Figures de l’enseignant

 

 

Comment l’enseignant peut-il articuler des moyens

à la finalité d’un enseignement émancipateur ?

 

Finalité de l’enseignement: l’émancipation

 

L’école n’a pas pour fonction l’employabilité dans la mesure où l’école ne peut garantir un emploi aux diplômés.

 

Dans la tradition des Lumières, en suivant l’analyse de Kant, l’émancipation, c’est oser penser par soi-même en se passant d’un tuteur: c’est l’autonomie. De son côté, le mouvement ouvrier avait affirmé que l’émancipation de la classe ouvrière serait sa propre oeuvre et ne s’appuierait pas sur des éducateurs venus du dehors.

 

On peut dire que l’enseignement dispensé à l’école peut être émancipateur s’il développe les capacités à pouvoir penser et agir de manière autonome. La pédagogie institutionnelle y voit la capacité à être un citoyen capable de prendre part aux processus de décision dans une démocratie réelle.

 

Néanmoins se pose la question de savoir comment la pratique pédagogique de l’enseignant peut contribuer à réaliser une telle finalité ? Mais surtout comment peut-elle produire une telle finalité pour les élèves venant de milieux populaires ?

 

Les moyens d’enseigner

 

L’enseignant doit de ce fait proposer des outils dont l’élève peut s’emparer ou pas. Mais encore faut-il qu’il leur propose et leur donne la possibilité d’acquérir ces savoirs.

 

Pour cela, il faut que les enseignants arrêtent de présupposer chez leurs élèves des compétences qui sont construites dans les familles des classes moyennes supérieures et qui sont propres à la culture lettrée.

 

L’enseignant doit être également une figure à laquelle l’apprenant peut se confronter. Ce qui ne signifie pas nécessairement s’affronter, mais être dans une relation dialectique. La figure de Socrate incarne un exemple de ce rapport pédagogique.

 

L’enseignant doit être motivant: pour cela, il doit faire preuve d’enthousiasme dans sa pratique. On le sait l’enthousiasme est contagieux. Il doit en outre renforcer le sentiment d’efficacité personnelle des élèves.

 

L’enseignant doit être un expert: il doit présenter des connaissances structurées et proposer des explications claires. En effet, les travaux en psychologie montrent qu’il n’est pas possible de développer des compétences sans les connaissances.

 

Il doit enseigner de manière explicite les contenus, les stratégies et les finalités des apprentissages. Pour cela, il s’appuie sur le modelage favorisant l’apprentissage vicariant.

 

Il doit être un entraîneur car l’on sait que pour maîtriser les connaissances procédurales, il faut les automatiser.

 

Mais être un enseignant explicite ne suffit pas.

 

Il doit être en outre ouvert à la discussion: susciter la discussion et la réflexion, interroger le sens.

 

Il doit être une personnalité créative, c’est-à-dire ouverte aux idées nouvelles et qui a le goût de la prise de risque et une tolérance à ambiguïté.

 

C’est dans une relation dialectique à ce type d’enseignant que l’élève peut développer son esprit critique. L’esprit critique se forme dans l’interaction conflictuelle entre deux intelligences. Il ne se forme pas par de simples exercices formels de raisonnement. Il ne se forme pas par une simple confrontation à des informations sur un ordinateur. Pour la simple raison qu’un ordinateur est incapable d’esprit critique, qu’il s’agit d’une aptitude proprement humaine. C’est pourquoi penser substituer des ordinateurs à des enseignants relève de l’absurdité. De même, le conflit socio-cognitif entre pairs ne suffit pas, ce conflit doit se produire également dans la confrontation avec un esprit capable de développer les capacités de l’élève tout en se situant dans sa zone proximale de développement.

 

L’usage autonome de cet esprit critique et de la créativité de l’élève peut ensuite donner à se réaliser dans le type de travaux que propose l’enseignant qui permet aux élèves de ne pas seulement restituer un cours, mais de faire preuve d’esprit critique et de créativité.

 

Il propose aux élèves la possibilité de mener des enquêtes.

 

L’hypothèse de continuité des moyens et des fins

 

Les traditions libertaires en éducation ont mis en avant une continuité des moyens et des fins et son ancrage dans l’expérience et l’action. Il s’agit, pour que l’élève s’émancipe, qu’il use de sa propre liberté. Il doit choisir ce qu’il désire apprendre, la manière, et quand. Sous une forme moins individualiste, et plus collective, cette liberté peut prendre la forme d’une participation à des conseils qui décident de l’organisation collective des apprentissages.

 

La pensée éducative pragmatiste de John Dewey a également mis en avant la continuité des moyens et des fins et son ancrage dans l’expérience et l’action. Les élèves apprennent en menant des enquêtes qui préfigurent les recherches expérimentales en science et les enquêtes sociales du public démocratique.

 

Néanmoins, les travaux en sociologie de l’éducation mettent en lumière une difficulté: c’est l’inégale construction des compétences à l’autonomie en fonction des milieux sociaux. De ces travaux en sociologie, Bourdieu tire comme conséquence la mise en place d’une pédagogie rationnelle. Celle-ci doit se donner pour objectif une explicitation des méthodes d’apprentissage requises par l’école.

 

Une pédagogie libertaire et pragmatiste suppose la possible auto-émancipation des élèves par leur mise en activité et leurs propres expériences collectives. Mais une telle pédagogie semble aveugle aux inégalités sociales que peuvent induire ces pédagogies par l’autonomie qu’elle requièrent.

 

Les pédagogies de l’explicitation semblent au contraire avoir rapport avec une pédagogie rationnelle où l’enseignant joue un rôle d’émancipation des élèves. Il présente le savoir de manière rationnelle aux élèves. Il met la théorie avant l’action et l’expérience.

 

Néanmoins, c’est oublier que dans le raisonnement par abduction que suppose l’action pragmatiste, l’action ne se réduit pas à une expérimentation empirisme, à un simple tâtonnement aveugle. Il s’agit d’avoir acquis par l’observation des connaissances qui permettront de générer des hypothèses créatives.

 

De ce fait, on comprend le rôle que peut jouer l’apprentissage vicariant. L’apprenant observe l’enseignant, qui est un expert, réaliser l’action. Mais cette observation ne vise pas une simple imitation. Il s’agit d’observer pour extrait des règles générales de production de l’action. Mais, il ne s’agit pas dans l’action de se contenter de reproduire les règles de production observées.

 

L’apprentissage vicariant doit permettre à l’élève de produire des règles qui vont au-delà de la production de règle. C’est pourquoi là encore la capacité de l’enseignant à faire preuve d’esprit critique et de créativité est importante. Elle permet à l’apprenant de voir en quoi consiste une action créatrice.

 

De son côté, l’apprenant ne doit pas être mis en situation simplement de reproduire par des exercices ce qu’il a observé. Mais il doit être encouragé à aller plus loin que la restitution. Il doit se sentir encouragé par l’enseignant à faire preuve d’esprit critique et de créativité.

 

De fait, c’est bien dans l’expérimentation et sa propre action que l’apprenant éprouve sa capacité à l’esprit critique et à la créativité.

 

 

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