Le stade geek du capitalisme culturel

 

 

Depuis 2011, le jeu video est devenu la première industrie culturelle mondiale avec un volume de chiffre d’affaire de 52 Milliards d’Euros. Cela constitue la marque du passage à un nouveau stade des industries culturelles que l’on peut appeler le stade “Geek” de l’industrie culturelle.

 

Une nouvelle phase dans la production de biens culturels

 

La culture Geek désigne un ensemble de produits générés par les industries culturelles à destination des adolescents.

 

Un geek désigne dans la représentation populaire un individu qui passe une grande partie de son temps connecté au monde virtuel de l'Internet. Depuis les années 2010, les adolescents, qu'ils soient américains ou français par exemple, passent plus de temps devant des écrans connectés que devant la télévision. Le stade Geek du capitalisme culturel est donc tout d'abord le stade de l'industrie culturelle sur support numérique.

 

Depuis les années 1968, la société du spectacle a fait de la culture adolescente (musiques, bande dessinée...) son coeur de cible. Néanmoins, à l’ère du numérique correspond une nouvelle phase dans la production des produits de consommation culturels. Adorno dans son article intitulé “Les Industries culturelles” centre sa critique sur le cinéma. Avec le dépassement du cinéma par le jeu video, il est possible de considérer qu’il s’agit de l’avènement d’une nouvelle phase de la production culturelle.

En effet, à la différence du cinéma qui a pu génèrer certaines oeuvres artistiques dont le contenu de signification prime sur la logique marchande, les spécialistes du jeu video (voir par exemple les travaux de Sebastien Genevo) soulignent que la production de contenu dans l’industrie du jeu video est plus contrainte par les normes marchandes que celle du cinéma. La production de jeux videos artistiques indépendants occupe une place bien plus encore marginale que le cinéma d’auteur.

 

Les caractéristiques de la logique marchande de la culture Geek

 

L’encyclopédie Wikipedia présente le geek de la manière suivante:

 

“Un geek (/gik/), francisé en allumé, est un terme d'argot américain, qui désigne une personne extrêmement pointue dans un domaine précis, plus souvent utilisé pour les domaines liés aux « cultures de l'imaginaire », à la technologie et l'informatique. [...] L’archétype classique du geek est celui de l'adolescent passionné d'électronique ou d'informatique. Cette passion s’exprime concrètement à travers de nombreuses activités, telles que la musique, le jeu de rôle, le cinéma, les séries télévisées, les jeux vidéo, la bande dessinée, le manga ou encore la programmation informatique”.

 

La logique marchande de la culture Geek présente les caractéristiques suivantes:

 

a) La culture geek est une culture mondialisée qui est marquée par la suprématie américaine, concurrencée par les productions culturelles japonaises. En effet, on peut la résumer de manière simplificatrice mais efficace à une opposition entre le comics et le manga en bande déssiné et cinéma ou entre Nintendo et Electronics Arts.

 

b) La culture geek est une culture du numérique où le même contenu culturel est décliné sur des supports médias différents qui sont mis en réseau: jeu video, film, série télévisée, bande dessinée. Le “manga numérique” constitue par exemple une forme de l’hybridation entre le numérique et la bande dessinée.

 

c) La culture geek génére un important marchandising à partir de produits dérivés: figurines, vêtements….

 

d) La culture geek étant liée au numérique, elle génére également une grande partie de son chiffre d’affaire en lien avec la logique de l’obsolescence et de l’innovation Hi-tech. De fait, le geek dans l’image populaire désigne l’individu qui possède les derniers objets Hi-tech. De ce fait, la science fiction constitue également un genre populaire au sein de la culture Geek.

 

e) L’héroic fantasy: au sein de la culture Geek, il est interessant de s’interroger sur la place d’un genre issu de la littérature, dont Tolkien constitue une figure majeure, à savoir l’Héroic fantasy. Ce genre présente l’interêt de supposer la constitution d’un monde virtuel complet dans lequel se trouve immergé le lecteur ou le joueur. Il présente ainsi un grand intérêt pour servir de support à la constitution en particulier de jeux videos à monde persistant.

En effet, dans la lutte de l’économie de l’attention, un des enjeux est de maintenir le plus lontemps possible l’individu dans le monde virtuel de l’Internet où le volume des achats en ligne ne cesse d’augmenter.

 

Conclusion: La télévision a engendré par sa logique de l’audimat (“le temps de cerveau disponible”) une production de biens culturels formatés et au contenu critique faible.

Selon les études actuelles, les jeunes passent plus de temps chaque semaine devant leurs écran connecté à Internet que devant l’écran de la télévision.

Mais dans cette lutte économique pour capter l’attention des adolescents, il n’est pas certain que la culture geek génére des formes culturelles plus originales et moins standardisées que la télévision. Au contraire, cette culture, dans ses versions les plus populaires, repose sur la repétition de schèmas stéreotypés sur différents supports: on peut prendre comme exemple la succession des adaptations de comics Marvel au cinéma déclinés ensuite en jeux video.

 

Référence:

 

Frederic Martel, Mainstream - Enquête sur cette culture qui plaît à tout le mond, Flammarion, 2012.