José Carlos Libâneo propose une pédagogie critico-sociale des contenus. Ce courant de la pédagogie critique brésilienne s'oppose aux approches pédagogiques constructivistes et non-directives, puero-centrées. La transmission de contenus reste une dimension prégnante dans cette approche. Mais, ces contenus sont mis en lien avec les réalités sociales des élèves.
Néanmoins, on pourrait s'interroger peut être plus que ne le fait l'auteur dans son texte sur la nature des contenus qui doivent être transmis dans le cadre d'une pédagogie critique. Cela ouvrirait la voie à une interrogation sur les contenus critiques et la manière dont les élèves se les approprient de manière critique. Ce que pose Paulo Freire avec la question du dialogue.
Rôle de l'école
La diffusion des contenus est une tâche primordiale. Non pas des contenus abstraits, mais vivants, concrets et cependant indissociables des réalités sociales. La valorisation de l'école comme instrument d'appropriation du savoir est le meilleur service que l'on rend aux intérêts populaires, car l'école peut contribuer à éliminer la sélectivité sociale et rendre la société plus démocratique. Si l'école fait partie intégrante du tout social, agir en son sein, c'est également agir dans le sens de la transformation sociale. Si ce qui définit une pédagogie critique est la conscience de ses conditionnements historico-sociaux, la fonction de la pédagogie « des contenus » est d'avancer dans le rôle de transformation de l'école, mais à partir des conditions existantes. Ainsi, la condition pour que l'école soit au service des intérêts populaires est de garantir à tous un bon enseignement. C'est l'appropriation de contenus scolaires basiques qui ont une résonance dans la vie des élèves. Comprise dans ce sens, l'éducation est une « activité de médiation au sein de la pratique sociale globale » ou encore une des médiations par laquelle l'élève, par l’entremise du professeur et de sa participation active, passe d'une expérience initialement confuse et fragmentée (syncrétique) à une vision synthétique, mais organisée et unifiée.
En résumer, l'action de l'école consiste dans la préparation de l'élève au monde adulte et à ses contradictions, en lui fournissant un instrument au moyen de l'acquisition des contenus et de la socialisation, par une participation organisée et active de la démocratisation de la société.
Contenus d'enseignement
Ce sont les contenus culturels universels qui se sont construits en domaine de connaissance relativement autonomes, incorporés par l'humanité, mais constamment réévalués face aux réalités sociales. Cependant, on accepte que les contenus sont des réalités extérieures à l'élève, qui doivent être assimilés et pas simplement réinventés. Ils ne sont pas fermés et réfractaires aux réalités sociales. Il ne suffit pas que les contenus soient enseignés, et bien enseignés, il est nécessaire qu'ils se lient, de manière indissociable, à leur signification humaine et sociale.
Cette manière de concevoir les contenus du savoir n'établit pas d'opposition entre culture érudite et culture populaire, ou spontanée, mais une relation de continuité dans laquelle, progressivement, on passe de l'expérience immédiate et désorganisée à une connaissance systématique. Non pas que la première appréhension de la réalité soit fausse, mais il est nécessaire d'aller vers une forme d'élaboration supérieure, à laquelle parvient l'élève avec l'intervention du professeur.
La posture de la pédagogie « des contenus »
En assumant une connaissance relativement autonomie – on assume le savoir comme ayant un contenu relativement objectif, mais en même temps, on introduit la possibilité d'une réévaluation critique face à ces contenus. Comme, le résume Synders, à propos du rôle de l'enseignant, il s'agit d'un côté d'obtenir un accès de l'élève aux contenus, les liant avec son expérience concrète – c'est la continuité -, mais de l'autre, de fournir des éléments d'analyse critique qui aident l'élève à dépasser l'expérience, les stéréotypes, les pressions diffuses de l'idéologie dominante – c'est la rupture-.
De ces considérations, il résulte clairement que l'on peut aller du savoir vers l'engagement politique, mais non le contraire, au risque d'écarter la propre spécificité du savoir jusqu'à tomber dans une forme de pédagogie idéologique, qui est ce que l'on critique dans la pédagogie traditionnelle et dans la pédagogie nouvelle.
Méthodes d'enseignement
La question des méthodes est soumise aux contenus : si l'objectif est de privilégier l'acquisition du savoir, et d'un savoir relié aux réalités sociales, il est nécessaire que les méthodes favorisent la correspondance des contenus avec les intérêts des élèves, et que ceux-ci puissent reconnaître dans les contenus des aides pour leurs efforts de compréhension de la réalité (pratique sociale). Ainsi, il ne s'agit ni des méthodes dogmatiques de transmission du savoir dans la pédagogie traditionnelle, ni de sa substitution par la découverte, la recherche ou la libre expression des opinions, comme si le savoir pouvait être inventé par l'enfant comme dans la conception de la pédagogie nouvelle.
