Troubles de l’apprentissage et stratégies de compensation


 

Les troubles de l’apprentissage sont une réalité qui est aujourd’hui mieux reconnue au sein de l’Education nationale. Ils requièrent néanmoins une connaissance des difficultés des élèves, mais également des stratégies de compensation qui peuvent être mises en œuvre pour palier leurs difficultés. Ci-dessous l’on s’intéressera plus spécifiquement à certains aspects relatifs à des  formes de dyspraxie.

 

De quelques aspects de la dyspraxie : l’hétérogénéité des performances

 

Selon les spécialistes, la dyspraxie, trouble moins connu que la dyslexie, toucherait néanmoins un nombre plus importants d’élèves : entre 4% et 6%. Ce sont majoritairement des garçons : 4 garçons, pour une fille.

 

Il arrive souvent que les enfants dyspraxiques –surtout des garçons issus des classes moyennes supérieures – soient diagnostiqués à l’occasion d’un test de QI. En effet, la dyspraxie se caractérise par un écart entre le QI de performance (raisonnement visuel) et le QI verbal, à l’avantage de ce dernier (c’est plutôt l’inverse chez les élèves dyslexiques). Selon, Olivier Revol, 50% des enfants dyspraxiques sont ainsi intellectuellement précoces. D’autres psychologues mettent en avant que 80% des enfants précoces, qui consultent, présentent ce profil. Il s’agit d’enfants ayant des difficultés scolaires liées le plus souvent à une dyspraxie visuo-constructive. L’une des caractéristiques de ce type de dyspraxie consiste dans une incapacité à reconstruire des images. L’enfant présente des difficultés pour effectuer des jeux de construction ou des puzzles. Parmi les raisons avancées à cela, il a parfois été cité le fait que l’enfant n’a pas marché à quatre pattes ou souffre de dyslatéralité (trouble de la latéralisation).

 

L’écart de plus de 12 points entre les deux QI – performance et verbale – ne permet pas alors de calculer le QI total. En effet, la théorie qui sous-tend les test de QI est : a) qu’il est inné et ne peut donc être amélioré par l’entrainement et b) le fait que l’ensemble des sous-test sont corrélés entre eux (il existerait une intelligence générale). Cet écart donne donc lieu à des hypothèses qui ne sont pas satisfaisantes du point de vue de cette théorie : Surdéveloppement d’un des deux QI ? Compensation d’un trouble de l’apprentissage ? Altération de la performance générale par un trouble de l’apprentissage ? La psychologue Fanny Nusbaum distingue entre deux profils : laminaire (QI homogène) et complexe (QI hétérogène). Cette chercheuse - comme plusieurs autres spécialistes de la précocité intellectuelle - soutient que l’hétérogénéité en  faveur du QI verbal serait la règle et non l’exception pour les enfants intellectuellement précoce. La corrélation caractériserait seulement l’intelligence moyenne (autour de 100). Une seconde caractéristique serait d’ordre qualitative : un fonctionnement qualitativement différent de la pensée -  analogique et global plutôt que digitale et analytique -. Néanmoins, on peut effectuer deux remarques concernant cette hypothèse. La première, c’est que le QI verbal est le plus corrélé au niveau socio-économique : on peut alors se demander si cet écart n’est pas lié au fait que la plupart des enfants en difficulté qui consultent chez des psychologues libéraux sont issus des classes moyennes supérieures. Il y aurait alors un intérêt de ces praticiens à faire étiqueter  les enfants qu’ils reçoivent, plutôt que uniquement comme dyspraxiques, également comme haut potentiel, ce qui est plus valorisant.

 

De quelques symptômes de la dyspraxie et de leurs causes possibles

 

Il existe plusieurs symptômes de la dyspraxie. On peut citer par exemple : des problèmes de latéralisation (reconnaître sa droite de sa gauche), faire ses lacets, grande difficulté à s’orienter dans l’espace, un graphisme lent et maladroit, une dysorthographie …

 

Ce dernier exemple peut servir à illustrer deux des difficultés des élèves dyspraxiques. L’orthographe des mots suppose de faire appel à des capacités visuo-constructives. En effet, le cerveau n’a pas de mémoire photographique, en réalité il reconstruit l’image. L’élève dyspraxique n’assemble pas correctement les lettres entre elles pour mémoriser l’orthographe du mot ou seulement avec difficulté. En outre, la dyspraxie se caractérise par une incapacité ou une lenteur à automatiser des procédures. Il faut donc plus de répétitions pour que l’orthographe du mot soit retenue. On constate également une grande difficulté à automatiser les règles de l’orthographe : bien que les règles soient connues, l’élève continue lors de l’usage à commettre des erreurs.

