos – au pays bas – ou les Yippies aux Etats-Unis adoptent des forment d'action qui se rapprochent des formes du happening artistique.

 

Depuis les années 1990, avec ce que l'on appelle les nouveaux militants, on peut distinguer deux formes de collectifs aux frontières floues:

- les collectifs d'artiste qui donnent à leur action une porté politique comme les Yes Men,

- les collectifs militants qui donnent une forme humoristique et proche de la performance artistique à leur actions: Brigades des clowns activistes....

 

Bien souvent, ces événements reposent sur les ressorts du comique. Il s'agit de tourner en ridicule les adversaires. On sait depuis longtemps que l'humour et le second degrés sont une arme politique qui est d'autant plus efficace qu'elle joue sur l'ambiguïté.

 

L'un des ressorts de l’événement mis en place par une guérilla artistique reposant sur une dénonciation par l'humour s’appuie sur l'opposition entre la vie et la rigidité bureaucratique ou technocratique.

Les SR, comme Edouard Berth (auteur de Les méfaits des intellectuels), ont mis en avant que la domination de l'Etat reposait sur son abstraction qui le rendait incapable de saisir la vie sociale dans son mouvement. Berth oppose au contraire à cela le syndicalisme qui est selon lui immanent à cette vie sociale.

 

Cette opposition entre une pratique abstraite et conceptuelle, incapable de saisir la vie dans son mouvement, se trouve présente non seulement dans l'Etat, mais également dans les entreprises. Elle prend la forme de la bureaucratie ou de la technocratie. Cette critique de la technocratie est par exemple mise en avant par la philosophe Simone Weil, qui milite dans les milieux syndicalistes révolutionnaires durant l'entre-deux guerre.

 

Cette technocratie peut prendre également la forme de l'expertise qui encadre non seulement la vie sociale, la vie quotidienne pour s'insérer au plus profond du monde vécu, mais également l'environnement naturel. C'est au nom d'une rationalité technocratique que s'effectue la destruction de l'environnement naturel.

 

De manière générale, à travers l'oppression technocratique, il est possible de mettre en relief une logique propre à la science moderne selon laquelle tout pourrait être réduit à des règles formelles et à des objectifs calculables. Ainsi, des années 30 à la fin des années 1970, la critique de la technocratie a mis en avant la dénonciation de cette logique dans les régimes totalitaires. L'obsession de la rationalité et du calcul est présente dans les massacres de masses.

 

Néanmoins, même si le néo-libéralisme prétend avoir effectué une rupture avec la bureaucratie, il n'en reste pas moins pris dans une logique technocratique mettant en oeuvre des experts, des cabinets d'audit et des consultants, chargés d'organiser, de mesurer et de rentabiliser.

 

Ce monde de l'expertise technocratique est obsédé par la prévisibilité: d'où l'importance des statistiques, des départements de prospectives... Il s'agit d'essayer d'anticiper l'avenir pour gagner de l'argent: être le premier sur une nouvelle tendance.

 

Or c'est justement cette imprévisibilité de l'histoire, que mettent en avant les SR, contre les tendances à vouloir réduire à des modèles rationnels simplistes les comportements humains, la société et le fonctionnement de la nature dans son ensemble. C'est ce que souligne également Bergson dans sa conférence sur Claude Bernard. Il ne s'agit pas de disqualifier la science: les théories scientifiques ont leur utilité. Mais étant nous même une partie du réel, notre rationalité ne peut saisir la totalité du monde. Les lois scientifiques sont donc partielles, locales, et relatives au fonctionnement de notre intelligence.

 

La création artistique, la littérature et le théâtre, en particulier ont souligné sous un mode tragique ou comique, les conséquences de la logique technocratique sur les comportements humains et les subjectivités. C'est par exemple le roman comique de Georges Courteline Messieurs les Ronds de Cuir. C'est la thématique des « chaînes de papier » dans Le Château de Kafka jusqu'aux dénonciations tragique de l'univers totalitaire, comme L'aveu d'Arthur Koestler.

 

La création artistique met alors en évidence la lutte qui se joue entre les subjectivités et les logiques technocratiques. Ces dernières ne prennent pas en compte: les sensations personnelles et les sentiments propres à chaque subjectivité, elles ne prennent pas en compte la singularité de chacun dans ses pensées et ses comportements. La technocratie construit un modèle abstrait d'individu dont la forme, dans le néo-libéralisme, est l'homo oeconomicus.

 

Cette réduction de l'individu, dans sa singularité vivante, par une approche scientifique et technique est dénoncée par Bakounine, dans Dieu et l'Etat. Il ne peut y avoir de science que du général. La science est incapable de rendre compte de la singularité de chaque être vivant. A fortiori les techno-sciences ne peuvent que tendre à appliquer cette logique réductrice dans les procès techniques et standardisés auxquels se trouvent soumis la vie professionnelle et la vie quotidienne.

 

Bergson explique dans son ouvrage Le rire que le ressort du comique tient au fait que du « mécanique est plaqué sur du vivant ». La technocratie est à même de constituer l'objet d'une dénonciation comique car elle est une des expressions d'une mécanisation de l'existence humaine.

 

De fait, les ressorts comiques des formes d'action des guérillas d'artivistes reposent pour nombre d'entre-elles sur le caractère ridicule des individus dont les actions et les pensées sont dominés par les logiques technocratiques.

 

Ex: On peut citer par exemple le cas de la Brigade activiste des Clowns qui joue de l'attitude déshumanisée et mécanique des forces de l'ordre qui restent impassibles à côté de clowns qui essaient d'établir un contact humain avec eux.

 

On peut citer le cas des Yes Men qui reprennent les logiques technocratiques du néo-libéralisme en leur donnant un contenu absurde. Or du moment que la forme est respectée, on s'aperçoit que le contenu importe peu et que les idées les plus absurdes peuvent rencontrer un succès.

 

C'est cette logique de l'aliénation des consciences que l'on trouve aussi bien dans les systèmes totalitaires et concentrationnaires (que Hannah Arentd a appelé la banalité du mal lors du procès d'Eischman) et que Christophe Desjours à mis en avant dans les nouvelles formes de management des entreprises capitalistes (Voir son ouvrageSouffrance en France où il reprend la notion de banalité du mal présente chez Arendt).

 

Ce qui peut être alors remis en cause dans la guérilla artistique, ce sont les logiques qui peuvent conduire à un individu à ne se soucier que de trains qui partent à l'heure alors même que ceux-ci déportent des milliers de personnes.

C'est la même logique qui dans les entreprises conduisent les individus à se soucier avant tout de réaliser les objectifs alors même que cela se traduit par des formes de souffrance tragiques comme à France télécom ou à La Poste. 

 

(suite la semaine prochaine)

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