L’idéologie techno-capitaliste, qui étend actuellement sa domination surle monde, s’inscrit dans la continuité du programme libéral et techno-scientifique de la modernité, reposant sur le réductionnisme et la quantification, et qui tend à la disqualification de touteautre ralation au monde.
Le réductionnisme techno-capitaliste
La techno-science et le libéralisme économique ont en commun de ne considérer comme légitime qu’une relation au monde qui repose sur la quantification du réel.
Pour la science moderne, dans sa forme la plus réductionniste, seule est valable le rapport au réel qui le réduit à des particules et le quantifie.
Le techno-capitalisme actuel marque une nouvelle étape dans ce projet, celui de la convergence technologique. La nature est réductible à des atomes. L’esprit est réductible aux neurones. L’intelligence peut être réduite à un programme écrit sous la forme d’un langage binaire. Le vivant est réductible à son programme génétique. Il est enfin possible d’articuler ces différents éléments entre eux pour parvenir à une reconstruction et à une hybridation de la machine, de l’esprit et du vivant.
C’est en particulier dans la culture cyberpunk que l’on trouve exposée l’utopie (ou plutôt la dystopie) d’une telle conception du monde.
La culture de genre du techno-capitalisme
Le techno-capitalisme accentue la domination d’un rapport au monde qui a été construit socialement sous l’effet de la domination masculine.
La domination sociale des hommes vis-à-vis des femmes s’est appuyée historiquement sur la maîtrise des techniques: armes, outils, machines…
De son côté, la socialisation des femmes les porte à s’investir moins dans les rapports de maîtrise de la nature par la technique, que dans les relations de care (sollicitude) vis-à-vis d’autrui. Ce mode de relation au monde repose d’avantage sur des qualités de compréhension du sens des discours et des actions humaines. Il s’agit d’une relation qualitative qui s’appuie sur l’interprétation du sens.
Le triomphe de la culture numérique conduit à la domination d’une relation au réel socialement masculine. Les pensées et les décisions humaines pourraient être réduites à la modélisation d’un calcul binaire.
On peut supposer que la domination d’une culture numérique peut avoir pour effet d’accentuer la domination masculine. En effet, la culture numérique s’appuie sur un rapport au monde qui est davantage valorisé par la socialisation masculine.
Ainsi, le système d’enseignement laisse apparaître une inégalité de genre entre les filles, plus à l’aise dans le monde du langage, du sens (la compréhension en lecture), alors que les garçons sont plus à l’aise avec les mathématiques (le raisonnement logico-mathématique) et l’univers technique.
La culture occidentalo-centrée du techno-capitalisme
Le réductionnisme techno-capitaliste tend à disqualifier toutes les visions de la nature qui la spiritualiseraient. Ces conceptions sont considérées comme irrationnelles.
Néanmoins, même sans adhérer à l’univers de sens religieux des sociétés traditionnelles (comme celle de la “Pachamama”(1)), il est possible de s’interroger sur la pertinence de leur vision holiste du monde dans le cadre d’une pensée écologiste qui s’appuie sur la notion d’éco-système.
En outre, la place qu’ont accordées ces sociétés au symbolique, nous conduit à nous intéresser à la manière dont nous pouvons créer une relation au monde qui ne soit pas techno-scientifique, mais symbolique.
Ainsi dans le cas de la filiation ou des identités de genre, il existe des solutions à ces questions qui peuvent être d’ordre symbolique, n’impliquant pas le recours à des biotechnologies.
Le techno-capitalisme contre les cultures paysannes
Avec la révolution verte, l’agriculture industrielle, les OGM… le techno-capitalisme, dans la continuité du libéralisme des physiocrates, s’attache à détruire les cultures paysannes.
Comme dans le cas des femmes qui avaient été contraintes, du fait de la domination masculine, à développer des savoir-faire domestiques, les paysans ont développé des savoir-faire liés à une expérience pratique.
Ces savoir-faire, ces expériences pratiques, sont disqualifiées au nom de la rationalité scientifique qui affirme sa supériorité sur des pratiques jugées moins efficaces pour générer du profit.
Culture des makers et techno-capitalisme
La culture des makers partage avec les cultures domestiques et paysannes la mise en avant du faire contre une économie immatérielle de la connaissance qui ne reposerait plus sur un faire.
