Il existe en France, en particulier à travers l’existence de filières sélectives d’élites, un discours sur l’excellence de ce système scolaire. Aujourd’hui, au moment où je suis qualifiée aux fonctions de maître de conférence par trois sections du Conseil national des Universités et que je viens d’obtenir mon habilitation à diriger des recherches, je souhaite revenir sur mon expérience du système scolaire français.
- Une expérience d’entrée dans l’enseignement
Tout d’abord, je vais évoquer mon expérience en tant que professeure de philosophie dans le secondaire. Il y a trois ans, j’ai passé le CAPES de philosophie afin de changer d’emploi. Lors de mon année de stage, l’on m’a expliqué entre autres que je “ne maîtrisais pas le français pour enseigner et communiquer”, que je confondais la sociologie et la philosophie, ou encore que je faisais de la doxographie au lieu d’un cours de philosophie.
Pourquoi ces remarques ? Entre autres parce que j’essayais d’assumer au mieux mes nouvelles fonctions, et que pour cela, je tentais de mettre en place, conformément à la liberté intellectuelle et pédagogique qui m’était reconnue, une didactique de l’enseignement de la philosophie qui corresponde à mes options philosophiques.
En définitive, j’ai été remise en cause parce que j’essayais d’être ce que doit être une enseignante, c’est-à-dire une praticienne chercheuse en didactique et en pédagogie. Afin de mettre en relief le caractère paradoxal des reproches qui m’ont été faits, j’ai publié un article faisant le résumé de ces recherches dans une revue de didactique de la philosophie publiée par le Centre régional de documentation pédagogique de Montpellier, alors même que l’on me faisait refaire une année de stage.
Suite à l’obtention de ma qualification en philosophie et en science politique par le CNU, j’ai fait part auprès des institutions de l’enseignement secondaire de ma motivation à participer à d’autres enseignements que la philosophie en terminale. J’ai ainsi pris des renseignements sur la possibilité d’intervenir dans les Ecoles supérieures du professorat. Mon intérêt pour les sciences de l’éducation m’a valu une réponse selon laquelle ces formations recrutaient des philosophes et non pas des enseignants en sciences de l’éducation. J’ai également demandé si je pouvais m’inscrire à la formation pour être habilitée à enseigner en terminale l’option “Droit et grands enjeux du monde contemporain”. Il faut pour cela être titulaire d’une licence en droit ou d’un diplôme d’un IEP. On m’a répondu que je pouvais toujours passer un diplôme universitaire en droit pour avoir le niveau pour m’inscrire à cette formation. Certes, je ne suis titulaire que d’un niveau DEUG de droit, mais peut être aurait-il été possible de me proposer d’obtenir une équivalence au vu de ma qualification aux fonctions de maître de conférence en science politique et des trois ans où j’ai enseigné cette discipline à l’Université.
J’avoue que je ne comprends pas bien ce système qui vise à décourager toute forme d’enthousiasme professionnel, de recherche intellectuelle, de partage de compétences… A vrai dire, que me reproche-t-on ? De m’intéresser aux sciences de l’éducation ? Est-ce là une tare pour une enseignante? De ne pas être diplômée d’un IEP et de demander une équivalence ? Le monde universitaire accepte bien de valider un niveau de compétence sur la base des travaux publiés et des enseignements effectués….
- Une expérience du système scolaire en tant qu’élève
Ces expériences d’enseignante me renvoient à celles que j’ai pu faire en tant qu’élève. Bien souvent, les enseignants se plaignent d’avoir face à eux des élèves passifs et qui ne s'intéressent pas aux savoirs que leur propose l’école. Je crois avoir été tout le contraire de ce portrait et pourtant j’ai été en échec scolaire, en particulier durant mes années de collège. J’étais décrite comme une élève cultivée et qui participait activement en cours, mais a-scolaire. A-scolaire, cela signifiait pour les enseignants que je m'intéressais à mes propres recherches intellectuelles et que je ne me soumettais pas aux rythmes et aux programmes de l’école. Il aurait fallu que je désire apprendre ce que l’école me proposait et au rythme où l’école me l’imposait.
Pourtant, je pense que c’est parce que je ne me soumettais pas à la bureaucratie scolaire, mais que je mettais au centre mon propre désir de connaître, que je n’ai pas perdu cet enthousiasme vis-à-vis de la connaissance et du savoir. En définitive, ce que me reprochait l’école, ce sont justement les qualités qui m’ont le plus servi dans la recherche universitaire: la passion de connaître et le goût pour la recherche autonome. C’est avec cet enthousiasme pour la connaissance et la recherche que je suis arrivée dans le système scolaire comme enseignante. C’est cela qui me conduit à m'intéresser aux sciences de l’éducation. J’ai d’ailleurs bien été surprise de constater que les ouvrages consacrés à ces sujets au CDI de mon lycée n’étaient guères empruntés par les autres enseignants et dataient pour l’essentiel d’avant les années 1980.
On lit parfois que les pédagogies actives, en particulier les pédagogies de projet, ne sont pas adaptées pour les élèves issus des classes populaires. Bien qu’issue de ce milieu social, je pense que, tout au contraire, elles m’auraient parfaitement convenu. Je ressentais une grande frustration vis-à-vis des exercices où l’on nous demandais seulement de restituer un savoir. Ce que je désirais, c’était pouvoir comprendre le monde qui m’entourait.
En conclusion, il me semble que le système scolaire est en grande partie responsable de l’échec scolaire. Tout d’abord, parce qu’il tue le désir de savoir des élèves, la période fatidique se situant au collège.
Mais ce système anéantit le désir de connaître des élèves, comme il s’assure de le briser si possible chez les enseignants, si ceux-ci n’ont pas déjà été parfaitement normés auparavant. Comment un enseignant qui a perdu depuis longtemps la passion d’apprendre et d’expérimenter par lui-même pourrait-il la transmettre aux élèves ?
C’est un système qui ne favorise pas les conditions d’une authentique excellence intellectuelle. On peut en effet admettre que ces qualités sont celles qui caractérisent le monde de la recherche. Or ce sont des caractéristiques qui insupportent à l’enseignement secondaire: c’est ce dont j’ai fait l’expérience en tant qu’élève et ce dont je continue à faire l’expérience en tant qu’enseignante dans le secondaire.
Irène Pereira
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B.Roche (dimanche, 30 mars 2014 19:50)
Tout cela ne m'étonne pas du tout.
Mes années de lycée sont les pires années de ma vie et sont synonymes d'un profond ennui.
L'éducation nationale est une formidable machine à broyer celles et ceux qui ne se glissent pas dans le moule, élèves ou professeurs.
C'est le règne du conformisme et l'éteignoir de toute curiosité intellectuelle.
Les enseignants du secondaire qui ont compté pour moi se comptent sur les doigts d'une main ( la gauche de Django).