L’objectif du “bien-être” à l’école est tout à fait légitime, mais il devient problématique quand il ne porte plus sur les conditions d’enseignement, mais qu’il devient une finalité en soi de l’acte éducatif.
La critique des facteurs de stress et de mal-être scolaire
La critique adressée à la logique concurrentielle et compétitive qui organise l’école, en particulier par le système de notation, possède une légitimité qui se justifie à plusieurs égards. Cette compétition crée une souffrance scolaire. Cette dernière n’est même pas justifiée par le fait qu’elle serait la condition de possibilité sine qua non de l’excellence scolaire comme le montre a contrario l’exemple de la Finlande. Enfin, cette compétition favorise chez les élèves la fabrication d’un utilitarisme scolaire tourné vers les finalités professionnelles qui nuit au développement d’un intérêt intrinsèque et donc au désir d’apprendre..
Les conséquences discutables de la finalité du bien-être scolaire
Néanmoins, l’accent mis sur le bien-être scolaire peut aboutir à des conséquences perverses.
En effet, il arrive parfois que certains enseignants soient conduits à développer un discours qui met l’accent sur le bien-être au détriment de l’émancipation éducative, qui passe par une encapacitation (ou plutôt un empowerment) en dotant les élèves d’armes critiques et en leur apprenant à s’en servir (formation de l’esprit critique).
Cette rhétorique du bien-être scolaire peut être d’autant plus négative lorsqu’elle porte sur des élèves socialement dominés. Sous pretexte qu’ils ont peu de chance de réussir du fait de la reproduction sociale ou du fait que s’ils échappent à la reproduction sociale, ce sera au prix d’efforts très coûteux, il n’est pas nécessaire de mettre l’accent sur l’acquisition des compétences critiques, mais il est préférable de ne pas les traumatiser, de les rendre heureux à l’école.
Ce discours sur les élèves des classes populaires s’accompagne parfois également d’une critique de la trahison de classe qu’impliquerait de toute façon la réussite scolaire. Or un tel constat est une perspective plutôt masculine sur les rapports entre école et monde professionnel. En effet, pour nombre de filles, l’ascension scolaire ne conduit pas à l’ascension sociale. C’est bien plutôt une réussite scolaire paradoxale qui caractérise les filles de ce point de vue là.
C’est oublier en outre que cette finalité du bien-être, sous ses dehors humanistes, s’accommode parfaitement avec la logique libérale capitaliste. L’économie du bien-être est compatible avec l’anthropologie de l’homo economicus: la finalité de l’existence est de fuir la douleur et de rechercher le plaisir. Il est ainsi possible de développer toute une consommation de biens et de services tournés autour de la réalisation du bien-être.
Classes populaires et éducation du travail
L’éducation qui prend comme première finalité le bien-être s’appuie sur une conception de l’identité individuelle dans laquelle cette dernière est donnée immédiatement et une fois pour toutes. Il s’agit alors que l’éducation s’adapte à ce qui correspond au plaisir propre à cette identité authentique. L’objectif est de respecter la personnalité authentique de l’individu, elle n’est pas de l’adapter aux normes sociales dominantes. Le modèle éducatif développé à Summerhill par Alexander Neill illustre un tel objectif (Cf. l’ouvrage de Neill, Libres enfants de Summerhill).
Mais telle n’est pas la tradition des pédagogies libertaires de filliation anarchiste qui revendiquent une éducation ouvrière. Dans cette conception, l’identité n’est pas donnée une fois pour toute de manière innée. Elle est le produit d’une activité sociale: le travail. L’identité se construit progressivement dans un faire. Le bien-être n’est pas la finalité de cette activité. Il n’en est que l’effet. La finalité individuelle de l’action: c’est la création de soi par soi.
Mais cette finalité individuelle est inséparable de sa dimension sociale dans la mesure où l’individu est d’emblée un être social. Le travail implique une solidarité sociale liée à la division technique des savoir-faire. De ce fait, cette action individuelle ne trouve pleinement son sens que si le projet individuel s’inscrit dans un projet d’émancipation sociale collective.
C’est ainsi la thèse que developpe Castoriadis dans sa réflexion sur la paideia: l’institution de l’autonomie individuelle est inséparable de l’institution sociale d’une autonomie collective.
Conclusion: Certains courants pédagogiques ont mis au coeur de leur dispositif la recherche du bien-être et du développement personnel. Parfois qualifiés de libertaire, c’est courant n’ont en réalité que peu à voir avec la tradition pédagogique libertaire initiale, issue du mouvement ouvrier.
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