Des fins et des moyens: un apprenant autonome
Les pratiques pédagogiques n’ont de sens que relativement aux finalités qu’on leur assigne. Ces finalités peuvent être certes divergentes. Néanmoins, cela n’empêche pas l’existence de certains modèles qui dépassent les clivages.
Des finalités de l’éducation
Les pratiques éducatives peuvent viser l’émergence de types divergents d’individus. Certains projets éducatifs valorisent l’adaptation sociale, en particulier à l’appareil de production, tandis que d’autres exaltent l’épanouissement individuel avant toute autre considération. Certains se centrent sur la constitution d’un citoyen démocratique participatif, tandis que d’autres visent avant tout l’émergence de qualités critiques.
Néanmoins, par-delà ces divergences générales, il est possible de remarquer un point de consensus. Il n’est pas ainsi de projet éducatif qui ne valorise la production d’un apprenant autonome: aussi bien dans les modèles républicains que néo-libéraux ou libertaires.
L’apprenant autonome est celui qui possède la capacité d’organiser son temps afin de rechercher les informations pertinentes pour mener à bien son apprentissage, d’assimiler les savoirs et les savoir-faire nécessaires à la maîtrise d’un domaine de compétence.
Cette figure de l’apprenant autonome peut prendre plusieurs formes selon les conceptions: le chercheur, l’autodidacte ou encore l’autoformation dans le cadre professionnel. Cette autonomie dans l’apprentissage n’est néanmoins valorisée que dans la mesure où elle conduit effectivement à une maîtrise reconnue dans un ou plusieurs domaines. Elle peut sinon à l’inverse être ridiculisée par ceux qui détiennent des savoirs légitimés institutionnellement. C’est pourquoi les diplômes ou la réussite à des concours peuvent constituer le passage obligé d’une telle reconnaissance.
Il est possible de prendre le cas d’une figure type qui illustre le cas de cet apprenant autonome. Il peut s’agir par exemple d’un salarié qui passe un diplôme par correspondance. On sait en effet que plus de 80% des personnes inscrites par correspondance ne parviennent pas au terme de leur diplôme. Dans le cas des MOOCs, modalité qui connaît une importante expansion actuellement, on sait que le taux d’abandon est élevé. Le MOOC s’avère surtout adapté pour acquérir une qualification complémentaire dans un domaine d’expertise où l’apprenant est déjà diplômé.
A partir de là, il s’agit de se demander quelles sont les conditions de production d’un apprenant autonome.
Des moyens en vue d’une fin
On a parfois l’impression en pédagogie que les moyens en viennent à prendre le pas sur les fins poursuivies. Des pratiques se trouvent fétichisées en elles-mêmes, alors qu’il est sans doute nécessaire de ne pas perdre de vue la fin poursuivie qui doit rester l’objectif principal. Or comme on l’a vu la production d’un apprenant autonome constitue une fin admise indépendamment des clivages liés aux projets sociopolitiques.
Les pratiques pédagogiques susceptibles de produire un tel type d’apprenant doivent permettre d'accéder à une maîtrise: a) de planification du temps b) de recherche documentaire c) de compréhension des savoirs et des savoir-faire permettant leur contextualisation et leur décontextualisation d) de leur mémorisation.
En réalité, on peut remarquer que l’ensemble de ces compétences supposent une capacité de classification:
1) Organiser son temps pour apprendre, c’est en effet être capable de distinguer entre temps indisponible et temps disponible, d’organiser un ordre dans les tâches à effectuer pour parvenir à la maîtrise des apprentissages.
2) La compréhension de l’information suppose d’être capable d’en saisir la logique d’organisation. Une information qui n’est pas comprise, est une information qui n’est pas intégrée dans un réseau de classification sémantique.
3) La mémorisation de l’information permettant sa réutilisation à long terme suppose ainsi que celle-ci s’inscrive dans un ensemble organisé cognitivement. C’est pourquoi il existe un lien étroit entre compréhension et mémorisation, même si la compréhension ne suffit pas à la mémorisation.
Dans la vie quotidienne, les individus sont exposés à quantité d’informations par le biais des médias audio-visuels ou de lectures. L’apprenant autonome n’est pas seulement celui qui est capable de retenir des informations éparses, mais celui qui mémorise ces informations en les intégrants dans un réseau sémantique qu’il construit progressivement et réorganise en permanence. Il retient l’information parce qu’elle vient s’intégrer dans ce réseau, mais en outre il en a une compréhension d’autant plus profonde qu’elle s’inscrit dans un réseau sémantique développé. Ainsi, l’autodidaxie de Bouvard et Pécuchet, imaginée par Flaubert, souffre du fait que les informations constituent des contenus accumulés sans s’inscrire dans une organisation sémantique qui leur donne sens et permet de les problématiser.
Conclusion: Les pratiques pédagogiques permettant de former à l’autonomie d’apprentissage ne peuvent se résumer à des techniques. Elles doivent se concentrer sur l’activité mentale qui permet à l’individu de se construire son propre réseau sémantique dans lequel viennent s’intégrer et se reconstruire en permanence les nouveaux savoirs et savoirs faire.
Apprendre de manière autonome, c’est se construire progressivement une vision du monde cohérente. Une conscience claire de l’opposition entre sa vision du monde et d’autres visions du monde est la condition de possibilité de l’esprit critique. Il y a sur ce plan une congruence entre l’approche connexionniste des travaux sur l’apprentissage en psychologie cognitive et les conceptions gnoséologiques développées par Edgar Morin ou Michel Serres. Il est probable que ces deux derniers auteurs ont une conscience méta-cognitive claire de ce que leur autonomie d’apprennant repose sur leur forte capacité à connecter et à organiser les savoirs entre-eux.
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