Contre l’homme économique, contre le martyr
Nietzsche effectue dans son oeuvre une double critique: à la fois celle de l’homme économique et celle du martyr religieux.
I- Le dernier homme ou le triomphe de l’hédonisme:
La critique Nietzschéenne du dernier homme a été reprise par Aldous Huxley dans Le meilleurs des mondes. Le dernier homme donne pour finalité à son existence le bonheur, identifié au plaisir. La création, la puissance du désir, l’effort et la souffrance lui sont devenus étranger.
« Qu'est-ce qu'aimer? Qu'est-ce que créer? Qu'est-ce que désirer? Qu'est-ce qu'une étoile? » Ainsi parlera le Dernier Homme, en clignant de l'oeil.
La terre alors sera devenue exiguë, on y verra sautiller le Dernier Homme qui rapetisse toute chose. Son engeance est aussi indestructible que celle du puceron-, le Dernier Homme est celui qui vivra le plus longtemps.
« Nous avons inventé le bonheur », diront les Derniers Hommes, en clignant de l'oeil.
Ils auront abandonné les contrées où la vie est dure ; car on a besoin de chaleur. On aimera encore son prochain et l'on se frottera contre lui, car il faut de la chaleur.
La maladie, la méfiance leur paraîtront autant de péchés ; on n'a qu'à prendre garde où l'on marche ! Insensé qui trébuche encore sur les pierres ou sur les hommes!
Un peu de poison de temps à autre; cela donne des rêves agréables. Et beaucoup de poison pour finir, afin d'avoir une mort agréable.
On travaillera encore, car le travail distrait. Mais on aura soin que cette distraction ne devienne jamais fatigante.
On ne deviendra plus ni riche ni pauvre; c'est trop pénible. Qui donc voudra encore gouverner? Qui donc voudra obéir? L'un et l'autre sont trop pénibles.
Pas de berger et un seul troupeau ! Tous voudront la même chose, tous seront égaux; quiconque sera d'un sentiment différent entrera volontairement à l'asile des fous.
Jadis, tout le monde était fou », diront les plus malins, en clignant ,de l'oeil.
On sera malin, on saura tout ce qui s'est passé jadis; ainsi l'on aura de quoi se gausser sans fin. On se chamaillera encore, mais on se réconciliera bien vite, de peur de se gâter la digestion.
On aura son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit; mais on révérera la santé.
« Nous avons inventé le bonheur », diront les Derniers Hommes, en clignant de l'oeil. » (Ainsi Parlait Zarathoustra)
Le mouvement hippie dans les années 60/70 s’est trompé en prétendant rompre avec l’utilitarisme marchand en se donnant néanmoins comme valeur le plaisir. Il devenait aisément récupérable par l’idéologie de la consommation tournée elle également vers le plaisir: recherche du bien-être, libéralisation de la pornographie et de la consommation de drogues...
II- Le martyr et l’illusion sacrificielle de la transcendance
L’idéologie de l’homme économique suscite le rejet de ceux qui se trouvent exclus du bonheur produit pas la société de consommation. A cette existence médiocre qui refuse tout dépassement de soi au profit tout au plus du culte de la performance dans la compétition sportive ou économique, s’oppose la recherche d’une existence orientée vers la transcendance religieuse. La vie de l’homme économique est alors considérée comme une existence décadente et amollie à côté de l’ascèse religieuse qui suppose l’oubli de soi et le sacrifice de son plaisir.
Que des martyrs prouvent quelque chose quant à la vérité d’une cause, cela est si peu vrai que je voudrais nier qu’un martyr eut jamais le moindre rapport avec la vérité. Dans le ton avec lequel un martyr jette à la tête du monde sa certitude s’exprime déjà un si bas degré de rectitude intellectuelle, une telle stupidité devant le problème « vérité », qu’un martyre ne vaut jamais la peine qu'on le réfute. La vérité n’a rien d'une chose qu’aurait l’un et que l'autre n’aurait pas : à la rigueur, des paysans et des apôtres paysans dans le style de Luther peuvent penser de la sorte sur la vérité. (…)
– Les martyrs soit dit en passant, furent un grand malheur dans l’histoire : ils séduisirent… Déduire comme font tous les idiots, femme et peuple compris, qu’une cause pour laquelle un homme accepte la mort (ou même, comme le premier christianisme, qui provoque des épidémies d’envie de mort) doit bien avoir quelque chose pour elle – cette logique fut un frein inouï pour l’examen, pour l’esprit d’examen et la prudence. Les martyrs portèrent atteinte à la vérité.(…) (L’antéchrist)
Repousser l’hédonisme du dernier homme ne revient pas pour autant à tomber dans le sacrifice aveugle à une cause présentée comme transcendante chargée de donner un sens supérieur à l’existence, de la justifier.
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