L'une des tendances de l'école du numérique consiste dans la promotion des serious games. Ceux-ci sont valorisés pour leur capacité à induire la motivation des apprenants. Néanmoins, il est nécessaire de mettre en perspective ce point avec les théories de la psychologie de l'implication et son usage par le marketing et le management.
Le « game » : de la théorie de l'implication à la théorie du fun
Ce qui est souligné dans les discours officiels (comme le rapport Fourgous de 2010) sur les serious game, c'est qu'ils favorisent la motivation de l'apprenant. Mais quelles sont les théories et les implications de cette motivation par le jeu ?
La motivation que produit le jeu serait lié au « circuit de la récompense ». Il s'agit d'un mécanisme neurologique qui expliquerait les phénomènes d'addiction où le plaisir tiré d'un produit ou d'une activité serait lié à la libération de dopamine dans le cerveau. Cette théorie issues de neurosciences est en phase avec la psychologie behavoriste qui appuie sa théorie de l'apprentissage sur le système récompense/renforcement pour induire un comportement.
Il est possible de rappeler les proximités entre l’anthropologie behavoriste et l'homo oeconomicus : dans les deux cas, l'individu est mu par le principe de plaisir. L'homo oeconomicus cherche à agir en maximisant son plaisir. Dans une telle conception de l'être humain, celui-ci n'est disposé à apprendre et ne cherche à apprendre que si cela lui procure du plaisir. Le plaisir est la finalité ultime de l'existence humaine.
Ce rapprochement entre engagement dans le game et économie est effectuée avec la théorie du fun et la gamification. Cette dernière notion vise à appliquer les théories de la psychologie de l'implication et les jeux videos à d'autres domaines tels que le travail ou le marketing.
Travailler et consommer : c'est trop fun
La gamification est par exemple utilisée en publicité avec l'advergame ou jeu publicitaire. Face aux innombrables sollicitations publicitaires que reçoivent chaque jours les consommateurs, le jeu publicaitaire permet de créer une relation plus durable entre le consommateur et la marque.
La gamification est également utilisée par les réseaux sociaux, tels que twitter et facebook. il permet de maintenir l'engagement et la connexion des utilisateurs plus durablement sur leur plateforme. Le jeu Farmville en constitue un bon exemple.
La gamification est également utilisée au sein de l'entreprise par exemple dans le secteur de la formation avec des serious games. Mais, elle peut être également un outils de management : présenter une tâche sous la forme d'un jeu pourrait permettre d'obtenir un meilleur engagement du salarié. Ce qui est visé, c'est l' « expérience du flow » : un état dans lequel le joueur se trouve dans un état de concentration intense et de bien-être qui lui fait oublier l'écoulement du temps. Le « game » présente en outre l'avantage de comporter une structure commune avec le monde de l'entreprise à savoir : l'esprit de compétition.
Avec une gamification de l'éducation, du travail et du temps de loisir, c'est la question de la ludification de l'existence dans son ensemble qui se trouve posée. L'existence perd son sérieux et son tragique pour être vécue sur le mode fictif du jeu. Si ce n'est pas pour de vrai, si c'est pour jouer, alors j'ai droit à une deuxième vie...
Néanmoins, la gamification de l'existence se retrouve au prise avec le tragique lorsque des jeux videos sont utilisés, par exemple aux Etats-Unis, pour inciter des jeunes à s'engager dans l'armée ou pour l’entraînement des soldats.
Conclusion :
En s'appuyant avec le serious game, sur la théorie du fun, l'école ne risque-t-elle pas de participer à ce mouvement de gamification de l'existence ? Au lieu d'être un espace chargé de doter l'élève d'instruments critiques, ne se retrouverait-elle pas à devenir un instrument d'intériorisation des techniques de marketing et des pratiques néo-manageriales ?
Lorsque Nietzsche décrit « le dernier homme » dans ainsi parlait Zarathoustra, celui-ci est un type d'individu qui a pour valeur supérieure le bonheur entendu comme plaisir. Il a renoncé à toute autre aspiration existentielle, à toute forme de perfectionnisme éthique. En effet, il existait toute une tradition philosophique qui avait non pas fait du jeu, mais de l'effort lié à l'action et au travail, l'instrument d'un perfectionnement de soi, d'une création existentielle de soi...
Liens :
« Le jeu est-il l'avenir du travail ? » (Le temps, juillet 2014)
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/1deafca0-0295-11e4-b15c-92443eee623d/Le_jeu_est_lavenir_du_travail
Haydée Silva, «La « gamification » de la vie : sous couleur de jouer?», Sciences du jeu[En ligne], 30 ans de Sciences du jeu à Villetaneuse. Hommage à Jacques Henriot, 30 ans de Sciences du jeu à Villetaneuse. Hommage à Jacques Henriot, mis \E0 jour le : 23/09/2013, URL : http://www.sciencesdujeu.org/index.php?id=55 .
Advergame.fr, « Jusqu'où peut aller la gamification du monde ? »
http://www.advergame.fr/jusquou-peut-aller-la-gamification-du-monde/
« Gabe Zichermann décrypte les enjeux de la gamification » (emarketing.fr, 2011)
Keplan et al., « Serious game et motivation » (2009)
http://kaplan-consultants.org/sites/default/files/Fenouillet-Kaplan-Yennek_2009.pdf
« Le jeu video, nouveau terrain d'entraînement des armées » (Le Monde, 2007)
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