La maison et l’école sont deux des principaux espaces du travail éducatif. Dans les deux cas, ce travail est principalement confié aux femmes. Mais comment analyser la coexistence de ces deux espaces ?
I- Institution scolaire, instruction et éducation
Plusieurs auteurs, dont Ivan Illich, ont souligné que l’institution scolaire, ou du moins son extension de masse, est un fait historique récent.
Si l’on remonte à la Révolution française, Condorcet, dans son mémoire sur l’instruction publique, est conduit à distinguer deux activités: l’éducation est confiée à la famille tandis qu’à l’institution publique revient le rôle d’instruire le futur citoyen.
L'extension au XIXe siècle de la scolarisation des enfants est cocomittante de l’industrialisation et de l’utilisation par le capitalisme de la force de travail des femmes dans les usines. Ainsi, par exemple les enfants dont s’occupe Marie Pape-Carpantier, qui est considérée comme à l’origine de l’école maternelle en France , sont issus des classes laborieuses.
Si l’on s'intéresse à la Troisième République, il est possible de remarquer que s’il existe des institutrices, l’image du “hussard noir” de la République est celle d’un homme. Il ne s’agit pas d’une figure féminine.
C’est enfin dans les années 1930 que le Ministère de l’Instruction publique devient le Ministère de l’éducation nationale.
II- La féminisation du travail éducatif scolaire
Les femmes sont aujourd’hui très majoritaires dans l’enseignement primaire, mais également, dans une moindre mesure, secondaire.
Cette féminisation de l’enseignement est concomitante de plusieurs évolutions sociales: a) massification de l’enseignement b) augmentation du niveau de diplôme de la population française c) augmentation de la proportion dans la population française des classes moyennes d) entrée massive sur le marché du travail des femmes, en particulier des classes moyennes e) perte de prestige social de la profession enseignante.
Ceux qui sont opposés philosophiquement à la transformation de l’enseignement en une fonction, non pas centrée sur l’instruction, mais sur l’éducation, rappellent que le pédagogue, dans l’Antiquité, était un esclave.
Le prestige de la fonction d’enseignant, en mettant l’accent sur sa fonction d’instruction et donc de transmission de connaissances, tient au fait qu’elle l’inclut dans la sphère des professions intellectuelles.
A l’inverse, l’enseignement comme éducation en fait avant tout une profession du care centrée sur l’aide à autrui. Or dans la tradition philosophique, cela renvoie aux activités de service, aux activités serviles confiées aux esclaves ou aux domestiques.
On constate donc une évolution sociale paradoxale. Jamais l’emprise des diplômes n’a été aussi forte et jamais la société n’a été autant centrée sur les enjeux scolaire. Mais en même temps, le travail d’enseignement s’est féminisé. Or, c’est un fait bien souvent constaté que dès lors qu’une profession se féminise, elle perd en prestige sociale.
III- La dimension socialement construite de l’activité éducative de care
Cette variation historique du travail éducatif, avec le découpage artificiel entre éducation et instruction, montre comment l’éducation des enfants n’est pas naturellement liée aux femmes. Le partage de l’éducation des enfants entre hommes et femmes peut varier selon les époques.
On peut ainsi se demander dans quelle mesure l’augmentation du mouvement de homeschooling (instruction à la maison) n’est pas un symptome de cet état de fait. En effet, ce sont des mères qui assument, en majorité, cette instruction. Cela tient certes à l’élévation conjointe du niveau d’instruction des mères et à l’importance des enjeux sociaux autour de la scolarité. Mais cela témoigne également de la grande continuité entre travail éducatif domestique et travail éducatif scolaire. La scolarisation de plus en plus importante du temps de loisir et le temps consacré aux devoirs, dont sont chargées principalement les mères, conduit à ce qu’une part plus grande du travail domestique des mères prennent la forme d’un travail qui s’approche de plus en plus de celui des enseignantes.
Conclusion:
Nous sommes actuellement dans une configuration historique tout à fait particulière qui conduit à ce que jamais le travail éducatif n’a été autant socialement prolongé (avec l’instruction obligatoire jusqu’à 16 ans) et que jamais, il n’a été autant confié aux femmes. En effet, de la naissance au baccalauréat (vers 18 ans), le travail éducatif est socialement confié aux femmes. Mais que signifie, au fond, ce changement social paradoxal ? En effet, comment expliquer qu’alors que les enjeux scolaires n’ont jamais été aussi socialement importants, ils se trouvent confiés à un groupe socialement dominé?
Il est possible d’émettre l’hypothèse suivante. Aujourd’hui, le pouvoir social se trouve dans les professions de la maîtrise scientifique et technique de la matière (les ingénieurs) et dans les professions de l’argent (finance, gestion d’entreprise…). Les rapports sociaux reposent sur des mécanismes de reproduction de l’inégalité sociale. Il faut pour cela qu’il y ait un travail subalterne qui assure les conditions de la reproduction du capital et des rapport sociaux. Le travail exploité de l’ouvrier dans la grande industrie reproduisait le capital et les rapports sociaux d’exploitation. Le travail éducatif des femmes dans notre société contemporaine reproduit le capital culturel familial et la domination sociale des hommes des classes moyennes supérieures. Mais cela ne va pas sans difficulté, car la “culture macho” qu’intériorise par sa socialisation de genre le petit garçon, le rend rétif à se soumettre à l’autorité éducative confiées aux femmes. Cette construction des caractéristiques de la masculinité des garçons des classes moyennes supérieures étant en particulier construit dans la pratique d’activités sportives socialement situées.
Complément: La contrainte reproductive
La contrainte reproductive désigne dans ce cadre les mécanismes sociaux qui contraignent les individus à reproduire les rapports sociaux indépendamment de leur subjectivité. Par exemple, dans un couple, la femme et l’homme se déclarent en faveur de l’égalité homme/femme. Mais l’homme gagne un salaire plus élevé que la femme, c’est donc elle qui prend un temps partiel pour s’occuper des enfants. Autre exemple: un couple de classe moyenne supérieure se déclare favorable à la mixité scolaire. Mais au moment de choisir l’orientation de leur enfant (collège, lycée...) se pose la question de son avenir dans la compétition scolaire face aux stratégies des autres parents des classes moyennes supérieures.
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