Le discours scolaire sur la place de la réflexion personnelle est source de malentendus cognitifs chez nombre d’élèves. Ceux-ci identifient la réflexion personnelle à l’expression d’une subjectivité, à l’affirmation d’un sentiment personnel sur un sujet. Néanmoins, à l’inverse, il n’est pas certain que l’évaluation scolaire favorise paradoxalement les qualités de créativité intellectuelle nécessaires à l’innovation dans la recherche et le monde professionnel. Il est possible alors de se demander ce que peut recouvrir l’expression “réflexion personnelle”.
- Des malentendus cognitifs
Les élèves oscillent entre deux attitudes face au travail scolaire: la première est celle de la pure extériorité, la seconde est celle de la recherche d’une expression de soi.
L’affirmation de la mise en oeuvre d’une réflexion personnelle est alors comprise bien souvent comme le fait de donner son opinion personnelle. Il s’agit dans un certain nombre de cas d’une opinion qui est assenée sans argumentation. Celle-ci peut prendre bien souvent la forme d’un jugement de valeur.
Mais il peut s’agit également d’une affirmation argumentée mais qui s’appuie sur une méconnaissance du sujet abordé sans que l’élève ait conscience de la différence entre opinion personnelle et avis informé. Pour avoir un avis personnel informé, il faudrait qu’il possède un certain nombre de connaissances préalables.
De ce fait, nombre d’enseignants préfèrent alors demander aux élèves de s’abstenir de l’usage de la première personne et de tout jugement de valeur.
- La réflexion personnelle comme démarche originale
Bien souvent, les enseignants considèrent qu’un devoir qui fait preuve de réflexion personnelle est celui qui parvient à réutiliser des connaissances vues en cours dans un autre cadre. La réflexion personnelle est ici synonyme de capacité à effectuer des raisonnements par analogie. Au-delà, cette expression semble valoriser une copie qui parvient à une conclusion en empruntant une démarche cohérente mais qui n’est pas nécessairement celle qu’avait prévu l’enseignant.
Néanmoins, la question du positionnement de l’élève par rapport à la conclusion à laquelle il est parvenu n’est pas prise en considération. S’agit-il pour lui seulement d’une réponse convenue ou d’une conviction ? Considère-t-il que la réponse à laquelle il est parvenu est une vérité absolue ou seulement une connaissance justifiée ?
- La réflexion personnelle comme vision originale
Néanmoins, l’originalité d’une réflexion ne se mesure pas seulement à l’originalité de la démarche, mais également à celle des résultats. En mathématiques, il y a certes les mathématiciens qui proposent de démonstrations nouvelles d’un théorème, mais il y a également ceux qui ont l’intuition d’un nouveau théorème, qui formulent des conjectures.
On peut bien supposer qu’un élève et un étudiant, durant leurs premières années, ne possèdent pas les capacités d’innover, mais il est sans doute également possible de favoriser des dispositions d’esprit qui favorisent la créativité intellectuelle.
C’est pourquoi les travaux demandés aux élèves ne doivent pas seulement leur permettre de développer une démarche personnelle pour parvenir à une conclusion, mais faire en sorte que la conclusion obtenue soit une conviction.
Il est possible, pour cela, de s’appuyer tout d’abord sur le travail de problématisation. En formulant le problème, sous la forme d’une controverse scientifique ou philosophique, l’élève se trouve en situation de prendre partie dans le cadre de cette controverse. L’élève ou l’étudiant se trouve inscrit dans une démarche où il est contraint de se demander: qu’est-ce que je veux montrer ? et ainsi à sortir d’une approche purement descriptive inconsciente en outre des présupposés qu’impliquent toute description.
En outre, l’interdiction de toute évaluation normative et de toute énonciation en première personne tend à développer un rapport religieux à la science, la faisant passer pour un savoir absolu. Il y aurait d’un côté l’opinion personnelle et de l’autre la vérité scientifique. En réalité, les degrés de justification des discours sont plus complexes. Une affirmation portant sur un fait possède des conditions d’élaboration qui peuvent être discutées. Les jugements normatifs peuvent faire l’objet de justifications plus ou moins élaborées.
Il s’agit enfin d’un positionnement épistémologiquement discutable de penser qu’il est possible de distinguer de manière tranchée entre jugement de fait et jugement de valeur. La qualification des faits suppose un travail de conceptualisation qui n’est pas exempt de connotation axiologique. Ainsi, qualifier un Etat de démocratie représentative ou de régime autoritaire peut faire l’objet d’un consensus scientifique, il n’empêche que ces termes incluent des connotations axiologiques qui sont différentes.
Néanmoins, l’effort qu’effectue l’élève pour défendre une conviction doit être confronté à des épreuves épistémiques le long de la copie qui s’appuient sur les connaissances disciplinaires acquises. C’est la confrontation à des épreuves épistémiques qui transforme la conviction personnelle du scientifique en une connaissance scientifique.
Conclusion: Ainsi, il est peut-être plus judicieux d’apprendre aux élèves à distinguer entre “avis personnel” et “réflexion personnelle”. L’histoire suivante pourrait en donner une illustration:
“Imaginons que des élèves arrivent dans une salle de cours dont la porte a été sortie de ses gonds. Chaque élève pourrait y aller de son avis personnel sur les raisons de cet acte et si c’est une bonne ou une mauvaise chose. Néanmoins, s’il s’avère que l’un d’eux observe que la serrure est cassée, se formule l’hypothèse que se sont les ouvriers qui ont déplacé la porte et va vérifier son hypothèse auprès des interessés, on pourra dire qu’il a fait preuve de réflexion personnelle”. La réflexion personnelle n’est donc pas antinomique avec l’opinion personnelle, mais elle la dépasse par le processus d’épreuves épistémiques à laquelle elle la soumet.
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