 

Cela peut s’expliquer par la différence entre mémoire déclarative (sémantique) et mémoire procédurale. La mémoire déclarative stocke les informations concernant les règles de l’orthographe. La mémoire procédurale par répétition automatise l’exécution de ces règles.

 

La différence entre un expert et un novice ne tient pas dans les qualités de raisonnement de l’expert, mais dans les connaissances qu’il a stocké dans sa mémoire à long terme : connaissances déclaratives, procédurales, conditionnelles. L’expert raisonne par analogie avec des situations observée personnellement (mémoire épisodique) ou en s’appuyant sur sa mémoire sémantique.  Il peut se servir de cas déjà observés pour induire des règles générales. En outre, l’expert automatise des procédures - raisonnements ou gestes -. Cela lui permet d’éviter de surcharger sa mémoire de travail. Par exemple, pour la plupart des personnes, reconnaître sa droite et sa gauche est un automatisme : pas besoin de réfléchir. Mais une personne dyspraxique doit effectuer un raisonnement pour y parvenir : elle se comporte comme un novice. La même difficulté se produit par exemple dans l’automatisation des trajets familiers qui est plus longue. Cette automatisation permet de penser à autre chose pendant que l’on se rend d’un lieu à un autre. Les connaissances conditionnelles permettent de savoir quand utiliser tel connaissance déclarative ou procédurale : elle permet l’utilisation pertinente des connaissances (transfert). Elles fonctionnent sous la forme de l’implication logique (« si…alors… »).

 

Cette difficulté à automatiser le lien entre deux informations ou entre deux procédures a des impacts ensuite sur d’autres types d’apprentissage. L’élève va avoir des difficultés à automatiser, lors de l’apprentissage des langues, par la répétition par cœur, le vocabulaire (mémoire lexicale) d’une langue étrangère ou encore les connaissances acquises par exercice en langues ou en mathématiques. La pensée digitale – utilisée par exemple en logique formelle – suppose pour être performante, l’automatisation de procédures. La difficulté à automatiser ces procédures compromet le cumul des connaissances : les automatismes qui devraient êtres acquis pour passer à la suite des apprentissages ne sont pas intégrés. Cela peut expliquer pourquoi ces élèves peuvent se trouver plus souvent en échec à partir de la  classe de quatrième. Il est nécessaire alors de se servir de procédures qui doivent avoir été automatisées auparavant ou encore il est nécessaire d’automatiser des procédures plus complexes. Une des matières qui peut poser le plus de difficulté à un dyspraxique est la comptabilité : il faut parvenir à placer les chiffres dans les bonnes colonnes sans erreur (compétence visuelle) et automatiser des procédures de calcul.

 

 Il est possible de distinguer deux types de matières. Il y a celles qui supposent principalement d’acquérir des connaissances déclaratives et celles qui supposent d’acquérir principalement des connaissances procédurales. La distinction entre les deux types de matières correspond à plus ou moins à la différence entre leçons et exercices. Les matières qui requièrent un entrainement avec des exercices supposent des connaissances procédurales. Elles impliquent une pratique répétée : ces compétences s’oublient si on ne pratique pas. Par exemple, l’histoire, par sa dimension chronologique, est une matière dont l’apprentissage peut s’appuyer sur la mémoire sémantique (déclarative). En revanche, les langues impliquent principalement la mémoire lexicale et procédurale. Néanmoins, nombreux sont les élèves qui apprennent l’histoire en s’appuyant davantage sur la répétition que le sens : ils utilisent alors une stratégie d’apprentissage qui est faiblement efficace – en particulier à long terme - tout en étant plus couteuse. En apprenant un texte qu’ils ne comprennent pas, ils augmentent le nombre de répétition nécessaire pour le stocker en mémoire : il s’agit d’un mécanisme d’apprentissage qui se rapproche alors de la mémoire lexicale.

