Le militantisme pédagogique désigne une manière d’investir la pratique enseignante qui articule des pratiques pédagogiques et des finalités socio-politiques.
Le militantisme au niveau des pratiques pédagogiques
Le militantisme pédagogique peut néanmoins être centré principalement sur les pratiques ou relever d’orientations ambiguës.
L’éducation nouvelle est un terme qui subsume un ensemble de courants pédagogiques qui au sein de l’école ou en dehors de l’école (dans l’éducation populaire) ont tenté de renouveler les pratiques militantes en s’opposant à une forme qu’ils ont construite comme étant leur opposé, à savoir la pédagogie traditionnelle.
Cette pédagogie traditionnelle est issue de l’enseignement simultané des frères des écoles chrétiennes fondées par Jean Baptiste de La Salle.
Il s’agit donc de s’opposer à une conception de l’enseignement considérée comme issue d’une tradition religieuse qui souffrirait d’un manque de rationalité et d’une transmission verticale du savoir. Cette forme d'enseignement ne conviendrait plus au monde actuel tel qu’il existe: former les citoyens d’une démocratie, former à la rationalité scientifique, tenir compte des connaissances en psychologie des apprentissages…
Néanmoins, ce militantisme pédagogique n’est pas univoque sur le plan politique.
Il est porté par deux courants qui prétendent incarner la modernité face aux conservateurs. Il s’agit de tenants du libéralisme économique comme Spencer ou Demolins.
Il est également porté par des courants socialistes comme les penseurs libertaires, tels que Paul Robin ou Sebastien Faure, mais également des instituteurs syndicalistes comme Albert Thierry ou Celestin Freinet par exemple.
Il est donc difficile d’associer de manière simpliste une pratique pédagogique à une visée progressiste et émancipatrice. Il peut même arriver que des penseurs qui se classent très à gauche puissent défendre une pédagogie plus traditionnelle. C’est le cas par exemple de Norman Baillargeon. Celui-ci défend l’exposition rationnelle du savoir (c’est-à-dire structurée) et la valeur accordée à la culture générale et aux savoirs scientifiques dans les curricula scolaires. C’est le cas également de sociologues comme Jean-Pierre Terrail, qui reprochent aux pédagogies nouvelles de favoriser les inégalités sociales.
Le militantisme pédagogique et la transformation sociale
Parmi les pédagogues qui ont le plus lié la transformation sociale et la pédagogie se trouve Paolo Freire. Néanmoins, il faut remarquer que l’oeuvre de Paolo Freire porte essentiellement sur l’alphabétisation d’adultes en dehors de la forme scolaire. Il s’agit donc d’une pratique pédagogique qui relève de l’éducation populaire.
En France, la pédagogie Freinet, en voulant constituer une école du peuple, et la pédagogie institutionnelle autogestionnaire, en voulant proposer une éducation à la citoyenneté, relève également d’une telle orientation de transformation sociale.
Néanmoins, le développement de ces deux courants dans le cadre des écoles publiques se heurte aux contraintes de la forme scolaire. Les enseignants qui les mettent en place ont du mal à concilier les objectifs de ces pédagogies avec les objectifs institutionnels. Il se retrouvent marginalisés ou en butte à l’hostilité des parents, voir de leurs propres élèves lorsque ceux-ci sont plus âgés.
Le militantisme pédagogique micropolitique
Néanmoins, on peut se demander s’il n’est pas possible de développer des pratiques de résistance à l’ordre scolaire dans les interstices de la forme scolaire.
Il est de ce fait nécessaire de distinguer deux types de résistance: la résistance infrapolitique et la résistance micropolitique.
La micropolitique partage avec l’infrapolitique (Scott) la caractéristique de se développer dans un cadre de contrainte disciplinaire autoritaire. La notion d’infrapolitique a été développée par Scott pour décrire des formes de résistance qui se maintiennent dans des régimes autoritaires. La perspective libertaire de Scott consiste à affirmer qu’il n’existe jamais de consentement à la domination de la part des dominés.
On appellera résistance infrapolitique scolaire les formes de résistances mises en place par les élèves ou les enseignants à l’ordre disciplinaire scolaire, mais qui ne sont pas orientées par une intentionnalité militante consciente. Par exemple, la culture anti-scolaire décrite par Paul Willis, les pratiques que sont le chahut traditionnel ou anomique relèvent de cette catégorie d’infrapolitique.
En revanche, la pédagogie micropolitique consiste à mettre en place un répertoire de “tactiques” (De Certeau) visant à subvertir l’ordre scolaire et ses rapports sociaux. Cela relève des pratiques de résistance qui se mettent en place dans un cadre de contrainte disciplinaire où ne peuvent se développer des actions collectives.
La pédagogie micropolitique doit en particulier se donner comme objectif de lutter contre l’intériorisation de la soumission à l’autorité injuste, des normes de domination sociale et la reproduction des inégalités sociales dans la maîtrise des savoirs lettrés.
Conclusion:
Les pédagogies alternatives et la pédagogie micropolitique ne sont pas antinomiques. Elles sont deux modalités d’action possibles qui dépendent de l’état des rapports de force sociaux. Il est possible que dans certains espaces puisse se mettre en place une pédagogie alternative. Il est possible qu’ailleurs ne puisse se développer qu’une pédagogie micropolitique.
Annexe: Le militantisme scolaire et éducatif
La notion de militantisme scolaire permet de désigner plusieurs formes de militantisme autour de la forme scolaire tels que :
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les discours militants sur l’école dans l’espace public
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les pratiques de militantisme pédagogique
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le militantisme syndical des enseignants
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le militantisme des parents dans les associations de parents d’élèves
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le militantisme des élèves dans leurs organisations syndicales.
La notion de militantisme éducatif est plus large, elle englobe le militantisme scolaire, mais également des pratiques extrascolaires tels que:
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associations d’éducation parentales
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mouvement de descolarisation
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mouvements d’éducation populaire
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formation militante
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Toutou (lundi, 21 octobre 2019 15:12)
Je trouve cet article extrêmement pertinent et intéressant. Il est difficile cependant de concilier une pratique de l'enseignement micropolitique avec la résistance infrapolitique des élèves au quotidien. On peut avoir les meilleures intentions du monde et encore faire face à de très grandes difficultés pour que les élèves s'approprient ces dynamiques. Parce qu'enseigner la résistance à l'autorité (déjà compliquée avec la hiérarchie en place) fait face à une potentielle résistance des élèves qui ne sont pas réceptifs. Et là on n'arrive plus à gérer la classe et l'activité, tout en s'exposant à diverses contraintes.
C'est une tension que je cherche toujours à résoudre et sur laquelle je me réjouis d'échanger.