Les discours sur les nouvelles technologies appliquées à l’enseignement tendent à accorder une place trop limitée à la nécessaire médiation des savoirs dans un processus qui vise à acquérir une compétence à apprendre de manière autonome. En effet, les travaux en pédagogie ont montré qu’il ne suffit pas que des informations soient disponibles pour qu’elles se transforment en savoirs acquis par les apprenants.
Médiation et zone proximale de développement
Le psychologue russe Lev Vitgotsky, avec la notion de zone proximale de développement (ZPD), a proposé une conception intéressante du rôle de médiation qu’opère l’enseignant dans le cadre d’un processus d’apprentissage. L’enseignant doit permettre à l’élève d’accéder à des savoirs qui se situent dans l’espace de sa zone proximale de développement. C’est-à-dire qu’il s’agit de savoirs qui dépassent ses acquisitions actuelles, mais qui ne doivent pas excéder ce que lui permettent ses compétences actuelles.
Nouvelles technologies et médiation technique
En ce qui concerne la médiation dans le cadre des nouvelles technologies, elle se limite bien souvent à une médiation technique: il s’agit d’apprendre à se servir des fonctionnalités que permettent les outils technologiques.
Certains enseignants peuvent penser qu’ils ne possèdent pas les compétences pour assurer une médiation des nouvelles technologies dans la mesure où ils n’ont pas de formation technique. A l’inverse, certains discours mettent en valeur les compétences numériques des digital natives.
Néanmoins, il s’agit de relativiser l’importance des compétences techniques pour au moins deux raisons. D’une part, le développement des technologies actuelles est basé sur leur caractère intuitif: c’est-à-dire sur le fait que l’usage des technologies doit supposer le moins de compétences possible et ce afin d’en étendre le marché à l’ensemble de la population y compris aux personnes âgées. D’autre part, parce que les technologies actuelles se caractérisent par un cycle d’innovation très rapide, visant à leur obsolescence, de manière à renouveler le marché. Cela implique là également que chaque nouvelle technologie mise sur le marché suppose un coût d’apprentissage faible pour l’usager.
Nouvelles technologies et compétences générales
Lorsque la question de la médiation est évoquée, elle l’est comme synonyme de développement de compétences générales transversales, comme apprendre à sélectionner l’information pertinente.
L’enseignant aurait avant tout un rôle de médiation méthodologique. En revanche, les savoirs résideraient dans la mémoire informatique de l’ordinateur. Il suffirait que l’élève acquière les méthodes qui lui permettent d’apprendre à apprendre et il deviendrait autonome dans l’apprentissage des savoirs.
Mais il s’agit là d’un modèle erroné. En effet, tous les programmes antérieurs d’éducabilité cognitive ont échoué car acquérir des savoirs ne repose pas sur la maîtrise de compétences générales qui seraient ensuite applicables à des savoirs spécialisés. En effet, les travaux en psychologie cognitive ont montré qu’il n’y avait pas de compétence d’expertise générale mais que l’on était expert dans un ou plusieurs domaines limités.
Médiation des connaissances
S’il est nécessaire que l’enseignant possède de sérieuses connaissances en sciences de l’éducation, il doit donc être également un expert de la matière qu’il enseigne. L’expertise dans un domaine particulier est liée à la maîtrise des connaissances déclaratives liées à ce domaine (savoirs sémantiques), mais également aux connaissances procédurales (“savoirs faire”).
En ce qui concerne l’élève, il ne peut acquérir une nouvelle connaissance que si elle se situe dans le cadre de sa zone proximale de développement. Or celle-ci est corrélée à sa mémoire sémantique. Un élève qui a des lacunes qui l’empêchent d’acquérir des nouvelles connaissances, c’est qu’il ne maîtrise pas les concepts qui sont prérequis pour lui permettre d’acquérir ces nouvelles connaissances.
Par conséquent, il ne suffit pas que toutes les connaissances soient déjà sur Internet pour que les élèves puissent accéder aux savoirs: il faut qu’ils aient eux-mêmes en mémoire les connaissances prérequises à la compréhension des nouveaux savoirs à acquérir.
Le rôle de médiation des savoirs par l’enseignant repose ainsi sur son degrés d’expertise. Il fait tout d’abord appel à sa capacité à synthétiser l’information et à la présenter de manière organisée et efficace afin que les lectures complémentaires que les élèves pourraient faire sur papier ou sur Internet leurs soient profitables. En effet l’élève, par ses lectures sur Internet, peut acquérir de simples informations qui ne sont ni problématisées, ni organisées par ce dernier autour d’une armature intellectuelle solide. Il en résulte alors une restitution confuse et une simple accumulation d’informations qui en restent au niveau de l'anecdote.
Ensuite, le rôle de médiation de l’enseignant, en tant qu’expert de sa discipline, intervient également dans l’acquisition des savoirs-faire. Son expérience personnelle d’apprenant et son observation des élèves lui permet de détecter les erreurs les plus récurrentes et les obstacles les plus fréquents. Il permet ainsi à l’apprenant de parvenir à dépasser ses blocages dans l’acquisition des savoirs en lui indiquant les erreurs et les manières de les surmonter.
Conclusion: En définitive, même à l’heure du numérique, le rôle de médiation de l’enseignant ne saurait se limiter à une médiation technique ou à des compétences transversales générales. L’enseignant doit être un expert de sa discipline afin que l’élève puisse développer efficacement la capacité à progresser par lui-même dans l’apprentissage d’une discipline donnée et qu’il puisse profiter au mieux des lectures ou des exercices personnels qu’il peut effectuer par lui-même .
La capacité d’apprendre à apprendre d’un apprenant autonome est le plus souvent l’effet d’une reconversion dans un nouveau domaine de compétences d’apprentissages qui avaient été déjà acquises auparavant dans un cadre où les savoirs avaient fait l’objet d’une médiation par un enseignant expert.
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