L’idéologie techno-capitaliste affirme la possible réduction de la pensée et du vivant à des particules de matière en s’appuyant sur un atomisme méthodologique. Néanmoins, une approche écologiste de la nature conduit à remettre en question cette vision de la réalité.
Atomisme méthodologique et individualisme dans le techno-capitalisme
L’idéologie techno-capitaliste repose sur un atomisme méthodologique. La matière, le vivant, la société et la pensée pourraient se réduire à des propriétés atomistiques.
Mécanisme: Ainsi, le vivant pourrait être réduit au fonctionnement de la matière physique et il pourrait être possible, à partir d’une connaissance de la matière physique et de ses propriétés chimiques, de produire du vivant.
Individualisme méthodologique: Le techno-capitalisme conçoit la société comme le produit des actions individuelles (des atomes sociaux).
Cognitivisme: La pensée pourrait être réduite à la combinaison d’unités d’information simples (bit) qui pourraient être combinées et modélisées sous forme de calcul.
Théorie des localisations cérébrales: Les différentes fonctions mentales pourraient être localisées dans des aires spécialisées du cerveau.
Emergentisme et holisme
Néanmoins, les sciences écologiques conduisent à remettre en question le projet réductionniste de l’atomisme méthodologique.
En effet, la notion d’éco-système insiste sur le fait que les êtres vivants ne peuvent pas être étudiés comme des entités séparées, mais comme des êtres en relation les uns avec les autres.
La notion d’organisme vivant met en lumière le fait que les gênes, puis les cellules qui composent un être vivant, ne peuvent pas être étudiés indépendamment de la totalité dans laquelle ils s'insèrent.
L’approche écologique peut ensuite être transposée à la société. Il ne s’agit pas ici de renaturaliser le social. Mais c’est le holisme méthodologique qui caractérise les deux approches, qui peuvent être mises en parallèle. Les individus qui composent une société ne peuvent pas être étudiés sans prendre en compte l’ensemble social dans lequel ils s’inscrivent.
En ce qui concerne le fonctionnement de la pensée humaine, il en va de même. La pensée ne peut pas être réduite à une localisation précise, c’est l’ensemble du cerveau qui est impliqué dans son fonctionnement. C’est le holisme cérébral. C’est pour cela que le projet de pouvoir lire dans les pensées humaines à partir de l’étude de l’image cérébrale peut s'avérer plus complexe qu’il n’y paraît.
Créativité et émergentisme
La physique des particules, sous la forme de la théorie quantique, est conduite à laisser une part au hasard dans le déroulement des phénomènes au niveau de la physique des particules.
La théorie mathématique des probabilités constitue l’outil que se donne la rationalité pour circonscrire et rendre prévisible le hasard.
Le hasard est de nouveau présent au niveau du vivant, avec la notion de mutations aléatoires, qui constituent un facteur de l’évolution naturelle.
Cette part d’imprévisibilité dans le vivant est ce qui fait apparaître le vivant comme créatif dans les formes qu’il produit.
Mais la créativité dans le vivant ne se limite pas aux mutations aléatoires. Des expériences étudient également la créativité que manifestent les animaux face à des problèmes auxquels ils sont confrontés.
Cette créativité semble cette fois d’une nature différente car elle est orientée vers la résolution d’un problème par un individu singulier face à une situation donnée. Cette créativité semble non plus relever du hasard, mais impliquer une part d’intentionnalité.
En ce qui concerne les êtres humains, la créativité peut apparaître comme individuelle. Mais on peut également parler d’une créativité sociale. En effet, les ensembles sociaux apparaissent créatifs par les institutions qu’ils mettent en place. L’ethnologie par exemple s’est intéressée à la créativité sociale des différents groupes humains.
La dimension intentionnelle de la créativité sociale est moins nette. En effet, elle ne peut être étudiée qu’en prenant en compte les relations sociales complexes au sein d’un ensemble social.
Travail reproductif et créativité
La reproduction humaine est création biologique d’imprévisible nouveauté: c’est la rencontre aléatoire entre deux patrimoines génétiques.
Le travail reproductif qui inscrit le fait biologique dans un ensemble culturel possède la variabilité du fait culturel. Les soins apportés aux enfants et leur éducation varient en fonction des cultures.
Ce travail reproductif se situe à la base de la socialisation de l’enfant. Il le produit comme être social.
Travail mort et travail vivant
Le projet techno-capitaliste suppose qu’il est possible de produire une simulation du travail vivant par le travail mort de la machine en s’appuyant sur les présupposés de l’atomisme méthodologique.
Mais les propriétés du travail vivant, au premier rang desquels le travail reproductif, ne sont pas réductibles au fonctionnement d’un assemblage machinique.
Le travail vivant s’inscrit dans un ensemble social et n’est pas l’activité d’un individu isolé. Il implique en particulier des interactions sociales faisant naître de conflits de reconnaissance.
Cette recherche de reconnaissance peut s’exprimer sous la forme de relations de “care”, prolongement de l’empathie présente dans le vivant lui-même.
Le travail vivant est créatif à la différence du travail mort parce que le vivant lui-même est une puissance de création de formes nouvelles et imprévisibles.
Conclusion:
Le techno-capitalisme se donne comme projet un réductionnisme s’appuyant sur un atomisme méthodologique. Mais ce projet réductionniste se heurte aux sciences de l’écologie, qui insistent sur les relations systémiques qui unissent les êtres vivants. En outre, le vivant se caractérise par une imprévisible création de formes nouvelles.
Sans se réduire au vivant, le social se caractérise par des propriétés comparables. Le travail humain est un travail vivant. A la base du travail humain se trouve le travail reproductif.
Le travail humain ne peut être réduit à une production individuelle. Il se situe dans un ensemble social et s’inscrit dans un ensemble de relations de solidarité sociale. En outre, le travail vivant humain, à la différence du travail mort de la machine, est créatif comme le vivant est production de formes nouvelles. Le travail vivant est créateur, non pas uniquement en tant qu’il est producteur d’objets techniques nouveaux. Le travail vivant est créateur en tant que travail reproductif. En effet, le travail reproductif est celui qui vise à créer des êtres humains en tant qu’êtres de culture. Le travail reproductif ajoute à la reproduction biologique la création par l’éducation d’un être culturel.
Ainsi, le travail vivant reproductif se situe à la base de la créativité sociale, qui se caractérise par la capacité de l’être humain à créer des institutions symboliques qui organisent de manière différente dans le temps et dans l’espace les sociétés humaines.
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