Education: l’invisibilisation du travail reproductif

 

Les analyses sur l’éducation ont eu tendance et tendent encore aujourd’hui à invisibiliser les rapports sociaux de sexe. En particulier, c’est le cas de la place anthropologique et sociale du travail reproductif (ou travail du care, car ici les deux notions fonctionneront comme synonymes).

 

“La femme est la prolétaire du prolétaire même” (Flora Tristan)

 

I- L’éducation ouvrière et l’invisibilité du travail reproductif

 

Les textes sur l’éducation ouvrière centrés sur l’éducation intégrale chez les penseurs du XIXe et du début du XXe siècle mettent en avant la nécessité de remettre en question la division sociale du travail entre intellectuel et manuel.

 

L’éducation ouvrière ou syndicale doit préparer les élèves à la production. Mais il ne s’agit pas seulement d’en faire des travailleurs manuels. L’ouvrier qualifié doit être également un savant. Il ne peut y avoir de bonne science sans un savoir-faire manuel, ni de savoir-faire manuel sans maîtrise scientifique.

 

Ce qui est ici central, c’est le travail productif qui transforme la nature sauvage tout comme la nature humaine.

 

II- Les limites de l’éducation ouvrière

 

Le concept philosophique de travail chez les socialistes du XIXe siècle est centré sur le travail productif et son exploitation. C’est lui qui constitue la base de l’anthropisation.

 

Si le travail reproductif n’est pas pris en compte, c’est qu’il est rattaché au besoin naturel. Alors que le travail productif est ce qui libère de la contrainte naturelle en édifiant la culture.

 

Néanmoins, il est possible de donner une toute autre signification au travail reproductif. C’est ce que les féministes matérialistes des années 1970 se sont attachées à effectuer en le dénaturalisant. C’est au contraire le travail reproductif qui se situe à l’articulation de la nature et de la culture. Il est créateur comme la nature est créatrice puisqu’il engendre la vie. Mais par le travail du care se constitue une éthique de la sollicitude qui se trouve au fondement de l’humanisation. La néoténie de l’enfant est ce qui rend possible la plus grande plasticité de l’espèce humaine, mais c’est également ce qui contraint, pour la survie de l’humanité, à s’occuper de et à élever l’enfant qui ne peut se débrouiller seul. L’enfant peut survivre au décès à la naissance de la mère, en revanche il ne peut pas survivre sans des soins prolongés. C’est là ce qui montre le caractère socialement construit de l’assignation sociale aux femmes du travail reproductif.

 

De manière générale, il est possible d’effectuer trois critiques de la centralité du travail productif mise en avant par le mouvement ouvrier:

 

Cette centralité du travail productif se trouve entrer en contradiction à partir des années 70 avec la conscience écologique. En effet, n’est ce pas dans la centralité accordée à la production industrielle dans notre société qu’il faut voir la condition de possibilité de la destruction de l’environnement ?

 

La centralité du travail productif se trouve en outre dans les années 1970 entrer en contradiction avec l’invisibilisation du travail reproductif. N’est-ce pas par l’invisibilisation même du travail reproductif que l’exploitation des femmes n’a pas pu être analysée correctement par les penseurs socialistes ?

 

Enfin, la centralité accordée au travail productif n’entre-t-elle pas en contradiction avec la tertiarisation de la société et le développement d’emplois non-qualifiés occupés par des femmes et dévolus au travail du care: accueil, nettoyage, soin à la personne…?

 

Les concepts de travail reproductif et de travail du care sont liés. Le travail reproductif désigne un travail qui permet la reproduction de la force de travail: éducation des enfants, travail domestique (nettoyage et nourriture).... Il vise à préserver, à prendre soin de ce qui est.

 

III- Le travail reproductif dans les questions actuelles en matière d’éducation

 

Le système scolaire fonctionne comme une instance de reproduction sociale. Mais au coeur de celle-ci la question du travail reproductif se trouve en partie invisbilisée.

 

- La centralité du travail reproductif:

 

La question du travail reproductif ou du travail du care est centrale à plusieurs égards:

 

- elle se pose dans le rôle que continuent à jouer les mères dans l’éducation des enfants et la prise en charge du travail reproductif en général

 

- elle se joue dans l’éducation différenciée des filles et des garçons: l’éducation des filles les prépare à prendre en charge le travail reproductif

 

- elle se joue dans l’échec scolaire des garçons, en particulier ceux issus des classes populaires: une éducation très genrée qui les tient éloignés du travail reproductif, du care, qui favorise une division sexuée du travail.

 

- elle est présente dans le fait que ce sont majoritairement des femmes qui assument le travail reproductif d’éducation dans les systèmes d’enseignement primaire et secondaire.

 

- cette question est à l’oeuvre également dans l’ensemble des emplois non-qualifiés du care, qui se trouvent dévolus aux femmes issues des classes populaires, en particulier immigrées, qui sortent peu diplômées du système scolaire.

 

- enfin, elle est présente lorsque des femmes issues des classes moyennes supérieures emploient à domicile des femmes des classes populaires pour échapper elles-mêmes à l’exploitation du travail domestique, contribuant de ce fait à la reproduction de l’inégalité de sexe et de classe..

 

- Son invisibilisation:

 

Pourtant la question du travail reproductif se trouve largement invisibilisée dans les débats sur l’éducation:

 

- Au XIXe et au début du XXe siècles, les socialistes revendiquaient une éducation intégrale, à la fois manuelle et intellectuelle. Aujourd’hui, avec la tertiarisation de l’économie, la revendication que tous soient des travailleurs manuels productifs qualifiés semble avoir perdu de sa centralité.

 

- En revanche, la question de l’éducation au travail reproductif n’a jamais été posée de manière centrale. Elle a été identifiée à des cours d’économie domestique, dans une société où les cours étaient non-mixtes et où les travaux domestiques étaient dévolus aux femmes.

 

- Or la question du travail domestique, à la différence du travail productif, est un travail en partie manuel (faire le ménage et faire à manger), considéré socialement comme non-qualifié, auquel sont confrontés tous les individus, mais qui ne se pose pas de la même manière en fonction du sexe et de la classe sociale. En particulier, ce travail pose la question de l’exploitation des femmes des classes populaires.

 

- Poser ouvertement la question de l’éducation au travail domestique dans notre société a plusieurs enjeux:

 

-> c’est poser la question de l’exploitation des femmes (épouses et filles) dans l’espace domestique

 

-> c’est poser la question du sur-échec scolaire des garçons par rapport aux filles et son lien avec les prises de responsabilité qui sont exigés des filles dans les tâches ménagères. En effet, un discours tend à naturaliser l’immaturité des garçons au lieu de la considérer comme une conséquence sociale.

 

-> c’est poser la question de la maîtrise d’un ensemble de savoir-faire qui sont socialement méprisés et pourtant nécessaires à l’autonomie de tous les individus. Cette autonomie est une question qui a des implications par rapport à la question écologique. L’assujetissement aux produits industriels a pour corollaire également une perte des savoir-faire domestiques.

 

Un aspect du modèle finlandais: Il est à remarquer que l’on signale peu qu’outre le travail manuel, en Finlande, les élèves reçoivent également des cours d’économie domestique.

 

 

Ainsi lorsque Rousseau dit qu’Emile, pour être autonome, doit apprendre un travail manuel n’aurait-il pas mieux fait de dire que tous les enfants - en particulier les garçons -, pour être autonomes, devraient recevoir des cours d’économie domestique ?

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