La culture des makers prétend redonner de l’autonomie aux individus contre l’aliénation technique en s’appuyant sur un enseignement de la culture informatique et maîtriser la technique par le faire. Cela passe en particulier par la fabrication d’objets à partir d’imprimantes 3 D.
Mais cette contre-culture se distingue des deux autres par le fait qu’elle repose sur les techniques issues de la techno-science. Elle est donc dépendante de ces techniques, qu’elle contribue à développer. Les innovations produites par la culture des makers, en marge de l’économie capitaliste, peuvent ensuite être rappropriées au service du capitalisme.
En outre, il s’agit d’une culture qui s’inscrit dans un type de socialisation masculine et qui, de fait, impose d’acquérir un type d’habitus lié à la masculinité. Ainsi, la domination de la culture numérique dans le techno-capitalisme reflète l’emprise de la domination masculine.
Le bio-hacking conduit en outre à soumettre le vivant aux transformations par les bio-technologies. Il implique la soumission du vivant aux désirs de puissance technologique des êtres humains.
L’âge du faire des makers est l’âge du triomphe de la domination de la culture des techniciens et des ingénieurs et de leur rapport au monde. Elle réitère la domination des savoir-faire pratiques issus du monde rural des paysans et du monde domestique.
(1) Pachamama : Terre-mère, déesse de la fertilité dans les cultures andines.
Référence sur la culture des makers:
Lallement Michel, L’âge du faire, - Hacker, anarchie, travail - , Paris, Seuil, 2014.
Annexe : Idéologies techno-capitalistes et réactions communautaires
L’idéologie libérale du capitalisme techno-scientifique et ses alliés:
Profil: capitalistes, blancs et masculins
- Le techno-capitalisme vert: La croyance issue de l’idéologie libérale des Lumières que le progrès des techno-sciences permettra de réaliser le bonheur de l’humanité. La nature peut être transformée en fonction des désirs des êtres humains. La technique permet de dépasser les problèmes causés par les limites naturelles.
- Le transhumanisme: idéologie de l’amélioration et de l’augmentation de l’être humain. La puissance technologique pourra combler tous les désirs de jeunesse, d’immortalité, de beauté ou d’intelligence … tous les rêves de toute puissance… de ceux qui peuvent payer.
- Les makers: L’idéologie masculine du “bidouillage” informatique: programmeurs, makers, bio-hackers… Une contre-culture qui, sous des allures libertaires, véhicule des innovations facilement récupérables par le système techno-capitaliste et qui accentuent la colonisation numérique et l’emprise algorithmique des existences.
- Le techno-queer: L’idéologie de la déconstruction par les biotechnologies du genre. L’émancipation de genre passe par les biotechnologies et l’économie capitaliste du sexe ( pornographie, prostitution…).
Remarque: Il est possible de s’interroger sur la proximité entre les idéologies du techno-capitalisme et l’hybris techno-fasciste des artistes futuristes. Les artistes futuristes avaient célébré la toute puissance de la continuité du vivant et de la machine qui permet de transcender toutes les limites naturelles.
Les réactions au capitalisme techno-scientifique: Les communautés imaginaires
L’atomisation du réel, et donc des sociétés que provoque le techno-capitalisme, provoque des réactions. Face à la manière dont le monde se trouve liquéfié, les individus essaient de reconstruire des communautés qui leurs permettent d’assurer des solidarités et donc des communautés protectrices:
Profil: classes populaires et femmes des classes moyennes
- La communauté écologique: Idéologie des classes moyennes précarisées à fort capital culturel et relativement féminisée. Il s’agit de reconstruire des communautés qui s’appuient sur les relations de solidarité du care, les savoir-faire domestiques et populaires ruraux, la sobriété volontaire...
- La communauté nationale: Idéologie implantée par l’extrême droite dans les classes populaires insécurisées par le libéralisme et la mondialisation. La reconstruction d’une communauté nationale pourrait apparaître comme un rempart face au capitalisme transnational, auquel l’immigration est assimilée.
- La communauté religieuse: Idéologie de ceux qui, face à la précarisation de leur existence, recherchent dans une communauté religieuse les liens de solidarité et la transcendance qui pourraient donner un sens à leur existence. Dans le cas de l’islamisme politique, son développement bénéficierait du soutien économique des monarchies sunnites pétrolières du golfe.
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