L'école et la formation à l'esprit de résistance critique



On peut attendre de l'école qu'elle constitue un lieu de formation à l'esprit critique permettant aux citoyens de résister aux diverses formes d'aliénation mentale. Pourtant est-ce réellement le cas ?


L'aliénation sociale


Avant même d'être en contact avec le système scolaire, l'enfant est soumis à des formes d' « aliénations sociales » (Lefebvre). Celles-ci consistent dans les normes de genre qui l'enferment dans des goûts et des comportements stéréotypés. L'enfant est capable d'identifier les catégories de genre dès l'âge de deux ans. L'aliénation sociale à laquelle est soumis le jeune enfant réside également par exemple dans la publicité. Dès l'âge de deux-trois ans, les enfants sont capables de reconnaître des marques publicitaires.


Le redoublement de l'aliénation sociale par l'aliénation scolaire


L'école construit un « dispositif » (Foucault) comprenant un ensemble de facteurs : programmes, rythmes scolaires, dispositif de la classe…


Les enseignants sont conduits à s'adapter à ce dispositif d'une certaine manière qui s'inscrit dans une « micropolitique » (Guattari) de la domination. Ils mettent en place différentes pratiques. Ils font par exemple semblant de ne pas voir les questions des élèves lorsque les bras se lèvent pour être certain de finir le travail à temps. Ils mettent parfois en place des exercices qui ont plus pour objet d'occuper les élèves que de leur permettre d'avancer dans les apprentissages. Le système des évaluations régulières les encouragent à demander aux élèves de l'apprentissage par coeur.


Certes les enseignants demandent aux élèves non pas seulement d'apprendre, mais de comprendre. Cependant ils se contentent bien souvent d'exercice d'application, voire d'analyse/synthèse. Mais ils ne demandent pas aux élèves, la plupart du temps, d'exercer leur esprit critique, ni de faire preuve de créativité.


Par ailleurs, nombre d'enseignants comprennent l'obligation de neutralité du fonctionnaire comme une obligation à être neutre dans leurs prises de positions et d’éviter tout sujet de discussion polémique en classe.


Le curriculum caché comme réaction des élèves à l'aliénation scolaire


Ainsi, nombre d'élèves, surtout les plus faibles, vivent l'école comme un lieu d'aliénation où : l'on demande d'écouter sagement, de copier, d'apprendre par coeur et de restituer. Ils sont d'ailleurs d'autant plus en échec qu'il ne perçoivent pas que l'école leur demande également de comprendre.


Afin de résister à cette aliénation scolaire, les élèves mettent en place une « infrapolitique » (Scott). Celle-ci passe par exemple par le « chahut anomique » (Testanière). Elle se met également en place par le « curriculum caché » (Perrenoud) : les élèves apprennent à bachoter, à avoir recours des stratégies utilitaristes, à tricher…


Les futurs enseignants ont également intériorisé ces stratégies et leurs rapport au savoir reste marqué par ce curriculum caché. Pour lutter contre cela, cela implique que la formation des enseignants comprenne une réflexion sur l'aliénation scolaire et les tactiques de résistance qui peuvent être développées.


Développer un répertoire de tactiques de résistance à l'aliénation


Les enseignants ne possèdent pas le pouvoir de transformer la forme scolaire. Mais ils peuvent développer, dans les interstices de cette forme scolaire, des tactiques de résistance à l'aliénation sociale et scolaire.


L'élaboration de ce répertoire de tactiques requiert du pragmatisme. C'est-à-dire qu'il s'agit de partir de la réalité scolaire telle qu'elle est : du dispositif scolaire et des inégalités sociales qui touchent les élèves.


Mais il s'agit de ne pas se contenter de s'adapter à la réalité. Il s'agit de ne pas oublier que l'enseignement se donne des finalités qui peuvent être : la formation à l'esprit critique, à la créativité, à l'engagement social et citoyen.


A partir de cela, il appartient à l'enseignant d’élaborer un « répertoire » (Tilly) de tactiques qui lui permettent d'essayer de réaliser ces objectifs. La formation des enseignants peut être un espace durant lequel des éléments de ce répertoire sont proposés.


Cela suppose de développer chez les élèves la « confiance en soi » (Emerson). Cette notion désigne la capacité de l'individu à vivre sans se soumettre aux normes de l'aliénation sociale. La capacité à vivre en créant son existence s'appelle l' «authenticité » (Rogers).


En particulier, ces tactiques passent par des pratiques d’empowerment mental permettant à l’élève de développer des attitudes qui lui permettent de résister à l’aliénation scolaire de son rapport au savoir.


Extrait du philosophe, Emerson, tiré de La confiance en soi:


L'homme, lui, est comme emprisonné par la conscience qu'il a de lui-même.

A peine a-t-il agi ou parlé avec éclat, qu'il devient une personne compromise, surveillée par la sympathie ou la haine de milliers d'individus dont il devra par la suite tenir compte.

La société est une compagnie d'assurance, dans laquelle les membres s'entendent pour la sureté de leur nourriture, à condition, toutefois que les mangeur leurs offrent en contrepartie leur liberté, et leur culture.

La vertu première que la société leur demande est la conformité. Elle n'aime ni les réalités, ni les créateurs ; elle aime les usages et les coutumes.

La confiance en soi est son aversion. Celui qui veut être un homme doit être un non-conformiste, car rien n'est plus sacré que l'intégrité de son propre esprit. Je suis honteux en pensant combien nous capitulons facilement avec les mots, et les signes, les associations et les institutions mortes. N'importe quel individu au maintien décent et au beau langage, m'affecte, et me commande beaucoup plus qu'il ne devrait.

Je dois marcher la tête haute, vivre de ma vie individuelle, et dire rudement la vérité sur tous les sentiers. Mon devoir, et non l'opinion des hommes, voilà ce qui me concerne. Cette règle, aussi ardue dans la vie active que dans la vie intellectuelle peut servir à faire la complète distinction entre la grandeur et la bassesse. Mais c'est la règle la plus difficile à suivre, car vous trouverez toujours des hommes pénétrés de la pensée qu'ils savent mieux que vous-même quel est votre devoir.

Dans le monde il est aisé de vivre conformément à l'opinion du monde, dans la solitude il est aisé de vivre selon sa propre opinion, mais le grand homme est celui qui, au milieu de la foule, garde avec une pleine douceur l'indépendance de la solitude.

La conformité ne rend pas les hommes faux dans tel ou tel cas particulier, mais faux dans toutes les occasions.

Leur vérité n'est pas vraie ; avec eux, deux n'est pas réellement deux, quatre n'est pas réellement quatre, si bien que chaque mot qu'ils disent nous chagrine, et que nous ne savons pas comment faire pour les mettre à la raison.

Pendant ce temps, la Nature n'est pas paresseuse, elle nous revêt de l'uniforme de prisonnier, en nous donnant l'habit du parti auquel nous appartenons. Les nerfs et le coeur de l'homme semblent desséchés, nous craignons la vérité, nous craignons la fortune, nous craignons la mort, nous nous craignons les uns les autres, nous sommes des soldats de salon.



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