Professeur de sociologie de l'éducation à l'Université de Californie, Carlos Alberto Torres est directeur de l'UCLA Paulo Freire Institute et détenteur de la chaire d'apprentissage mondial et de l'éducation à la citoyenneté mondiale. Dans un article paru en 2016, il explicite sa conception de l'éducation à la citoyenneté mondiale.
Extraits de : Carlos Alberto Torres et Jason Nunzion Dorio, « Que faire et qu'éviter dans l'éducation pour la citoyenneté mondiale », Mars 2016, Voices Rising, n°497.
L'éducation pour la citoyenneté mondiale (ECM) est un des trois piliers de l'Initiative Mondiale « L'éducation avant tout » des Nations Unies, promu au niveau international grâce à l'appui et au travail de l'UNESCO. Les objectifs et les aspirations sont ambitieuses :
« L'éducation pour la citoyenneté mondiale (ECM) se propose de doter les apprenants de tous les âges, des valeurs, des connaissance et des compétences basées sur les droits humains, la justice sociale, la diversité, l'égalité entre hommes et femmes et le développement durable qui inclut le respect pour ces valeurs et fourni aux apprenants les moyens pour être des citoyens du monde responsables. Ce type d'éducation fourni aux apprenants les compétences et les opportunités pour exercer leurs droits et leurs obligations afin de promouvoir un monde et un futur meilleurs pour tous. L'ECM est en relation étroite avec les autres sphères, comme l'éducation aux droits humains, l'éducation pour la paix et l'éducation pour l'entente internationale, et coïncide avec les objectifs de l'éducation pour le développement soutenable. »
L'UNESCO a exhorté les agences gouvernementales nationales, les organisations transnationales et non-gouvernementales, comme également les enseignants et les chercheurs, à appliquer une diversité de politiques, de programmes et de méthodes pédagogiques afin de promouvoir et de favoriser le développement de l'éducation pour la citoyenneté mondiale.
« L'idée est non seulement de créer une nouvelle normativité mondiale pour l'éducation, mais en outre d'introduire une nouvelle perspective d'analyse ».
Cependant, le concept de citoyenneté mondiale est tellement ambigu et complexe, qu'il suppose un éclaircissement théorique de l'ECM.
Au-delà de l'apprentissage tout au long de la vie associé à l'éducation des adultes.
Durant des décennies, l'apprentissage tout au long de la vie est été intimement associé à l'éducation des adultes. L'apprentissage tout au long de la vie se concentre principalement dans le développement individuel et la croissance personnelle, y compris l'amélioration de la santé et du niveau de bien être. Cela lie explicitement l'apprentissage avec le développement des compétences salariales nécessaires pour préparer et améliorer les capacités des adultes pour l'emploi et l'innovation face aux exigences technologiques et digitales toujours changeantes d'une société de la connaissance, et pour être compétitifs dans l'économie mondiale.
Ainsi, cette conception peut englober, dans une moindre mesure, « les éléments centraux de la socialisation, de la participation et l'intégration politique des sociétés civiles et de la gouvernance démocratique, y compris les défis qui organisent l'immigration, le multiculturalisme et l'affirmative action ». Dans cette perspective de l'éducation des adultes, il faut valoriser le développement individuel d'aptitudes pour la société de la connaissance. Généralement, on néglige l'adoption d'une perspective éducative participative qui se centre sur l'individu comme décisionnaire interconnecté avec une communauté locale et mondiale plus large en ce qui concerne l'environnement et la diversité culturelle. Dans cette perspective de l'éducation des adultes basés sur l'éducation pour la citoyenneté mondiale s'entrecroise le développement individuel comme processus participatif avec le développement soutenable et l'éducation pour la paix basés sur un modèle de patrimoine mondial.
Citoyenneté mondiale et patrimoine mondial
Selon notre manière de voir, la citoyenneté mondiale se caractérise dans le fait qu'en elle se combine une compréhension des liens, des relations et des connexions d'objectifs mondiaux, avec diverses formes de participation motivées par un engagement en faveur d'un bien collectif mondial. Le patrimoine mondial est défini par trois prémisses de base.
La première est que notre planète est notre unique foyer, que nous devons la protéger au moyen d'une éducation pour la citoyenneté mondiale, basée sur le développement soutenable et passer du diagnostique et de la dénonciation à l'action et à l'implementation politique.
La deuxième, c'est que le patrimoine mondial se base sur l'idée que la paix mondiale est un bien culturel intangible de l'humanité, qui a une valeur immatérielle. Une autre face de la même idée, c'est que la paix mondiale est inextricablement liée à la préservation de l'environnement. Il est nécessaire de promouvoir simultanément deux objectifs pour garantir la survie du genre humain. La paix mondiale est un trésor de l'humanité.
La troisième est que le patrimoine mondial impose la nécessité de trouver des formules, pour que les êtres humains, qui sont tous égaux, parviennent à vivre démocratiquement dans un monde hétérogène et chaque fois plus vaste, cherchant à satisfaire des intérêts individuels et culturels, et parvenant à exercer leur droit inaliénable à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur.
