Ecosocialisme et décroissance : quelle convergence ?

Nous avons assisté vendredi 7 février, à la mairie du IIème arrondissement de Paris, à un colloque sur le thème de la convergence entre écosocialisme et décroissance. Trois intervenants étaient présents pour débattre et répondre aux questions de l’assistance: Mathieu Agostini pour le Parti de Gauche, Michel Lepesant pour le MOC (Mouvement des objecteurs de croissance) et Pierre Lucot pour EELV.

Il s’agissait pour les intervenants de présenter les grandes lignes de leur engagement militant et de dégager les contradictions et les éventuelles convergences entre écosocialisme et décroissance.

 Un exposé des objectifs des différents mouvements

* Pour les objecteurs de croissance la question de la nature est centrale dans l’engagement militant. La nature, envisagée comme environnement, est le cadre dans lequel se déploie toute existence. Sa préservation doit être une préoccupation majeure de tout projet politique.

La décroissance est non seulement inévitable, car un modèle économique fondé sur une croissance illimitée de la production dans un monde aux ressources limitées est impossible, mais elle est également souhaitable.  Elle offre en effet l’occasion de promouvoir un mode de vie plus simple et plus heureux, réduisant les consommations inutiles et renforçant les liens sociaux. Au-delà de considérations économiques très concrètes, la décroissance reste un choix éthique : elle exprime à la fois le choix d’un système économique et d’un mode de vie personnel, celui de la simplicité volontaire.

Il n’y a pas d’attente du « grand soir », mais une décroissance sans attendre, par des expérimentations concrètes « ici et maintenant ». Il n’y a pas davantage de volonté de prise de pouvoir préalable car le discours des objecteurs de croissance est porté par une minorité de personnes et ne peut se dissoudre dans des compromis.

* Pour l’écosocialisme, en revanche, le paradigme est celui des luttes sociales et de l’anticapitalisme. Si la nature occupe une place centrale c’est seulement dans le cadre du souci de l’intérêt général.

        Il ne s’agit cependant pas d’un simple ajout au corpus théorique du Marxisme. Les écosocialistes entendent montrer que la préoccupation environnementale fait partie intégrante de l’analyse marxiste, via l’analyse des échanges « métaboliques » entre la nature et la société. Ils reprennent là l’argumentation développée par John B Foster selon laquelle le procès de travail humain était défini dans le Capital comme « la condition générale du métabolisme entre l’homme et la nature, la condition naturelle éternelle de la vie des hommes ». Par conséquent la rupture de ce métabolisme  ne signifiait rien de moins, pour Marx, que la mise en danger de la « condition naturelle éternelle de la vie des hommes ». [i]

        Il y a pour les écosocialistes une défiance à l’encontre du capitalisme, envisagé comme structurellement responsable du désastre environnemental et social, mais également à l’encontre du « socialisme réel » dont le productivisme et l’imitation servile du paradigme technologique et économique de la civilisation industrielle moderne à conduit au désastre.

L’objectif de l’écosocialisme est la lutte contre l’impérialisme et la domination culturelle (notamment par la suppression de la publicité) et la planification écologique, via une définition démocratique des besoins sociaux.

Emergence et difficultés d’une tentative de compromis entre écosocialisme et décroissance

* Lors des débats avec les divers intervenants, un certain nombre de difficultés ont été soulevées qui, à première vue, rendent complexe un rapprochement entre les deux mouvements.

Tout d’abord il faut remarquer que l’emploi, par les objecteurs de croissance, du terme « anthropocène » (terme vivement contesté, d’ailleurs, par certaines personnes de l’auditoire, qui y voyaient une généralisation à l’humanité entière d’un type de vie en commun propre à la société occidentale) marque un certain pessimisme à l’endroit de l’activité humaine en général, au moins depuis la révolution industrielle, que l’on rend responsable des dégâts environnementaux. Pour les écosocialistes ce n’est pas l’activité humaine en général qui est la cause de ces dégradations  mais un mode particulier de cette activité, historiquement et socialement déterminé: le système capitaliste.

De même, pour les écosocialistes la décroissance n’est pas réjouissante, elle est subie. Loin d’accorder crédit à la notion de simplicité volontaire et de décroissance heureuse, ils considèrent que la production doit être réorientée (et pas nécessairement réduite) en fonction des besoins réels démocratiquement déterminés.

Une autre difficulté porte sur le maintien ou non d'un outil de production industriel. Les objecteurs de croissance insistent sur la réappropriation de la production, qui passe par la désindustrialisation et la reprise en main d'une activité, d'un savoir-faire convivial et, plus largement, d'une reconquête de sa propre autonomie. Les écosocialistes souhaitent, suivant l'analyse développée par André Gorz, maintenir l'outil industriel (quitte à le réorienter via la propriété collective des moyens de production et la redéfinition des besoins réels démocratiquement déterminés), notamment pour conserver les gains de productivité nécessaires à une réduction massive du temps de travail. [ii]

Mais, en définitive, il nous est apparu que les divergences les plus profondes découlent de la confrontation entre deux traditions militantes différentes: il y a d'un côté des militants majoritairement issus des luttes pour la protection de la nature et dont le discours est porteur de valeurs éthiques (convivialité et simplicité volontaire). De l'autre des militants issus principalement des luttes sociales, dont le discours est marqué avant tout par l'analyse historique des antagonismes de classes.

*  Toutefois, malgré ces difficultés, il existe des possibilités de convergence.

- Nous avons noté que la préoccupation environnementale n'est pas, pour l'écosocialisme, un simple ajout à un discours avant tout anticapitaliste. La question écologique est sans aucun doute le grand défi pour un renouveau de la pensée marxiste à l'orée du XXIème siècle et les militants écosocialistes insistent pour affirmer que l'étude des interactions métaboliques entre les sociétés humaines et la nature fait partie intégrante de l'analyse marxiste. La relation de l'écosocialisme à la nature peut être dite à la fois humaniste et écocentrique, dans le sens où le respect de la nature et des équilibres écologiques est la condition même de la vie des sociétés humaines.

De même il y a, à l'évidence, convergence des luttes: contre le capitalisme, contre l'accumulation d'objets inutiles et/ou nuisibles, contre le développement durable (envisagé des deux côtés au mieux comme une illusion, au pire comme un alibi pour le capitalisme vert), contre les grands projets inutiles.

De même des convergences se font jour dès lors que l'on réfléchit au projet politique que nous souhaitons construire: l'extension de la sphère de la gratuité (en référence à la notion de bien commun), la mise en place d'une allocation universelle, la redéfinition de la notion de travail (contre le travail contraint capitaliste, réduction massive du temps de travail et redéfinition du travail comme activité libre créatrice) sont à l'évidence des projets que nous pouvons porter conjointement.

Pour conclure, il nous semble pouvoir dire que la réunion à laquelle nous avons assisté témoigne des difficultés éprouvées par deux mondes militants, aux combats souvent communs, pour s'accorder sur un projet de société. Cependant, malgré des divergences bien réelles, les possibilités de convergence existent et méritent sans doute d'être discutées et débattues: c'est bien dans la recherche de solutions, peut-être provisoires, à ce genre d'antagonismes et dans la détermination de convergences que se situe le devenir d'un mouvement social en lutte contre la folie mercantile et productiviste et dont l'écosocialisme et l'objection de croissance sont parties prenantes.

 

Jérôme Vautrin