Age et capacités intellectuelles


Peut-on associer de manière indifférenciée le vieillissement à une diminution des capacités intellectuelles ?


Il était courant, il y a quelques années encore, d’affirmer qu’à partir de 20-25 ans, nos capacités intellectuelles commençaient à diminuer irrémédiablement et proportionnellement aux nombres de neurones que nous perdions. Cette affirmation se trouvait en outre appuyée par l’adage selon lequel un mathématicien qui n’avait pas produit de grandes découvertes avant 25 ans ne serait jamais en mesure de révolutionner sa discipline.


Un âgisme (1) à nuancer


Aujourd’hui, les travaux scientifiques sont plus nuancés. Ils mettent en avant l’importance des connexions cérébrales plus que le nombre de neurones. En outre, la plasticité cérébrale fait apparaître que le cerveau se transforme tout au long de l’existence sous l’effet des apprentissages.


Ainsi, ce qui compte, c’est avant tout la structuration des informations sous l’effet des liens qui sont faits entre elles. La mémoire sémantique et des images est illimitée. En revanche, ce qui empêche de se rappeler l’information, c’est de la retrouver. Plus les informations sont classées et reliées entre elles, plus il est facile de les retrouver par connexion logique.


Les mémoires les plus fragiles avec le temps sont par exemple la mémoire lexicale qui nous permet de retenir des noms propres. En revanche, mis à part les maladies dégénératives du cerveau (comme la maladie d’Alzeimer), il n’y a pas de raison d’établir une diminution de la mémoire sémantique, au contraire. Ainsi, contrairement à ce que l’on affirme sur les mathématiciens, nombre de philosophes ont produit leurs oeuvres majeures durant la seconde partie de leur existence et ont continué à avoir une activité intellectuelle de haut niveau très tardive.


Le maintien d’une activité intellectuelle intense jusqu’à un âge très avancé constitue un élément qui est considéré par les travaux médicaux comme retardant les effets du vieillissement intellectuel.


  1. Discrimination basée sur l’âge.


Les préjugés de l’âgisme


Alors que la durée moyenne de vie a fortement augmenté, notre regard sur la vieillesse s’est inversé. Traditionnellement, les personnes âgées, sauf si elles souffraient de sénilité, n’étaient pas perçues comme intellectuellement diminuées, mais au contraire comme des sources d’expérience et de connaissances.


Aujourd’hui néanmoins, dans des sociétés qui se perçoivent en situation de changement accéléré permanent, l’expérience acquise par le passé semble ne plus avoir de valeur. Nos sociétés ne seraient plus des sociétés froides où la tradition reste immuable, mais au contraire des sociétés chaudes où tout ce qui a été se liquéfie.


Néanmoins, la philosophie conduit là encore à nuancer une telle conception de la compréhension du monde. En effet, si les oeuvres de Platon ou de Kant peuvent encore nourrir la réflexion philosophique sur le monde contemporain, c’est que la philosophie nous montre que, par delà les apparentes transformations du monde, il existe des structures transcendantales des problèmes et de leurs réponses. La philosophie, en tant que discipline intellectuelle, s’appuie en partie sur la capacité à retrouver des structures de problèmes et des oppositions conceptuelles qui sont récurrentes à différentes époques. Cela ne veut pas dire an-historiques, mais du moins l’esprit humain est-il en capacité de construire des analogies qui peuvent avoir une portée heuristique.


A partir de là, l’expérience intellectuelle acquise par les personnes les plus âgées constitue un avantage par rapport aux personnes plus jeunes. Ces dernières tendent à considérer comme entièrement nouvelles des réalités qui peuvent être analysées selon des structures récurrentes. C’est ce qui explique sans doute que la production en philosophie soit souvent le fait d’individus ayant atteint un âge mur, bien souvent après quarante ans.


Ateliers-mémoire et activités intellectuelles à destination des personnes âgées


On peut ainsi s’étonner des activités menées par un certain nombre d’institutions prenant en charge des personnes âgées. Bien souvent, la lutte contre les effets du vieillissement intellectuel passe par des tests liés à la mémoire immédiate où il s’agit de mémoriser des séries de chiffres ou des images.


Mais la mémoire sémantique, donc à long terme, ne fonctionne pas de cette manière. La mémoire et la compréhension sont liées. Par conséquent, pour maintenir une activité intellectuellement stimulante pour des personnes âgées, il est nécessaire de leur proposer, comme à des élèves scolarisés, des situations d’apprentissages significativement intéressantes. Or au contraire, on peut déplorer le fait qu’on leur propose des activités qui sont intellectuellement inférieures à ce à quoi elles avaient accès durant leur vie professionnelle ou aussi peu stimulantes. Il n’est pas étonnant que ces environnements cognitivement appauvris provoquent une perte de confiance dans les capacités intellectuelles des sujets.


En réalité, les ateliers-mémoire comme les jeux psychotechniques, visant l’éducation cognitive, sont peu efficaces: ni la mémoire, ni l’intelligence ne correspondent à ce type d’exercices. L’intelligence et la mémoire sont intimement liées à une situation significative. L’individu dont on dit généralement qu’il a une intelligence vive et une bonne mémoire est une personne qui va donner un sens aux nouvelles informations en les intégrant dans le réseau de ses connaissances précédentes de manière à les comprendre en profondeur et à les mémoriser en les reliant à ces anciennes connaissances.


Conclusion:

De ce fait, il y a sans doute un intérêt cognitif à mener des expériences d’atelier philosophique avec des personnes âgées. Cela peut leur permettre de se rendre compte que leurs capacités intellectuelles n’ont pas nécessairement diminuée de manière systématique, mais qu’au contraire, certaines, comme la mémoire sémantique, continuent à s’enrichir tout au long de l’existence.

Par ailleurs, cela peut leur permettre également de s’apercevoir que la compréhension du monde contemporain ne nécessite pas de suivre toutes les évolutions actuelles, mais qu’il est possible également de s’attacher au contraire à dégager des structures permanentes qui, en dépit des changements, continuent à être intéressantes pour comprendre notre époque.

La pratique de la philosophie peut permettre aux personnes âgées d’apprendre à mieux utiliser leurs connaissances acquises durant leur existence de manière à mieux comprendre et mémoriser les nouvelles informations.


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