Pour réfléchir sur la posture de l'enseignant à l'école, il peut être intéressant de comparer celle-ci avec l'enseignement dispensé par un expert des arts de combat.
L'enseignement : émancipation ou empowerment ?
Une des questions qui a souvent été posé dans le cadre des pédagogies de l'émancipation est le statut de l'enseignant. L'enseignant peut-il avoir pour fonction d'émanciper les élèves ? Une telle posture semble supposer à l'opposer une situation dans laquelle l'élève est posé comme un individu aliéné qu'il s'agit de libérer. Ainsi, on a pu reprocher à Paolo Frere de ne pas être parvenu, avec la notion de « conscientisation », à sortir de la posture de l'enseignant émancipateur. Ce serait au contraire Jacques Rancière avec Le maître ignorant et la figure de Jacotot qui aurait réussi le mieux à décrire ce que serait une émancipation sans un enseignant jouant le rôle dominateur de l'émancipateur.
Néanmoins, il est possible de comparer la situation de l'élève à celle de l'individu qui se rend dans une salle d'arts de combat (arts martiaux, sports de combats, self-défense…) pour apprendre à se défendre. Bien souvent, en réalité, le pratiquant sait qu'il n'aura que peu de potentialité d'utiliser cette pratique en situation, mais il cherche également à acquérir une condition physique et une confiance en soi que lui donnerait la pratique de l'une de ces activités physiques.
Le maître d'arts martiaux - l'expert en arts de combat - n'est pas là en soi pour émanciper le pratiquant. Il est là pour l'aider à augmenter ses capacités d'agir. Il l'entraîne et lui fourni des techniques qui lui permettent d'améliorer son efficacité dans des situations de combat.
Découverte ou démonstration ? - Répétition ou créativité ?
L'enseignement des arts de combat est pris entre deux méthodes. D'un côté, les pratiques traditionnelles reposent sur la répétition de techniques. Le pratiquant répète les mêmes techniques. Lorsqu'elles sont acquises, il obtient le grade supérieur et peut apprendre de nouvelles techniques.
Le point fort de cette méthode est l'automatisation qui permet d'inscrire la pratique dans la mémoire procédurale de l'élève. Mais ce type de méthode peut générer un sentiment de lassitude de la part du pratiquant. En outre, elle risque de conduire à des réponses stéréotypées ne permettant pas de gérer l'incertitude propre aux situations de combat.
Néanmoins, les travaux sur la pratique sportive montrent que la démonstration faîte par l'expert et la répétition des gestes diminuent le temps de pratique pour les assimiler.
Il est donc possible après la démonstration technique du geste par l'expert de faire pratiquer la répétition du geste technique en jouant progressivement sur les degrés d'incertitude mis en place lors de l’enchaînement. A la différence de la méthode traditionnelle, il ne s'agit pas de répéter à l'identique le même geste, mais de viser la capacité à le réutiliser dans des situations s'approchant de plus en plus d'une situation réelle.
Cette réflexion sur la pédagogie sportive utilisée dans les arts de combat peut être transposée dans le cadre de la pédagogie en classe. On peut repérer des points communs avec certains débats pédagogiques à l'école. Il ne s'agit ni d'une pédagogie expositive, ni d'une pédagogie de la découverte. Mais il s'agit tout d'abord d'une pédagogie démonstrative. Cela suppose que l'enseignant tende à être un expert dans le domaine qu'il enseigne. L'expertise n'est pas incompatible avec la polyvalence : certains arts de combat, comme le MMA par exemple, supposent une polyvalence.
En revanche, l'objectif de la formation du combattant n'est pas uniquement d'être capable de répéter de manière statique et mécanique une technique, mais d'être capable de la réutiliser de manière pertinente et efficace en contexte. Il doit donc transférer l'apprentissage d'où l'importance de varier les occasions de transfert dans des situations authentiques et significatives.
L'apprentissage stratégique, dans la pédagogie scolaire, implique également une approche démonstration suivie d'un entraînement de l'élève à transférer dans des situations authentiques. En effet, l'apprentissage stratégique a été développé à partir de la psychologie de l'expertise, secteur qui s'est appuyé sur l'étude des sportifs de haut niveau ou des joueurs d'echec par exemple.
L'apprenant authentique dans les arts martiaux
A la différence des sports de combat, qui sont orientés vers la compétition sportive, les arts martiaux impliquent plutôt une finalité qui se trouve dans le développement de soi. La sportivation de certains arts martiaux tend à les détourner de cette finalité.
Le pratiquant, qui se situe dans le « do » (la voie), ne vise pas une amélioration par rapport aux autres : l'étalon ou le critère de la progression n'est pas le niveau des autres pratiquants. Le véritable critère est la progression du pratiquant par rapport à lui-même : c'est-à-dire la différence entre son niveau initial et son niveau actuel. Le pratiquant possède avant tout des buts de maîtrise et d'accomplissement. Il apprend dans la pratique sportive à apprécier le dépassement de soi dans l'effort.
La compétition scolaire organisée par les notes et les concours tend donc à nuire à un rapport authentique au savoir qui est marqué par des buts d'accomplissement et de maîtrise. La comparaison avec la pratique sportive permet en outre de mettre en lumière que le jeu et le plaisir ne sont pas nécessairement les motivations du pratiquant, celles-ci peuvent se trouver dans la fierté produite par le dépassement de soi par l'effort.
Écrire commentaire