L'engagement militant: déterminants, freins, tremplins (II)

 

Lire la première Partie

 

II- Les déterminants objectifs

 

Il s'agit cette fois de chercher l'absence d'engagement, non pas dans la sujet lui-même, mais dans l'organisation de la société.

 

1- Les obstacles sociaux à l'engagement

 

Il existe un courant d'analyse, qui est par exemple aujourd'hui représenté par l'anthropologue James Scott, qui considère que l'absence d'engagement des individus doit être recherché principalement dans la violence sociale.

 

Pour James Scott, les êtres humains protestent toujours contre l'injustice qui leur est faite. Il n'y adhèrent pas. Mais la contrainte extérieure les conduit à se soumettre à la situation.

 

Scott s'est intéressé aux régimes où s'exercent des menaces et des contraintes très forte sur les populations. Il montre qu'il y a toujours ce qu'il appelle un script caché. Les personnes n'osent pas exprimer ouvertement leur mécontentement, mais dans des petits gestes quotidiens, elles manifestent toujours un mécontentement.

Il faudrait alors rechercher dans une différence de conditions sociales objectives la possibilité qu'émerge ou non un mouvement social de protestation massive et de transformation comme une révolution.

 

 

2- Les conditions sociales de l'engagement

 

L'engagement militant, sont caractère résiduel, ou au contraire massif, serait lié à des conditions objectives présentes dans la société.

 

Cette thèse, on la trouve par exemple présente chez Karl Marx. Pour comprendre le déclenchement de la révolution française, il ne faut pas s’intéresser à ce que pensent subjectivement les acteurs. Ce n'est pas dans leurs conscience et dans leurs idéologies qu'il faut chercher les causes du déclenchement d'un mouvement social.

 

Il faut le rechercher dans les conditions sociales matérielles. Celles-ci sont déjà présentes bien avant que les acteurs de l'histoire en aient conscience. La révolution française commence pour Marx bien avant la prise de la Bastille. Elle commence avec la naissance du système capitaliste, avec par exemple l'or des Amériques, qui permet que s'accumule en Europe du capital. Il y a donc des transformations sociales profondes qui seraient à l’origine de la Révolution politique.

 

Néanmoins, Marx et Engels, contre James Scott, avec la notion d'idéologie, sont conduits à penser la possibilité d'une aliénation de la subjectivité. L'idéologie constitue pour eux un discours qui ne représente pas la réalité, mais qui sert à justifier le système en place. De fait, les exploités peuvent ne pas avoir conscience de leur situation sur l'effet de l'idéologie.

 

Si Marx et Engels accordent une place déterminante aux conditions objectives, il n'ignorent pas cependant les conditions subjectives. Pour qu'il y ait un mouvement social, il faut également que se constitue une conscience de classe qui rende possible la constitution d'un mouvement social. Mais le déclencheur de cette conscience de la classe se trouve en dernière instance dans les conditions économiques objectives.

 

3- Le consentement à la domination

 

A l'inverse de Scott, mais dans le prolongement de Marx, le sociologue Pierre Bourdieu a mis en avant la part de consentement qui serait nécessaire pour que s'exerce la domination.

 

Si les individus ne s'engagent pas, c'est que le système social leur a fait intérioriser des règles qui les conduisent non seulement à reproduire le fonctionnement social dominant, mais même à prendre sa défense. C'est ce qu'il appelle la violence symbolique. La violence symbolique c'est par exemple, explique-t-il, ce qui conduit une femme à reprendre les discours qui justifient la domination masculine alors qu'ils s'exercent à son détriment.

 

Néanmoins, cette thèse d'un consentement à la domination a été critiquée par des théoriciennes féministes. Nicole Claude Mathieu, contre Bourdieu, a défendu la position selon laquelle « céder n'est pas consentir ». Ce n'est pas parce que les femmes cèdent à la domination qu'elles y consentent. Elle n'attribue pas néanmoins uniquement leur attitude à une toute puissance de la violence extérieure, mais à une différence de position sociale. Les femmes ne sont pas des victimes entièrement aliénées, mais elles ne sont pas non plus totalement éclairées et conscientes de leur situation.

Cette position que défend Nicole Claude Mathieu est intéressante car elle signifie que l'humanité ne se divise pas en deux groupes tranchés, mais qu'il y a une continuité. En chacun de nous sont présentes à la fois une tendance à se soumettre sous l'effet du social et des capacités d'engagement. Il y a donc des différences de degré plutôt que de nature. Il s'agirait alors de faire croître les capacités d'émancipation.

 

Les exemples théoriques que j'ai pris relèvent de différentes époques et de différentes disciplines (sociologie, philosophie, psychanalyse). Ce que j'ai cherché à montrer, c'est que, de manière générale, on retrouve un ensemble de dichotomies stables qui organisent ces hypothèses. Elles consistent à chercher les explications soit dans la psychologie de l'individu, soit dans l'organisation de la société : individu/social, objectif/subjectif.

 

 

Lire la troisième partie...