« Le besoin de l'éducation pour la citoyenneté mondiale est un critère progressivement accepté à un niveau mondial, mais aussi bien son enseignement que son apprentissage, et son implémentation affrontent aujourd'hui beaucoup d'obstacles ».
Dépasser les défis
Maintenant, pourquoi les acteurs investis dans l'éducation des adultes devraient s'occuper de l'éducation pour la citoyenneté mondiale ?
Selon l'UNESCO, l'éducation pour la citoyenneté mondiale est perçue comme une intervention en lien avec :
« Une nouveau type de défis mondiaux qui requièrent certains types de réponses collectives pour trouver des solutions efficaces. Parmi elles se trouvent l'existence d'économies chaque fois plus intégrées et basées sur la connaissance, une augmentation des migrations entre pays et des zones rurales vers les zones urbaines, une croissance des inégalités, une meilleure conscience de l'importance du développement soutenable, y compris la préoccupation du changement climatique et de la dégradation environnementale, une croissance de la démographie des jeunes, l'accélération de la globalisation et de rapides avancées technologiques. Chacun de ces éléments induit des implications de grande portée et ensemble ils forment une période de transition de transcendance historique. Il est nécessaire que les systèmes éducativfs répondent à ces défis mondiaux émergents, qui requièrent une réponse collective en adoptant une vision stratégique de niveau mondial, qui ne se limite pas au niveau de chaque pays ».
Le besoin d'une éducation pour la citoyenneté mondiale est un critère progressivement accepté au niveau mondial, mais son enseignement, son apprentissage et son implémentation rencontrent beaucoup d'obstacles.
L'éducation pour la citoyenneté mondiale se voit affectée par des obstacles pratiques, comme la rareté des ressources humaines et matérielles, les restrictions imposées par les agendas, les limitations logistiques et démographiques, ou le caractère sensible de la thématique. A un niveau plus profond, il existe des limitations épistémologiques qui ou bien serviraient pour définir de manière plus précise la mission de l'ECM ou bien interviendraient pour manipuler la fonction de l'ECM jusqu'à la transformer en un outil pour la domination. Nous allons analyser avec une plus grande attention deux de ces obstacles : le néolibéralisme et le néo-impérialisme.
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La modalité de l'Unbuntu
A notre avis, la pertinence d'une conception postcoloniale de l'ECM s'enracine dans une vision de la citoyenneté mondiale qui ne se base pas uniquement dans les traditions politiques souvent intraduisibles du Nord et dans des concepts, des pratiques et des institutions de caractère eurocentrique, mais couvre la dynamique des relations, des organisation et des formations égalitaires de l'ordre social, économique et spirituel tirant leurs racine de l’intérieur du Sud. Du fait que l'ECM se fonde sur les droits humains, il est impossible de séparer les droits humains des pratiques et interventions impérialistes. Nous envisageons une ECM pour l'éducation des adultes qui est basée et contextualisée dans des espaces, mais qui prend en compte une diversité de connaissances et différentes vertus civiques qui transcendent les limites de l'action et qui s'efforcent de défendre l'humanité et le patrimoine mondial. Par exemple, l'Unbuntu est un système de valeurs collectives d'Afrique du Sud qui proclame un lien universel entre les personnes basé sur l'acte de compatir et la nature collective qui caractérise toute l'humanité. Il peut non seulement servir de base pour les programmes de l'ECM dans les communautés correspondantes, mais en outre, il a la potentialité de s'élargir aux autres habitants du monde. […]
Vers une citoyenneté mondiale, démocratique et multiculturelle
Torres soutient que « toute définition de la citoyenneté mondiale comme modèle d'intervention pour promouvoir la paix mondiale et le développement soutenable doit analyser ce qui s'est transformé dans l'assise distinctive de la globalisation : la diversité culturelle. Ainsi, la citoyenneté mondiale devrait se baser sur une définition de la citoyenneté mondiale démocratique et multiculturelle . Il est impératif que la citoyenneté mondiale ajoute à la citoyenneté nationale. Cependant, l'expansion d'une revendication universaliste de la solidarité mondiale se fonde sur le concept de citoyenneté cosmopolite. […]
Les modèles de la citoyenneté mondiale post-coloniale et contraire au néolibéralisme peuvent améliorer l'éducation inséré dans une écologie des connaissances qui propose « une philosophie antiraciste, anti-sexiste et anti-classiste basée sur la tolérance, une épistémologie de la curiosité dans le style de Freire, un refus du cynisme et des postures nihilistes, une spiritualité séculière de l'amour et un talent pour cultiver le dialogue comme méthode, mais en outre comme processus cognitif, qui constitue des vertus fondamentales pour parvenir à une citoyenneté mondiale multiculturelle, pour tendre un pont entre des modèles et des cultures fondatrices ». [...]
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