La place de la créativité à l’école

 

 

Quelle place est laissée dans le système scolaire français à la créativité des élèves ? Ne se contente-t-on pas pour l’essentiel de leur apprendre à apprendre à répéter ?

 

 

L’incitation à la créativité est peu présente dans le système scolaire français à l’exception des cours d’arts et en particulier d’arts plastiques, où l’on demande aux élèves de tenter de produire des oeuvres originales.

 

Pour nombre d’enseignants, et donc d’élèves, être un élève performant consiste à être capable d’appliquer des méthodes et de restituer un cours. Tout au plus s’agit-il de savoir appliquer ce qui a été vu en cours en l’adaptant au contexte d’autres exercices. Ainsi, la créativité, l’espace laissé à l’élève pour créer de la nouveauté à partir des connaissances qu’il a acquises en cours et hors des cours, apparaît comme le parent pauvre de l’enseignement.

 

Or la créativité n’est pas seulement une dimension attendue dans la sphère artistique ou économique, mais également dans l’élaboration des savoirs scientifiques positifs. Ceux-ci ne sont donc pas enseignés aux élèves sous l’angle d’une démarche de recherche, mais comme des contenus fixes.

 

A l’inverse, on pourrait tenter de solliciter leur personnalité par la capacité des élèves à défendre sur certains sujets non seulement une thèse personnelle, mais également en leur demandant ce qu’ils pourraient défendre d’original dans leurs réponses. Pour cela, il peut être intéressant d’en savoir plus sur les travaux scientifiques qui se sont penchés sur la créativité.

 

Psychologie de la créativité

 

Pour les psychologues spécialistes de la créativité, cette notion a une définition précise: “la capacité à réaliser une production qui soit à la fois nouvelle et adaptée aux contraintes de la situation” (1).

 

Les spécialistes qui ont travaillé sur la créativité tendent à l’associer en particulier à des formes de pensée spécifiques telles que: l’association d’idées, la pensée divergente, la pensée latérale (concevoir une réalité sous un autre angle) ou encore la pensée par analogie (la capacité à mettre en lien des domaines éloignés).

 

La pensée divergente consiste dans la capacité à trouver un grand nombre de solutions différentes relativement à un même problème.

 

La créativité de la pensée divergente est mesurée entre autres par le test de Torrance qui consiste à terminer des dessins et à en proposer un grand nombre différents à partir d’un point de départ ou encore à terminer des débuts d’histoire, ou à imaginer des usages possibles, très différents, d’un objet. La créativité peut être également testée à partir de la capacité du sujet à utiliser des éléments hétéroclites pour construire une production unifiée et organisée. Cette fois, il s’agit de faire appel à la pensée convergente, qui se concentre sur la sélection d’une solution précise.

 

Ambivalence de la création: existence créative ou injonction libérale à l’innovation

 

Ceux qui sont des défenseurs d’une éducation créative mettent en avant sa fonction à la fois dans l’épanouissement de l’individu - avoir une vie créative et mener une existence intéressante seraient liées - et dans la vie sociale - la créativité est nécessaire face aux changements sociaux.

 

Néanmoins, l’économie capitaliste, qui tend à l’accumulation du profit pour le profit, s’appuie pour cela entre autres sur l’innovation, en particulier technologique. Il en résulte une valorisation par le libéralisme économique de l’innovation. Cela conduit à une injonction à la créativité et à l’innovation pesant sur les salariés relevant de la classe créative.

 

De fait, le néolibéralisme s’appuie sur la captation de la puissance de créativité des sujets mise au service de l’accumulation du profit.

 

On peut ainsi constater l’accent mis sur la créativité et l’innovation dans les grandes écoles destinées à forger l’élite économique et politique. Ainsi, l’IEP de Paris a introduit depuis 2011 dans son enseignement obligatoire des ateliers artistiques qui sont présents durant les deux premières années de formation afin, peut on lire sur leur site Internet, de “développer l’imagination créative, le sens de l’observation, l’analyse critique, la capacité à s’exprimer en public et à argumenter; l’aptitude à la prise de responsabilités et à l’autonomie, la faculté à susciter une pensée originale et décentrée et le sens du collectif”.

