Anthologie de textes de Vincent Duclert, La République, ses valeurs, son école – Corpus historique, philosophique et juridique, Gallimard, 2015, 510 p.
Résumé : Une anthologie utile par le corpus qu'elle présente de textes de référence. En revanche, peu de mise en perspective, ce qui contribue à donner l'illusion d'une unité de valeurs politiques entre les auteurs de ces textes.
Vincent Duclert est historien - spécialiste de l'affaire Dreyfus - rattaché à l'EHESS, et par ailleurs Inspecteur général de l’Éducation nationale : deux raisons qui peuvent légitimer son ambition à proposer une anthologie des textes sur les valeurs de la République. Dans l'adresse au lecteur qui ouvre le volume, l'auteur annonce d'emblée son intention de viser en priorité tous les acteurs de l'école.
L'orientation institutionnelle de cette anthologie est renforcée par la présence d'une préface de l'actuelle Ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem. Cet écrit est tout entier consacré à orienter le propos sur l'école selon trois axes explicites : « L'école, un lieu profondément républicain », « L'école de la promesse d'égalité à son accomplissement : un défi pour aujourd'hui », « L'école et la transmission des valeurs de la République ». L'introduction est rédigée par Mona Ozouf, directrice de recherche au CNRS, historienne spécialiste de l'école. Son texte rappelle brièvement l'histoire conflictuelle et les orientations diverses que recouvre la notion de « République ». Il présente quelques caractéristiques de ces valeurs de la République : l'abstraction des droits, la devise « liberté, égalité, fraternité », la laïcité. La présentation de l'ouvrage par Vincent Duclert insiste sur le fait que la notion de République est un régime politique porteur de conceptions morales et donc de valeurs.
La première partie de l'ouvrage s'intitule « La République : un régime de droit et de liberté ».
Cette partie présente nombre de textes de référence liés à l'histoire constitutionnelle de la France et aux libertés publiques. On peut citer le décret d'abolition de l'esclavage, la loi sur la liberté de la presse ou encore celle sur les associations. Cette partie présente également des textes qui font référence dans l'histoire du droit social comme par exemple la loi sur les retraites ou la journée de huit heures. Un chapitre est également consacré à des textes de lutte contre les discriminations que ce soit à l'égard des femmes ou celles à caractère racial. Le dernier chapitre de cette partie présente, outre la loi de 1905 sur la laïcité, des discours de plusieurs acteurs de l'époque sur ce sujet.
La deuxième partie de l'ouvrage est intitulée « La République, un idéal démocratique, une nation politique ». On y trouve des extraits de textes de plusieurs philosophes du siècle des Lumières comme Montesquieu, Rousseau, Voltaire ou Diderot par exemple. Cette partie, autour de chapitres consacrés à la justice ou à l'histoire par exemple, rassemble des discours de grands intellectuels et d'acteurs politiques de l'histoire contemporaine. On peut citer par exemple des résistants tels que Jean Moulin ou Germaine Tillon, des hommes politiques tels que Jean Jaurès ou Pierre Mendès France.
La troisième partie, seule, est spécifiquement consacrée à l'école : « La République : une ambition pour l'école ». Le premier chapitre présente des textes jugés fondateurs de l'école française publique et de son évolution: un discours de Jules Ferry, la loi Haby de 1975 ou encore la loi de refondation de l'école de 2013. Le deuxième chapitre s’intéresse plus spécifiquement à la laïcité à l'école. Les deux chapitres suivants sont plus particulièrement tournés vers l'enseignant et l'acte d'enseigner. On y trouve par exemple le texte de Péguy faisant l'apologie des hussards noirs de la République. Le dernier chapitre est consacré à l'éducation à la citoyenneté. Si les deux précédents semblaient orientés vers l'édification des enseignants, le dernier semble davantage tourné vers les élèves. On y trouvera, à côté du célèbre poème « Liberté » d'Eluard, par exemple la dernière lettre de Manouchian à sa femme.
L'anthologie proposée par Vincent Duclert offre de très nombreux textes ayant une valeur juridique et historique. En cela, elle peut être utile à l'enseignant qui désire avoir accès sous un format compact à des textes nombreux de nature et d'époques différentes. Néanmoins, il est possible de mettre en lumière deux difficultés.
La première est d'ordre philosophique : elle déborde le cadre de cette anthologie. Elle porte sur la capacité pour un régime politique à concilier la liberté de pensée des citoyens et l'éducation à des valeurs morales. Condorcet, dans son Rapport sur l'instruction publique, écarte l'éducation morale des attributions de la République pour la réserver aux familles. Le débat n'est pas aujourd'hui en réalité clos. On peut affirmer aux enseignants à travers la « Charte de la laïcité », qu'il n'y a pas d'antinomie entre les valeurs de la République et la liberté de pensée, il n'empêche qu'en dehors de l'institution scolaire, des philosophes comme Ruwen Ogien[1] posent la question. Il est néanmoins possible de se demander si une telle interrogation serait permise à un enseignant dans le cadre de ses fonctions. De fait, l'esprit critique de l'enseignant se trouve limité par l'obligation professionnelle qui lui est faite de promouvoir les valeurs de la République. On peut certes admettre que la liberté en société n'est jamais absolue : la liberté d'expression se trouve bornée entre autres par l'interdiction des injures raciales. Néanmoins, il faut admettre que, si certaines valeurs de la République française se confondent avec ce qui est considéré comme des droits humains, il n'en va pas de même de toutes les valeurs. La laïcité à la française est présentée comme une spécificité nationale. De fait, la liberté de critique du citoyen et celle de l'enseignant, en tant que fonctionnaire d’État, ne sont pas dès lors les mêmes.
La seconde difficulté touche cette fois plus précisément au projet de cette anthologie de textes. Il s'agit du fait de proposer une anthologie de « la » République et de ses valeurs. Nous savons bien que la notion de République est plurielle. Y-a-t-il une République commune entre Jean-Luc Mélanchon et Marine Le Pen par exemple ? Est-ce la même conception de la laïcité pour Henri-Pena Ruiz et Jean Baubérot ? Ainsi, dans le cadre de cette anthologie, on peut être surpris de trouver rallié à la République un texte de Louise Michel, certes féministe, mais prônant l'abstention aux élections dans l'extrait. Peut-on vraiment croire que Louise Michel ou Bernard Lazare partagent le même idéal de régime politique que Jacques Maritain ou Raymond Aron ? Louise Michel est présentée dans l'ouvrage comme « militante » et Bernard Lazare comme « journaliste ». Les appartenances politiques des auteurs ne sont pas mentionnées : Jaurès est simplement un « homme politique ». On comprend le souci de neutralité républicaine, mais enfin cela fait perdre une partie d'intelligibilité au propos. Cela pose la difficulté là encore de vouloir faire adhérer des élèves aux valeurs de la République et d'exercer leur esprit critique. Les deux ne sont peut être pas antinomiques. Mais peut-être faut-il exercer leur esprit à distinguer pour pouvoir bien juger ? Or les textes sont présentés sans mise en perspective sur les auteurs des textes laissant au lecteur l'illusion qu'il y aurait derrière tous ces textes une même référence à « La République ».
[1] Ogien Ruwen, La guerre aux pauvres commence à l'école : sur la morale laïque, Paris, Grasset, 2013.
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