Dans Fahrenheit 451, Ray Bradebury décrivait une dictature qui avait décidé de faire disparaître la culture du livre en chassant les détenteurs d'ouvrages et en effectuant des autodafés. On peut se demander dans quelle mesure le passage de la culture du livre à la culture numérique ne présente pas certaines similarités avec cette situation.
Dans Fahrenheit 451, afin d'échapper à la disparition de la culture du livre, les résistants apprennent des ouvrages par cœur. Cette solution présente la singularité de faire revenir la culture à un état qui est antérieur à celui de l'écrit. En effet, le passage de la culture orale à la culture écrite avait été décrit par certains comme un affadissement des capacités de mémorisation humaines. On trouve par exemple l'écho d'une telle critique dans Le Phèdre de Platon.
Aujourd'hui, on constate une baisse de la lecture d'ouvrages, en particulier chez les adolescents, tous milieux sociaux confondus. Or parallèlement à cela, la pratique de la lecture est la seule activité de loisir qui est corrélée positivement à la réussite scolaire. Les études internationales notent des résultats significativement supérieurs aux tests lorsque les élèves lisent entre 30 minutes et 1 heure par jours.
Cette baisse de la lecture date du début des années 1980 avec la généralisation de la télévision et se poursuit avec le numérique. Certes on peut considérer que ces pratiques de lecture se sont transformées pour passer du livre à l'écran. Mais la lecture sur écran possède un certain nombre de caractéristiques qui sont différentes de celle sur support papier.
Les recherches scientifiques tendent à remarquer que la lecture sur écran est plus dispersée. Les contenus multimédia, la luminosité de l'écran, les hyperliens, les publicités...tout cela tend à distraire l'attention.
Certains scientifiques s'inquiètent ainsi de la baisse des capacités de lecture profonde. L'écran sollicite l'attention, mais il ne favorise pas l'attention endogène. On peut ainsi craindre que la généralisation dans les classes des écrans accentue encore ce phénomène.
Lire un livre, c'est une activité ascétique qui suppose de s'isoler durant une durée relativement importante et de concentrer son attention sur cet objet. On peut supposer que la lecture d'ouvrage favorise des qualités d'engagement dans la tâche et d'attention endogène. On peut donc se demander si l'individu qui est capable de s'isoler des influences extérieures pour prendre le temps de lire un ouvrage ne constitue pas un type humain en passe de devenir obsolète.
Lire des livres est une activité qui pour la société spectaculaire marchande présente moins d'intérêt que la lecture sur support numérique. Il est au contraire économiquement plus avantageux de maintenir le plus longtemps l'individu dans le monde virtuel afin de récolter des données permettant de le soumettre à un profilage commercial et de le matraquer avec des messages publicitaires ciblés en s'appuyant par exemple sur les techniques du neuromarketing. S'isoler pour lire un ouvrage devient ainsi un acte de résistance face à la logique de la société de l'image spectaculaire marchande.
On peut ainsi se demander si à l'avenir, cette qualité d'attention et de concentration ne sera pas un luxe que tendront à rechercher les classes sociales supérieures en particulier pour l'éducation de leurs enfants. Le choix qu'effectuent des professionnels de l'informatique dans la Silicon Walley de mettre leurs enfants dans des écoles Wardoff peut déjà être interprété comme participant d'un tel mouvement.
NB: En 2011, à 91 ans, Ray Bradbury a accepté contraint la commercialisation sous format numérique de Farenheit 451.
Annexe :
Book : la révolution technologique
https://www.youtube.com/watch?v=Q_uaI28LGJk
Extrait du Film de François Truffaut, Fahrenheit 451 :
https://www.youtube.com/watch?v=976u_C5XnCc
Arkana Keny, V pour Vérités (2011)
https://www.youtube.com/watch?v=622QUs5aZeQ
Écrire commentaire