Le programme de philosophie en terminale est un programme de notions. Ces notions s’organisent en cinq grandes parties. Il est possible de faire travailler les élèves sur la manière dont ces notions peuvent être agencées entre elles pour faire naître différentes interprétations philosophiques du monde.
Les interprétations philosophiques de l’histoire de la philosophie.
Nombre de grands philosophes, en particulier au XIXe siècle, ont construit leur système philosophique à partir d’une certaine interprétation de l’histoire de la philosophie.
Par exemple, Kant, au XVIIIe siècle, semble organiser l’histoire de la philosophie principalement à partir de l’opposition entre rationalisme et empirisme. De son côté, Marx privilégie l’opposition entre idéalisme et matérialisme. Hegel construit son système à partir d’une dialectique entre le subjectif et l’objectif, qui se trouvent réconciliés dans un savoir absolu en et pour soi. On peut citer, plus récemment, l’oeuvre de Paul Ricoeur, qui s’est organisée en particulier à partir de l’opposition entre les philosophes du soupçon et les philosophes de la conscience.
Les notions comme controverses entre interprétations philosophiques du monde
Il est alors possible de présenter les notions du programme de terminale comme l’opposition entre plusieurs interprétations philosophiques du monde qui organisent alors la problématisation de chaque notion. On peut par exemple partir de trois modes d’accès à la connaissance:
« 29. D’où apprendrons-nous donc la vérité des faits ? Ce sera des yeux, mon Père, qui en sont les légitimes juges, comme la raison l’est des choses naturelles et intelligibles, et la foi des choses surnaturelles et révélées. Car, puisque vous m’y obligez, mon Père, je vous dirai que, selon les sentiments de deux des plus grands Docteurs de l’Église, saint Augustin et saint Thomas, ces trois principes de nos connaissances, les sens, la raison et la foi, ont chacun leurs objets séparés, et leur certitude dans cette étendue” (Pascal, dans la Provinciale XVIII, § 29). La notion de foi peut être renvoyée ici à la notion d’esprit: l’être humain comme être spirituel.
Il serait possible de partir d’autres hypothèses gnoséologiques qui pourraient être le point de départ d’un système philosophique: la force vitale (vitalisme philosophique), le langage (linguistic turn)... Mais il s’agit, dans le cadre d’une didactique de la philosophie, de partir d’une modélisation simple des principaux courants de la philosophie.
Chacune des notions du programme peut néanmoins être problématisée à partir de ces trois voies d’accès à la connaissance que sont les sens, la raison ou l’esprit. Par exemple: Le bonheur. La recherche du bonheur consiste-t-elle dans la satisfaction des plaisirs sensibles ou dans une connaissance rationnelle ? Ou enfin dans une quête spirituelle (d’ordre religieuse ou laïque) ?
Ces trois hypothèses dessinent des grands cadres d’interprétation qui admettent des embranchements et ramifications internes infinis. Par exemple, à partir de la connaissance sensible, Epicure, Hobbes, Adam Smith ou Mill ont produit des philosophies différentes.
L’articulation des notions entre elles: la création d’interprétations possibles du monde.
Une fois ce cadre d’hypothèses posé, il est possible de s'intéresser à la manière dont les grandes parties du programme s’agencent entre elles en fonction de ces trois interprétations du monde.
Par exemple: Les cinq parties du programme sont le sujet, la morale, la culture, la politique et le réel. Si l’on part du réel et l’on considère qu’il inclut successivement, sous la forme d’un ensemble concentrique, la culture et la politique, puis la morale et enfin le sujet, on se situera dans la cadre d’une philosophie rationaliste, souvent matérialiste, qui part du monde pour connaître le sujet. Si au contraire, on part du sujet, auquel on rattache la morale, et que l’on s'intéresse à la relation du sujet au réel et à la culture, on sera plutôt dans le cadre d’une philosophie idéaliste qui part du sujet pour connaître le réel.
Il est ensuite possible de s'intéresser à la manière dont les notions s’agencent entre elles au sein de chaque partie. Cela permet de mettre en relief la manière dont cet agencement est problématisable relativement à la façon dont l’on va relier les notions entre elles.
Par exemple, dans la partie sur le sujet, relier les notions d’existence ou de désir à la conscience conduit à se situer dans le cadre d’une philosophie idéaliste de la conscience.
De même, dans la partie sur la culture, il est possible de se demander dans quelle mesure les notions qui relèvent de cette partie (comme le langage ou la technique par exemple) sont présentes déjà dans la nature - chez les animaux par exemple - ou si au contraire elles sont propres à l’être humain. Dans ce cas, distinguer un propre de l’homme, cela peut présupposer une spécificité de l’être humain liée à la conscience réflexive (l’esprit).
Aborder le programme comme création de monde possibles
Il est alors possible de faire réfléchir les élèves à partir du modèle produit initialement - sens, raison et esprit - aux différentes manières dont il est possible d’agencer les notions entre elles afin de créer des mondes philosophiques possibles.
La création d’un système philosophique consiste à agencer de manière cohérente et originale différentes notions. Il n’est pas nécessaire d’inventer un modèle différent pour être créatif. Il est possible de partir de l’une des trois voies d’accès présentes dans le modèle pour pouvoir créer une interprétation philosophique du monde. En effet, chaque voie d’accès ouvre la possibilité d’un nombre d’embranchements de possibilité illimitées.
Cette création de mondes possibles à partir d’hypothèses de départ limitées est ce qu’effectue le Dieu de Leibniz. La philosophie, qui constitue une réflexion conceptuelle et non expérimentale, se situe au niveau du possible et non du réel. Seule la confrontation expérimentale avec la réalité pourrait être en mesure de tester la compatibilité d’une interprétation philosophique avec la réalité. Mais le discours philosophique n’est pas un discours scientifique au sens de Popper. Ces assertions portent sur des domaines que l’expérimentation scientifique n’est pas en mesure pour l’instant de tester. Mais pour Popper, la création par le discours de mondes possibles rend le monde lui-même imprévisible et en constante construction. En effet, il deviendrait alors nécessaire pour produire une interprétation complète du monde d’inclure toutes les interprétations produites sur ce monde là y compris l’interprétation qui prétend les inclure toutes.