De la religion, du conte et de la science



Quel place occupe le conte dans les sociétés traditionnelles ? En quoi se différencie-t-il des écrits religieux ?


Le logos contre le muthos


L’avènement de la philosophie grecque est souvent présenté comme une lutte entre le muthos et le logos. Même si les philosophes peuvent avoir recours à des mythes, des récits ou des allégories, ce qui ferait la spécificité du régime de discours philosophique serait de tendre à proposer une réflexion rationnelle s’appuyant sur l’argumentation.


La science moderne accomplit un pas de plus dans ce désenchantement du monde. En effet, elle s’appuie sur l’expérimentation, mais également sur une représentation logico-mathématique de la nature.


La physique moderne se distingue de la philosophie, entre autre, par un idéal de mathématisation du monde qui conduit à considérer que le langage naturel ne peut en produire une représentation légitime. De fait, la philosophie ne renverrait qu’à une simple interprétation en dépit de ses prétentions à dire la réalité. Mais son langage serait inapte à en saisir la structure mathématique intime.


A fortiori, la science moderne conduit à disqualifier la religion dans ses prétentions à expliquer le fonctionnement de la nature. Les explications scientifiques modernes supposent de refuser le recours à une intervention transcendante spirituelle pour rendre compte des phénomènes naturels.


En outre, le discours scientifique moderne entre en contradiction avec les représentations du sens commun et du discours populaire. Les croyances populaires sont renvoyées à la superstition. Il est significatif que ce que recouvre la notion de “discours populaire” est ambiguë. Cela semble désigner le discours du peuple en général. Mais en même temps, chez les élites bourgeoises des Lumières, ce discours est en particulier celui des paysans et plus encore des femmes des classes populaires.


Ainsi, il est possible de distinguer quatre types de discours: populaire, religieux, philosophique et scientifique. Chacun de ces discours entre à un certain niveau au moins en contradiction avec les autres.


Les frontières du discours scientifique


Néanmoins, l'extension des prétentions de la science moderne n’est pas claire. En effet, jusqu’où sont capables de s’étendre ses explications ? La science moderne serait-elle à même de rendre compte de la subjectivité ? Pourrait-elle orienter politiquement et moralement les sociétés ? Les scientifiques eux-mêmes sont partagés sur les réponses à ces questions.


Plus encore, la science moderne propose des réponses concernant le fonctionnement des processus naturels (comment se déroulent-ils ?). Elle peut même aller jusqu’à prétendre essayer de dégager une relation de causalité entre deux faits. Mais, elle ne peut répondre à des questions relevant du sens. Ces questions peuvent être alors considérées comme absurdes, renvoyées à une intention transcendante (religion) ou encore à l’intentionnalité humaine (philosophie).


De la fonction du conte dans les sociétés traditionnelles


Les contes populaires sont des histoires orales auxquelles il n’est pas possible d’attribuer un auteur et dont il existe de nombreuses variantes.


Si l’on prend le cas des sociétés occidentales à partir de l’époque médiévale, il est possible de nettement distinguer les contes du discours religieux chrétien. Ce qui est peut être moins claire dans des sociétés où le discours religieux s’appuie sur la production d’une mythologie.


Le conte se distingue du discours religieux tout d’abord par le fait qu’il n’a pas une prétention à la vérité. Les locuteurs populaires qui narrent les contes et ceux qui les écoutent ne pensent pas qu’il s’agit d’une histoire vraie. Seuls les enfants peuvent s’y laisser prendre. Il apparaît donc comme ayant une fonction dans l’apprentissage de la distinction entre fiction et réalité. Le conte apparaît clairement comme une fiction. Il est identifié comme une production de l’imaginaire. Il relève de ce qu’on appelle aujourd’hui la littérature orale.


Les contes font intervenir une représentation du monde qui pour la religion chrétienne, ou les religions monothéistes en générale, peuvent apparaître comme superstitieuse. Les contes, assez souvent, mettent en jeu une représentation du monde dont on peut extraire deux éléments. Le conte remet en question le dualisme entre l’être humain et les autres êtres naturels. Dans les contes, les êtres vivants - animaux ou végétaux - peuvent être doués d’intentionnalité et/ou de parole. En outre, il existe dans le conte des êtres purement fictifs et qui possèdent des capacités qui ne se trouvent pas dans la nature réelle. Ils détiennent ce que l’on appelle souvent des pouvoirs magiques. Néanmoins, il est impropre de les qualifier d’être surnaturels: ils vivent parfaitement intégrés dans la nature et semblent un produit de celle-ci. Les protagonistes ne s’étonnent pas de leur existence. On retrouve ainsi dans les contes des caractéristiques proches des mythes dans les sociétés antiques ou traditionnelles extra-européennes.


Le conte contient, sous son apparence fictive, un message qui a néanmoins un sens dans la vie sociale réelle. Il peut par exemple véhiculer un message sur le comportement que doivent adopter les filles et les femmes. Il met en valeur certaines vertus humaines. Il a donc également une portée morale.


Même si le conte populaire développe un discours normatif sur l’ordre social, il est possible de remarquer que le narration de conte est traditionnellement une fonction que peuvent s’attribuer les femmes. Exclues bien souvent de la parole religieuse et également du discours scientifique ou philosophique, la narration de conte a été pendant longtemps une activité socialement acceptée pour des femmes, en particulier des classes populaires.

Il est d’ailleurs possible de remarquer qu’à partir de l’époque moderne (XVIIe), puis en particulier au XIXe, le conte populaire oral fait l’objet d’une réappropriation par les élites lettrées masculines qui en font un objet littéraire écrit. Cette écriture du conte conduit à un fixer une forme stable à la différence de la narration orale traditionnelle qui autorise de la part du conteur-se des variations personnelles.


Conclusion: Le conte populaire est un discours qui ne prétend pas à être cru au sens propre: il se présente comme une fiction. Néanmoins, il véhicule sous une forme métaphorique un message qui peut avoir une valeur de vérité. Ce message ne s’appuie pas sur les ressorts du raisonnement, mais de l’imaginaire. Le conte véhicule une vision de la place de l’être humain dans la nature: l’être humain n’occupe pas une place spécifique. Tous les êtres naturels peuvent posséder une intentionnalité: humains, animaux, végétaux, êtres magiques…. Le conte populaire véhicule une vision de l’ordre social en particulier concernant la place des femmes dans la société. Il produit également un discours moral sur les comportements qui doivent être adoptés ou les vertus qui doivent être développées. Les contes en revanche ne produisent pas une cosmogonie. Le conte populaire apparaît donc comme un discours signifiant visant à produire des manières d’être au monde, mais sans la montée en généralisation que l’on trouve aussi bien dans la religion, la philosophie ou la science.


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