 

(1) Besançon Maud et al., « Haut potentiel, créativité chez l'enfant et éducation », Bulletin de psychologie5/ 2006 (Numéro 485), p. 491-504.

 

 

Annexe 1:

 

 - La créativité et la révolte contre ce qui est donné : Krishnumurti (philosophe de l'éducation)

 

« La créativité prend sa source dans l’initiative, qui ne naît qu’en présence d’un mécontentement profond.

N’ayez pas peur du mécontentement, mais nourrissez-le jusqu’à ce que l’étincelle devienne une flamme et que vous soyez perpétuellement mécontent de tout – de votre travail, de votre famille, de la traditionnelle course à l’argent, à la situation, au pouvoir – de sorte que vous vous mettiez vraiment à penser, à découvrir. Or, en vieillissant, vous vous rendrez compte qu’il est très difficile de maintenir cet esprit de mécontentement. Vous avez des enfants à nourrir, et les exigences de votre travail à prendre en compte, l’opinion de vos voisins, de la société qui se referme sur vous, et très vite vous commencez à perdre cette flamme ardente du mécontentement. Quand vous êtes mécontent, vous allumez la radio, vous allez voir un gourou, vous récitez la puja, vous vous inscrivez à un club, vous buvez, vous courez les femmes – tout est bon pour étouffer la flamme du mécontentement.

Or, voyez-vous, sans cette flamme du mécontentement, vous n’aurez jamais l’initiative qui est le commencement de la créativité. Pour découvrir la vérité, vous devez être en révolte contre l’ordre établi.
La créativité ne consiste pas simplement à peindre des tableaux et à écrire des poèmes – ce qui est bien, mais reste minime en soi.

L’important est d’être mécontent de fond en comble car ce mécontentement global est le début de l’initiative qui devient créative à mesure qu’elle mûrit ; et c’est la seule manière de découvrir ce qu’est la vérité, ce qu’est Dieu, car Dieu n’est autre que l’état créatif.

Il faut donc éprouver ce mécontentement total, mais dans la joie – comprenez-vous ? Il faut être complètement mécontent, sans se plaindre, mais avec joie, avec gaieté, avec amour. La plupart des mécontents sont mortellement ennuyeux : ils se plaignent sans cesse du manque de justesse de telle ou telle chose, ou bien ils souhaiteraient avoir une meilleure situation, ou bien ils voudraient que les circonstances soient autres, car leur mécontentement reste très superficiel. Quant à ceux qui ne sont pas du tout mécontents, ils sont déjà morts.

 

Si vous pouvez être en révolte tandis que vous êtes jeunes, et en vieillissant nourrir votre mécontentement de toute la vitalité de la joie et d’une immense affection, alors cette flamme du mécontentement aura une portée extraordinaire, car elle bâtira, elle créera, elle fera naître des choses nouvelles ».

 

Annexe 2:

 

Exemples tirés du test de Torrance:

http://innovators-guide.ch/wp-content/uploads/2012/12/torrance-creativity-test.pdf

 

Video de Ken Robinson (adapté par l’association éducation authentique) sur l’éducation et la pensée créative: https://www.youtube.com/watch?v=dJtRyIZOskc

 

Conférence TED de Ken Robinson, “Pourquoi l’école tue la créativité ?”

http://www.ted.com/talks/ken_robinson_says_schools_kill_creativity?language=fr

 

Dossier de Veille de l’IFE sur la créativité dans l’éducation (2012)

http://ife.ens-lyon.fr/vst/DA-Veille/70-janvier-2012.pdf

 

UNESCO, Les défis de la créativité (2012):

 

http://unesdoc.unesco.org/images/0021/002175/217518F.pdf