Du rapport au savoir des enseignants aux pratiques pédagogiques en classe (III)

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III- Les pratiques pédagogiques à l'épreuve des inégalités sociales


Les enseignants ne doivent pas viser l'excellence seulement pour les élèves des milieux privilégiés. L'effet pygmalion positif montre que ce sont les enseignants qui ont des attentes élevées qui font le plus progresser les élèves.


1- Langage et implicites


a- Le vocabulaire 


Dès la maternelle, l'inégalité sociale entre élèves est marquée par le nombre de mots maîtrisés. Il ne s'agit pas que d'une question de lexique, mais de mémoire sémantique. Il n'est donc pas possible de faire apprendre par cœur mécaniquement un mot par jour. Il s'agit d'étoffer le vocabulaire de l'élève en contexte.


b- Les inférences 


Parmi les mauvais lecteurs, une partie sont de mauvais compreneurs. Or ces mauvais compreneurs à l'écrit l'étaient déjà à l'oral. L'enseignement dès l'école maternelle doit donc conduire à travailler la compréhension non seulement du sens explicite du texte, mais également en demandant aux élèves d'effectuer des inférences à partir des récits qu'ils ont entendus.


c- L'utilitarisme scolaire


Les études menées par l'équipe ESCOL sur le rapport au savoir des élèves montrent que les élèves des milieux populaires en situation d'échec scolaire ont un rapport utilitariste à l'école. L'école a pour fonction d'obtenir un bon emploi. Il s'agit donc d'une motivation extrinsèque. En outre, pour ces enfants, ce que l'on apprend à l'école n'a pas d'utilité pour comprendre la vraie vie.


d- Malentendus cognitifs et métacognition


Les élèves des milieux populaires en échec sont souvent dans des situations de malentendu cognitif concernant les stratégies d'apprentissage et les finalités de l'apprentissage. Il est donc nécessaire d'effectuer un apprentissage métacognitif explicite comme c'est le cas dans l'enseignement explicite. L'enseignant doit rendre explicite l'activité mentale implicite liée à des inférences ou aux stratégies de résolution de problème. Il est possible d'effectuer cet apprentissage soit par une démonstration de l'enseignant, soit entre pairs.

L'enseignant doit également prendre le temps de discuter avec les élèves sur les finalités des apprentissages et de l'école. Pour des enfants issus des classes populaires, l'école peut avoir un sens pour les aider à comprendre le monde et leur situation, les aider à acquérir une conscience sociale de leur situation.


2- Travail et pédagogie


a- Valoriser le travail scolaire


L'institution scolaire reste marquée par une idéologie du don. Certains auraient des facilités innées et il est plus glorieux d'avoir des bonnes notes en ayant l'air de ne pas travailler. La sélection à l'entrée des classes préparatoires scientifiques se fait d'ailleurs sur ce critère : il ne faut pas avoir l'air d'être à fond, il faut en avoir en réserve.


A l'inverse, nombre d'élèves se trouvent dans la situation de forçat de l'école (qui travaillent sans avoir des résultats proportionnels), soit sont des touristes (qui ont arrêtés de travailler car leur travail n'est pas récompensé). La constante macabre de la notation illustre la tendance des enseignants à classer invariablement les élèves en bons, moyens et faibles.


L'évaluation bienveillante est une évaluation qui valorise le travail et pas seulement la performance. Les appréciations doivent valoriser les points positifs et proposer des éléments d'amélioration quelque soit le niveau de l'élève (évaluation formative). En outre, le travail scolaire doit évaluer à la fois les compétences de bas niveau (la mémorisation à laquelle peut se raccrocher un élève qui a des difficultés de compréhension) et les compétences de haut niveau comme le jugement critique et la créativité.


b- Un travail intéressant


Néanmoins, effectuer un enseignement explicite ne suffit pas pour travailler les compétences de haut niveau. Il s'agit également de désaliéner le travail scolaire en proposant des travaux authentiques et significatifs. Philippe Meirieu parle de pédagogie du chef d'œuvre.

Nombre d'élèves dans le système scolaire finissent par perdre leur curiosité intellectuelle et leur motivation intrinsèque parce que le travail qui leur ait proposé ne tient pas compte de leurs intérêts intellectuels et ne fait pas appel à leur créativité. Il devient ainsi normal de tricher pour avoir une bonne note et non pas de produire une œuvre dont l'on soit fier.

La pédagogie Freinet, par les conférences d'élèves ou les textes libres, invite ceux-ci à s'exprimer à l'oral comme à l'écrit sur ce qui les intéresse et à développer leur curiosité intellectuelle.


c- Le travail et le jeu


Célestin Freinet, comme Maria Montessori, affirment que ce qui est naturel à l'enfant n'est pas le jeu mais le travail. Car l'être humain n'est pas un consommateur passif mu par son plaisir. Ce qui nous permet de développer nos capacités est un travail créatif. Freinet distingue ainsi le jeu haschich, qui est une activité sans intérêt cognitif que l'enfant effectue pour passer le temps, et le jeu travail, qui est une activité qu'il effectue avec intérêt car elle lui permet de développer ses capacités.


Conclusion :


L'enseignant doit avoir le souci d'être bienveillant et exigeant. La bienveillance est nécessaire pour aider les élèves les plus faibles à progresser en leur donnant un travail qui soit adapté à leur niveau actuel pour ne pas les décourager mais qui les aide à aller au-delà. L'enseignant doit être exigeant car il doit viser l'excellence en proposant un travail qui développe l'esprit critique et la créativité.

La mise en activité la plus importante des élèves est l'activité mentale. C'est pourquoi, il doit avoir le souci de former tous les élèves par un enseignement métacognitif explicite aux stratégies d'apprentissage et favoriser la réflexion de ses élèves autour des enjeux scolaires. Car un élève ne doit pas être actif seulement lorsqu'il manipule, il doit être en activité mentale face à une lecture ou encore face à une conférence en faisant preuve d'esprit critique.

Mais cela n'est possible que si l'enseignant, en se pliant aux contraintes institutionnelles, n'en oublie pas les finalités les plus importantes de l'enseignement : développer l'esprit critique, donner l'envie à l'élève d'aller plus loin que le scolaire dans sa maîtrise des connaissances… Sans doute néanmoins que la construction par l'enseignement d'élèves excellents suppose l'existence de professeurs qui soient eux-mêmes dans la recherche de l'expertise dans leur rapport au savoir.


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