 

De quelques stratégies de compensation et de leurs mécanismes

 

Les enfants intellectuellement précoces en échec scolaire sont souvent décrits comme des élèves qui aiment comprendre, mais qui ont du mal à apprendre. Il est probable en ce qui concerne les élèves dyspraxiques que ceux-ci utilisent des stratégies de compensation – conscientes ou pas – qui visent à stocker les informations dans la mémoire sémantique plutôt que procédurale ou lexicale.

 

La mémoire sémantique stocke le sens des informations. En outre, il s’agit d’une mémoire très stable dans le temps et illimitée, d’autant plus si les informations sont mises en lien avec la mémoire épisodique (les souvenirs personnels du sujet).

 

Ces élèves peuvent donc développer des stratégies qui visent à stocker les informations dans la mémoire sémantique, par exemple en faisant des analogies avec des situations vécues – de manière à éviter ou à diminuer le travail d’apprentissage par répétition. C’est pourquoi ces élèves peuvent donner l’impression d’avoir une très bonne mémoire auditive et à long terme. Les connaissances ne sont pas stockées dans la mémoire procédurale ou lexicale (qui demandent plus de répétition pour fixer l’information à long terme), mais dans la mémoire sémantique.

 

Ces élèves peuvent avoir également recours à des stratégies qui s’apparentent à des procédés mnémotechniques. Il s’agit alors de rattacher les étapes des procédures à des listes connues comme les nombres ou les lettres de l’alphabet. Cela leur permet d’essayer de limiter la difficulté qu’ils ont à reconstruire les informations dans le bon ordre (ce qui leur pose problème que ce soit pour les images ou pour les procédures). Cela permet de stocker les informations sous la forme déclarative plutôt que procédurale. En outre, pour organiser les idées, il est possible de s'appuyer non pas sur la mémoire procédurale, mais sur le caractère arborescent de la mémoire sémantique. En recourant aux propriétés de la mémoire sémantique, l'organisation des idées à l'oral ou à l'écrit peut prendre l'apparence d'un mécanisme intuitif très rapide car il ne passe pas par un raisonnement conscient, mais par des propriétés de la mémoire à long terme.  

 

Ils peuvent également pour éviter au maximum d’avoir recours à l’apprentissage répétitif par cœur, lire en complément du cours, de manière à étoffer la mémoire sémantique sur le sujet vu en cours et donc renforcer les possibilités de rappel de la mémoire sémantique.

 

Une autre stratégie utilisée consiste à organiser l’information en renforçant les liens logiques entre elles dans des schémas de manière là encore à diminuer le travail d’automatisation par la répétition.

 

Conclusion :

Il est possible de considérer que le surdéveloppement du QI verbal (intelligence cristallisée dans laquelle la mémoire sémantique occupe une grande place) tient à des stratégies d’apprentissage qui pour certains élèves sont liées à des phénomènes de compensation de leurs difficultés. Au lieu de passer par un stockage dans la mémoire procédurale – qui dysfonctionne et qui est plus coûteuse en efforts -, l’élève stocke l’information dans la mémoire sémantique. Cela peut l’avantager parfois par rapport à ses camarades : l’information est mieux comprise et stockée avec moins d’effort à long terme. Néanmoins, lorsque l’élève ne parvient pas à utiliser cette stratégie, il est en échec. Ou encore, l’automatisation étant plus longue et lui demandant plus d’effort : il l’évite et donc se retrouve en échec lorsqu’il n’est pas possible d’apprendre autrement.

La seconde stratégie qui est utilisée consiste à s’appuyer sur la pensée analogique qui permet de mémoriser l’information et de raisonner en s’appuyant sur la mémoire à long terme épisodique et sémantique. En effet, l’élève éprouve des difficultés à s’appuyer sur la pensée digitale qui suppose d’automatiser des procédures pour être plus efficace.

