Il est possible, lorsqu’on se demande comment se forme l’esprit critique, de se demander s’il relève d’une structure logique a priori.
L’esprit critique comme usage de la raison
L’esprit critique peut être défini, si l’on suit Les lumières au XVIIIe s., par exemple Kant, comme la capacité d’utiliser sa raison pour discerner le vrai du faux.
Le courant nord américain du Critical Thinking a une approche normative de la pensée critique en la faisant reposer en grande partie sur la capacité à évaluer la validité logique de propositions argumentatives.
En Amérique du nord, la pensée critique donne lieu à des tests standardisés qui sont évalués sous formes de QCM.
De ce fait, l’esprit critique pourrait apparaître comme une capacité relevant d’une rationalité innée et universelle qui caractériserait l’esprit humain.
Critique de la rationalité de l’esprit critique
Néanmoins, une telle affirmation ne va pas sans poser problème.
Tout d’abord, il semble discutable d’identifier l’esprit critique à une simple capacité logique. En effet, si tel était le cas, on pourrait supposer que les ordinateurs seraient capables de faire preuve d’esprit critique. Mais tel n’est pas le cas. L’esprit critique ne relève pas d’une simple rationalité calculante, mais semble impliquer des capacités herméneutiques. L’esprit critique semble impliquer de pouvoir comprendre de manière signifiante des discours pour en évaluer la valeur.
En outre, il faudrait que l’on puisse établir de manière claire et certaine un contenu à ce qui caractérise l’esprit critique. Or force est de constater qu’il est plutôt possible de parler d’esprits critiques, plutôt que d’un modèle d’esprit critique.
Certes la méthode rationnelle permet d’éliminer des raisonnements et des affirmations qui sont irrationnelles.
Néanmoins, cela n’est pas si simple dans la mesure où les pouvoirs de la rationalité ont également donné lieu à une critique.
On peut ainsi constater qu’il existe différents courants qui prétendent constituer une version légitime de la critique. Il existe aussi bien un esprit critique rationaliste et réaliste qu’un esprit critique constructiviste à tendance relativiste.
L’approche pragmatique de l’esprit critique
On peut appeler approche “pragmatique” de l’esprit critique, une méthode d’étude de l’esprit critique qui ne part pas d’une approche normative, mais empirique. Elle consiste à étudier les modalités selon lesquelles, durant l’histoire, ce que l’on peut appeler une pensée critique s’est constituée.
Il s’agit en outre de se demander comment, dans les faits, se constituent des capacités critiques.
La conception normative du Critical Thinking consiste à se demander “comment doit-on procéder pour former l’esprit critique ?”. Une telle approche semble supposer que l’esprit critique existerait comme un donné et ne serait pas une construction historico-sociale. Or au vu de ce que l’histoire nous apprend sur les formes de la pensée humaine, on peut douter que ce soit le cas.
On pourrait dans ce cas là être amené à se demander si l’esprit critique n’est pas une forme propre à la modernité occidentale ou si elle existe dans d’autres contextes. On peut néanmoins s’apercevoir qu’il existe effectivement dans différentes aires civilisationneles des formes de pensée qui relèvent d’une remise en doute sceptique des évidences et des idées les plus couramment admises dans cet ensemble culturel.
Il s’agit alors de se demander empiriquement comment on a procédé pour former des personnalités critiques ?
Il est possible de remarquer qu’une pratique semble récurrente quelle que soit l’aire civilisationnelle et les époques, c’est l’interaction, la discussion….
L’esprit critique semble se former dans l’interaction entre deux intelligences dont l’une, le plus souvent, est déjà plus avancée que l’autre dans la démarche critique.
Le fait que la formation de l’esprit critique repose sur la pensée dialogique peut laisser supposer que c’est justement parce que l’esprit critique ne peut faire l’objet de procédures formalisables.
En fait, la pensée critique contient une puissance d’invention. En effet, elle implique la capacité à produire des interrogations qui n’ont jamais été produites auparavant.
On a pu chercher, comme Ennis ou Jacques Boisvert par exemple, à déterminer un ensemble de procédures et d’habiletés générales que l’on pourrait enseigner et qui permettraient de former un esprit critique.
On peut certes enseigner explicitement des stratégies critiques. Néanmoins, la limite de cette approche procédurale tient au fait que la pensée critique n’est pas qu’une pensée procédurale, mais également herméneutique.
Pour être en capacité d’exercer son esprit critique, il faut être en capacité de comprendre l’information de manière pertinente, ce qui présuppose de posséder les connaissances qui rendent l’information signifiante.
En outre, les procédures sont indissociables des connaissances. Par exemple, face à une situation qui requiert des connaissances en histoire ou en biologie, il faut également posséder les procédures critiques propres à ces disciplines. Il n’existe pas de méthode scientifique universelle qui pourrait être transférable d’un secteur à un autre.
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