L’islamisme et l’athéisme comme “terrorismes”

ou comment les minorités opprimées ne sont pas nécessairement les mêmes de chaque côté de la Méditerranée.

 

par Irène Pereira

Les exécutions perpétrées contre les journalistes de Charlie Hebdo génèrent un certain nombre de conséquences sur lesquelles il est important de s’interroger.

Racisme anti-musulman et politique anti-terroriste

Il était bien évidement à craindre que les évènements du 7 janvier 2015 ne soient suivis d’une vague d’actes racistes anti-musulmans et d’annonces sécuritaires.

L’islamophobie est une excroissance, devenue aujourd’hui impressionnante, qui a poussé à partir de souches plus anciennes: à savoir la racisme anti-maghrébin et les politiques internationales liées aux enjeux pétroliers dans le Moyen-Orient et maintenant en Afrique.

La lutte contre l’islamisme, associé au terrorisme, est apparue comme la justification d’interventions qui ne sont pas sans lien avec des intérêts économiques et stratégiques que les Etats-Unis ou la France en particulier souhaitent protéger. Les politiques impérialistes européennes, après avoir disqualifié l’idéologie socialiste, ont contribué à faire de l’islamisme politique le fer de lance de la lutte contre le néo-colonialisme. Cela d’autant plus qu’auparavant, comme en Afghanistan, les Etats-Unis ont pu renforcer les islamistes comme alliés dans leur lutte contre l’URSS.

De son côté, le discours de l’extrême-droite nationaliste s’est développé en faisant des étrangers, en particulier issus du monde musulman, les boucs émissaires de la montée du chômage et des inégalités sociales. Ce discours s’est fait en occultant bien évidement le fait que, parmi les plus touchés par ces phénomènes sociaux, se trouvaient des jeunes Français issus de l’immigration. Les inégalités sociales et le discours raciste de l’extrême-droite ont donc renforcé par réaction l’implantation de l’islamisme auprès de populations socialement reléguées.

Aujourd’hui, le discours politique dominant consiste à éviter l’amalgame entre musulman et islamiste. Mais après des années où l’on a laissé se propager cette confusion, il est difficile de mettre un terme au racisme anti-musulman. Mais en outre, le discours public dominant n’échappe pas à l’amalgame entre islamiste, djiadiste et terroriste. La continuité de l’un à l’autre semble établie avec peu d’interrogations. Ne pas être favorable à l’islamisme, et considérer qu’il s’agit d’une idéologie qui doit être combattue au même titre que l’extrême-droite nationaliste, ne signifie pas que l’on doive en arriver à l’assimiler sans discernement au terrorisme.

En France, selon les estimations, il y aurait environs 30% d’athées convaincus et 7,5% de musulmans et à peine 1% de juifs. Il y a souvent une surévaluation dans l’esprit des français à la fois du nombre d’athées et du nombre de musulmans en France. A l’inverse, plus de 60% de la population continue à se déclarer catholique, même si le nombre de pratiquants réguliers serait inférieur à 15% selon certaines études (1). Il est donc possible de constater que, même dans une société considérée comme fortement sécularisée comme la France, le nombre de croyants reste largement majoritaire au regard du nombre d’athées. Il est par ailleurs nécessaire de constater qu’au vu de leur nombre, les musulmans constituent une minorité et doivent donc, pour éviter la tyrannie de la majorité, être protégés par des droits garantissant leur liberté de conscience religieuse comme d’autres minorités. On a pu voir en effet ce que peuvent produire les décisions à la majorité, lorsqu’elles sont manipulées par des discours racistes, avec la votation citoyenne en Suisse contre la construction de minarets en 2009 (2) . Mais il ne faut pas oublier non plus qu’il existe une tendance des factions les plus intégristes des religions à s’allier face à d’autres forces sociales - homosexuels ou féministes - comme on a pu le voir lors de la journée de retrait contre la “théorie du genre à l’école”.

1. Pour une synthèse des estimations chiffrées sur les religions en France, voir l’article Wikipedia: http://fr.wikipedia.org/wiki/Religion_en_France

2. Sur la votation citoyenne suisse sur les minarets: http://fr.wikipedia.org/wiki/Initiative_populaire_%C2%AB_Contre_la_construction_de_minarets_%C2%BB

L’athéisme assimilé à du “terrorisme”

Alors qu’en France, l’islamisme est assimilé au terrorisme, en Arabie Saoudite, c’est l’athéisme qui, dans une loi anti-terroriste datée de 2014, peut être qualifié de terrorisme (1).

Depuis le Printemps arabe (2), puis avec l’émergence de Daech (3), on assiste dans le monde arabe à une vague d’affirmations publiques d’athéisme. Il arrive parfois que, dans le monde musulman, l’athéisme soit présenté comme une attitude importée de l’Occident. En réalité, les athées de culture musulmane semblent faire plutôt référence à des périodes et des auteurs issus de l’histoire de la civilisation islamique lié aux lumières arabes médiévales ou encore à la Nahda (renaissance arabe) aux XIXe-début du XXè s. Ainsi, l’oeuvre du poète syrien du XIe siècle, Al Maari montre que la critique anti-religieuse n’est pas propre à l’Occident et qu’elle a même pu prendre des formes très véhémentes (4).