Ainsi, la précocité intellectuelle des élèves dyspraxiques peut être vue comme une conséquence des stratégies de compensation liées à leur difficulté à automatiser les informations. En revanche, il est possible de constater que le fait que l’enseignement accorde une place réduite aux compétences spatiales – par rapport à la mémoire sémantique- conduit à ce que les troubles visuo-constructifs (et  en encore en fonction de leurs degrés) ne posent de difficultés qu’en géométrie, géographie et dessin. Le plus complexe consiste sans doute dans le dessin en trois dimensions. Cependant, il est possible de supposer que le renforcement de l’enseignement du codage et/ou du dessin assisté par ordinateur constitue une source de difficulté de plus pour ce type d’élèves dyspraxiques.

L’élève dyspraxique peut ainsi avoir l’impression curieuse qu’il a de très bonnes notes sans travailler dans certaines matières et que même en travaillant, il ne parvient pas à améliorer ses résultats dans d’autres matières ou que cela lui demande beaucoup d’efforts. Le rôle de l’enseignant doit consister à aider l’élève à mettre en place des stratégies de compensation. Sa notation doit être plus soucieuse de valoriser le travail que la performance afin de ne pas décourager l’élève qui aura besoin de plus de temps pour automatiser les procédures.

Chez les élèves à profil laminaire (c'est-à-dire à haut quotient intellectuel), on peut supposer qu’il s’agit d’élèves qui ont compris l’avantage qu’il y avait à stocker l’information dans la mémoire sémantique et à utiliser la pensée analogique, mais qui par ailleurs ne souffrent pas de troubles visuo-constructifs et d’automatisation des procédures. La stratégie visant à utiliser le stockage dans la mémoire sémantique est plus coûteuse en énergie cognitive initiale. En effet, l’élève doit être mentalement actif : il doit faire des liens entre les informations pour les comprendre et les mémoriser. Néanmoins, cette stratégie s’avère moins coûteuse par la suite et plus efficace : elle diminue la répétition et le stockage est plus stable dans le temps. Par conséquent, certains élèves à profil laminaire peuvent avoir tendance à privilégier cette stratégie au détriment de l’usage de la mémoire procédurale qui est plus coûteuse en répétition. Cela peut donc être la conséquence d’échec scolaire pour des élèves à haut quotient intellectuel ne souffrant pas de troubles de l’apprentissage (c’est pourquoi ils ont un bon score en QI de performance). 

On peut néanmoins noter, qu’avec le temps, l’intelligence humaine tend à s’appuyer davantage sur l’intelligence cristallisée que fluide : en effet la vitesse de traitement et l’intelligence fluide diminuent avec l’âge, en revanche la mémoire sémantique s’étoffe et se maintient très durablement si elle est exercée. 

 

Annexe: Il est par ailleurs possible de se demander dans quelle mesure croiser le style éducatif des parents, le style cognitif des élèves et les pratiques pédagogiques. En effet, le style éducatif des parents des classes moyennes supérieures, basé sur le recours au raisonnement et à l'argumentation, peut être davantage compatible avec les stratégies de compensation utilisables par des enfants qui ont du mal à apprendre en automatisant des procédures. Le recours à des pédagogies plus traditionnelles à l'école (avec de l'apprentissage par coeur) peut leur être moins favorable. Cela peut peut être expliquer l'impression de décalage que ressente les familles entre le rapport au savoir de l'enfant en dehors du cadre scolaire et dans le cadre scolaire. 

Concernant le sex ratio de la dyspraxie, il est possible de se demander dans quelle mesure l'écart entre la performance visuo-procédurale et la performance verbale sémantique n'est pas mieux détecté lorsqu'il s'agit d'un garçon car on s'attend socialement à ce qu'il est au contraire des performances inverses. Par exemple, une petite fille qui parle très bien, mais qui a du mal à s'orienter dans l'espace, on va trouver que c'est conforme à son genre. 

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Commentaires: 1
  • #1

    Marie (mardi, 14 juin 2016 05:51)

    Article très intéressant, mais attention quand même à ne pas généraliser : on peut se trouver dans ce cas de figure - qi verbal très largement supérieur au raisonnemment perceptif - sans pour autant être des classes moyennes supérieures. Je suis concernée et pourtant je ne viens pas d'une famille particulièrement dotée en capital culturel, loin de là.