Lorsqu’on s'intéresse aux pratiques et aux centres d’intérêts des femmes des classes moyennes par rapport à celles des hommes de la même classe sociale, on s’aperçoit que ces différences sociales semblent dessiner des visions et des relations au monde socialement sexuées.
Des pratiques socialement sexuées:
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Des pratiques des femmes des classes moyennes:
Certaines pratiques sociales semblent plus spécifiquement intéresser les femmes, en particulier des classes moyennes:
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intérêt pour les spiritualités, par exemple, de type orientales
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intérêt pour les pratiques corporelles liées à ces spiritualités: yoga, chi gong…
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intérêt pour les médecines alternatives: naturopathie...
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intérêt pour les régimes alimentaires alternatifs: végétarien, alimentation biologique, consommation équitable…
Cette relation au monde s’accompagne également dans la socialisation féminine par un rapport aux animaux et aux humains tournés vers la compréhension et l’empathie.
Cet ensemble de pratiques tournées vers le monde domestique, la recherche d’un bien-être psychologique et physique et une vision spirituelle du monde s’attire bien souvent une critique ironique de la part d’hommes qui sont porteurs d’une vision du monde socialement masculine:
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la critique rationaliste et scientifique met en avant le caractère irrationnel de ces pratiques et de ces visions du monde: spiritualités, énergies vitales, médecines alternatives…
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la relation à l’animal est qualifiée péjorativement d’anthropomorphique
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la critique politique met en avant le caractère inefficace des modes d’action: la consom’action, la transformation des savoirs-faires du quotidien...
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Des pratiques socialement associées à la masculinité:
A l’inverse, la relation au monde associé à la masculinité repose plus spécifiquement:
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sur les maîtrise des outils techniques et la capacité à penser selon une logique mathématique et/ou technique
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sur la transformation de l’environnement grâce à la puissance technique
Un tel rapport au monde s’accorde avec celui qui est décrit par Max Weber sous l’expression de désenchantement du monde. La monde n’est pas une réalité vivante ou spirituelle, dotée de sensations ou de sentiment, mais un objet inerte sur lequel il est possible d’agir.
De même l’animal ou l’humain peut être conçu comme un objet qui pourrait être mis au service des intérêts de puissance et de domination.
Conclusion: Sans tomber dans le ré-enchantement spiritualiste du monde, il peut être néanmoins possible de se demander ce que peut être un rapport au monde qui échappe à la logique réductionniste et instrumentale caractéristique du rapport de domination sur autrui et sur le monde. Il s’agit alors de s'intéresser à la place du symbolique et de la création de sens pour qu’une société se maintienne. La domination hégémonique de la rationalité calculante et technicienne rend illégitime un ensemble de relations au monde qui font pourtant pour nombre de personnes ce qui fait l’intérêt de l’existence. Le caractère problématique de ces relations au monde ne vient pas tant de leur dimension irrationnelles ou imaginaires. Cela se produit plutôt quand les êtres humains commencent à penser que les significations imaginaires qu’ils ont crées ont une origine transcendante ou extérieures à eux. C’est à dire lorsqu’elles sont conçues comme hétéronome. C’est là une des différences entre les oeuvres d’art et la philosophie d’une part et d’autre part les religions.
Annexe:
L’hégémonie culturelle du techno-capitalisme
Le techno-capitalisme se caractérise par la double logique de la logique marchande capitaliste et technicienne.
Le techno-capitalisme, c’est la domination d’une logique d’actions marchande et technicienne qui se caractérise par:
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la réduction technoscientifique de la nature a des particules modélisables mathématiquement
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la réduction marchande de la nature à une réserve de matières premières monnayables
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la réduction des êtres humains à une possible modélisation par la robotique
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la réduction des êtres humains à des consommateurs calculateurs utilitaristes afin de mieux les exploiter dans la sphère du travail.
C’est cette double vision de la nature et de l’être humain que tend à faire triompher le techno-capitalisme en disqualifiant toute autre vision du monde et conception de la société. Elle colonise l’ensemble des sphères de l’existence: le travail, la vie quotidienne, l’action politique, la vie intellectuelle...
C’est donc de manière générale la disqualification:
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des visions holistes de la nature et de la coopération sociale
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de l’expérience dans son caractère vital, subjectif, émotionnel, symbolique…
Or, il se trouve que ces relations au monde ont été socialement sexuées:
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aux hommes, le raisonnement logico-mathématique; aux femmes la compréhension verbale et intrapersonnelle
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aux hommes, la maîtrise des machines en vue de la transformation du monde; aux femmes, le travail du “care”: prendre soin d’autrui et faire preuve de sollicitude morale
La société techno-capitaliste constitue le triomphe d’une culture de la masculinité technicienne et capitaliste marchande contre une culture du care et de l’économie domestique traditionnelle. C’est la disqualification d’une relation symbolique au monde - qui s’interroge sur le sens - contre une relation technicienne au monde tournée vers l’efficacité technique.
Dans une telle vision du monde, la valeur du travail du “care” qui n’est pas quantifiable ne compte pas. Au nom de l’efficacité, on remplace les services d’accueil par des automates (postes, gares, magasins…): le même service, moins cher, mais sans la relation humaine.
Cette orientation s’exprime en particulier dans la tentative de donner une solution biotechnologique aux questions de filiation et d’identité sexuelle à la différence des multiples solutions symboliques qui avaient été produites dans les sociétés traditionnelles sur ces questions.
Valoriser une relation au monde qui échappe à l’hégémonie du techno-capitalisme ne signifie pas à l’inverse se tourner vers des conceptions spiritualistes et irrationalistes. Mais laisser une place dans notre relation au monde à la production de significations sociales imaginaires autonomes. Autonome signifiant ici le fait que les êtres humains ont conscience d’en être les producteurs à la différence des significations hétéronomes dont l’origine est attribuée à des forces spirituelles non-humaines.
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