Le paradoxe, c’est qu’il est à craindre que la première Une de Charlie Hebdo, après les évènements ne se traduise en définitive par davantage de répression contre les athées de culture musulmane. En effet, on peut voir qu’elle semble avoir cristallisé des réactions d’indignation dans les opinions publiques arabes. On peut craindre que ses manifestations et ses émeutes conduisent à renforcer les islamistes contre les courants démocrates au sein des sociétés arabes. Il serait d’ailleurs intéressant de savoir ce qu’en pensent les arabes athées de culture musulmane dans les pays concernés.

Il est ainsi tout à fait dommage que le discours actuel, qui met en avant la place de la religion musulmane dans le monde arabe, ne conduise pas à mettre également en valeur le fait qu’au sein du monde arabe, il existe toutefois des expressions athées minoritaires. Ainsi, peut être qu’au lieu de publier en 2006 des caricatures d’un journal danois, qui pouvaient être facilement amalgamées à du racisme islamophobe, aurait-il été plus judicieux de publier des expressions mettant en valeur l’existence d’un scepticisme religieux dans le monde arabe.

1. Selon une information d’Human Rights Watch:

http://www.huffpostmaghreb.com/2014/04/03/arabie-saoudite-atheisme_n_5084878.html

(2) Entretien publié dans le journal conservateur suisse La liberté:

http://www.laliberte.ch/news/dossiers/religions/athee-dans-l-islam-un-tabou-saute-10036

(3) Article publié dans Courrier International:

http://www.courrierinternational.com/article/2014/11/27/une-vague-d-atheisme-dans-le-monde-arabe

(4) Extrait d’un poème sceptique de AL Maari (Syrie, X-XIe s.):

Réveillez-vous, réveillez-vous, ô égarés !

Vos religions sont subterfuges des Anciens.

Ils disent que le Temps mourra bientôt,

Que les jours sont à bout de souffle.

Ils ont menti – ils ignorent son échéance.

N’écoutez pas ces champions de fourberie.

Les gens voudraient qu’un imam se lève

Et prenne la parole devant une foule muette.

Illusion trompeuse – il n’est d’imam que la raison,

Notre guide de jour comme de nuit.

Peut-être dans les temples se trouvent-ils des gens

qui procurent la terreur à l'aide de versets,

Comme d'autres dans les tavernes

Procurent le plaisir.

Les lois divines ont semé parmi nous la rancune

Et nous ont apporté toutes sortes de malheurs,

Les corps vont à la poussière.

Aucun savant ne sait où va l'âme.

Malgré moi, je suis sorti en ce bas monde,

Et mon voyage est pour un monde ailleurs.

Cela malgré moi aussi, et Dieu m'en est témoin !

Suis-je prédestiné, entre ces deux mondes,

A accomplir une tâche,

Ou suis-je libre de mes choix ?

Raison - demeures laissées à l'abandon

Ignorance - solides demeures habitées.

La religion - commerce de morts.

Pour cette raison, c'est un objet invendable

parmi les vivants.

L' égaré appelle impie celui qui ne partage pas sa foi.

Malheur à lui ! Quel homme n'a pas connu l'impiété ?

Le Livre est devenu trompettes des égarés,

Et les versets, mélodies.

Ils en ont joué, puis, dans leur infamie,

Les ont agitées comme des épées

Sur l'homme paisible qui veille

Au clair de lune.

Je ne blâme pas l'athée?

Mais plutôt celui qui, craignant l'enfer,

Persiste dans sa furie.

La raison ne peut que s'étonner des lois,

Qu'elles soient païennes, musulmanes,

juives ou chrétiennes.

Vos temples et vos bordels se valent.

Loin de moi, Ô genre humain!

Puissé-je rester sous terre et ne pas me lever

Quand Dieu vous appellera à la résurrection!

Quant à la certitude, elle n'existe pas.

L'apogée de mes efforts se trouve

Dans l'intuition et les pressentiments.

J'ai poussé loin mes recherches

Et mes investigations.

J'affirme, malgré cela,

Que je suis perdu et ignorant.

Le mensonge a détruit

Les habitants de la terre.

Leurs descendants se sont groupés en sectes

Qui ne peuvent fraterniser.

Si l'inimitié n'avait été dans leur nature,

Dès l'origine,

Mosquée, église et synagogue

N'auraient fait qu'une.

La vérité est soleil recouvert de ténèbres -

Elle n'a pas d'aube dans les yeux des humains.

La raison, pour le genre humain

Est un spectre qui passe son chemin.

Foi, incroyance, rumeurs colportées,

Coran, Torah, Évangile

Prescrivant leurs lois ...

A toute génération ses mensonges

Que l’on s’empresse de croire et consigner.

Une génération se distinguera-t-elle, un jour,

En suivant la vérité ?

Deux sortes de gens sur la terre :

Ceux qui ont la raison sans religion,

Et ceux qui ont la religion et manquent de raison.

Tous les hommes se hâtent vers la décomposition,

Toutes les religions se valent dans l'égarement.

Si on me demande quelle est ma doctrine,

Elles est claire :

Ne suis-je pas, comme les autres,

Un imbécile ?