Les méthodes d'une pédagogie critico-sociale des contenus ne partent pas d'un savoir artificiel, déposé de l'extérieur, ni d'un savoir spontané, mais d'une relation directe avec l'expérience de l'élève, confronté avec le savoir et en relation avec la pratique vécue par les élèves, avec les contenus proposés par le professeur, moment auquel aura lieu la « rupture » en relation avec une expérience peu élaborée. Une telle rupture est seulement possible avec l'introduction explicite, par le professeur, d'éléments nouveaux d'analyse qui doivent être appliqués critiquement dans la pratique de l'élève. En d'autres mots, la salle de classe commence par la constatation de la pratique réelle. En ayant ensuite, la conscience de cette pratique dans le sens de la référer à des mots du contenu proposé sous forme d'une confrontation entre l'expérience et l'explication du professeur. Cela veut dire : on va de l'action à la compréhension et de la compréhension à l'action, jusqu'à une synthèse, ce qui n'est autre chose que l'unité de la théorie et de la pratique.
La relation entre professeur et élève
Si, comme nous l'avons montré auparavant, la connaissance résulte d'échanges qui s'établissent dans l'interaction entre le milieu (naturel, social, culturel) et le sujet, avec le professeur ou médiateur, alors la relation consiste à fournir des conditions dans lesquelles les professeurs et les élèves peuvent collaborer pour faire progresser ces échanges.
Le rôle de l'adulte est in-substituable, mais s'accentue par la participation de l'élève au processus. Ou encore, l'élève, comme son expérience immédiate dans le contexte culturel, participe de la recherche de la vérité, en la confrontant avec des contenus et des modèles exprimés par le professeur. Mais ces efforts du professeur pour orienter, pour ouvrir des perspectives à partir des contenus, impliquent un développement en lien avec le style de vie des élèves, en ayant conscience de l'écart entre sa culture et celle des élèves. Il ne se contentera pas seulement de satisfaire les besoins et les nécessités : il cherchera à réveiller les autres besoins, à accélérer et discipliner les méthodes d'étude, à exiger un effort de l'élève, à proposer des contenus et des modèles comparatifs avec ses expériences de vie, pour que les élèves se mobilise pour une participation active.
Bien évidement, le rôle de médiation exercé autour de l'analyse des contenus exclu la non-directivité comme forme d'orientation du travail scolaire, parce que le dialogue adulte-élève est inégal. L'adulte a bien une expérience proche des réalités sociales, il dispose d'une formation (pour le moins, il doit l'avoir) pour enseigner, il possède des connaissances et il doit faire une analyse des contenus en confrontation avec les réalités sociales. La non-directivité laisse les élèves à leurs propres désirs, comme s'ils avaient une tendance spontané à atteindre les objectifs attendus par l'éducation. Nous savons que les tendance spontanées et naturelles ne sont pas tributaires des conditions de vie et du milieu. Ce n'est pas suffisant de donner de l'amour et de l'acceptation pour que les enfants de travailleurs acquièrent le désir d'étudier davantage, de progresser. L'intervention de l'enseignant est nécessaire pour amener l'élève a croire à ses possibilités et à aller plus loin, à prolonger son expérience de vie.
Présupposés de l'apprentissage
Par un effort propre, l'élève se reconnaît dans les contenus et les modèles sociaux présentés par le professeur. Ainsi, il peut élargir sa propre expérience. La connaissance nouvelle s'appuie sur une structure cognitive déjà existante, ou le professeur prouve la structure que l'élève ne possède pas encore. Le degré de développement de l'apprentissage dépend à la fois de la promptitude et de la disposition de l'élève que professeur et du contexte de la salle de classe.
Apprendre, dans le cadre de la vision de la pédagogie des contenus, c'est développer la capacité de traiter l'information et de gérer les stimuli, l'environnement en organisant les données disponibles de l'expérience. On admet le principe de l'apprentissage significatif qui suppose, comme pas initial, de vérifier ce que l'élève sait déjà. Le professeur a besoin de savoir (de comprendre) ce que les élèves disent ou font. L'élève a besoin de comprendre ce que le professeur cherche à lui dire. La transmission de connaissance est mauvaise au moment de la synthèse, quand l'élève dépasse la vision partielle et confuse et acquiert une vision plus claire et unificatrice.
Il en résulte avec clarté que le travail scolaire a besoin d'être évalué, non pas avec le jugement définitif et dogmatique du professeur, mais comme un confirmation pour l'élève de son progrès en direction des nations plus systématiques.
Manifestations dans la pratique scolaires
L'effort d'élaboration d'une pédagogie « des contenus » consiste à proposer des modèles d'enseignement tournés vers une interaction contenus-réalités sociales. Cependant, en visant à avancer en termes d'articulation du politique et du pédagogique : l'un comme extension de l'autre. L'éducation au service de la transformation des rapports de production. Bien qu'à court terme, on attend du professeur une meilleurs connaissance des contenus de sa matière et la domination des formes de transmission, afin de garantir une meilleure compétence technique, sa contribution « sera d'autant plus efficace qu'il est capable de comprendre les liens entre sa pratique et la pratique sociale globale » en ayant en vue la démocratisation de la société brésilienne, le service des couches populaires, la transformation structurelle de la société brésilienne ».
A partir des lignes générales exposées ici, nous pouvons citer l'expérience pionnière, mais plus lointaine, de l'éducateur et écrivain russe Makarenko. Parmi les auteurs actuels, nous citons B. Charlot, Manacorda, et plus spécialement G. Skyders, parmi les auteurs brésiliens qui mènent des recherches pertinentes se détache Dermeval Saviani. Peuvent être également inclus dans cette vision, les nombreux professeurs du réseau scolaire public qui s'occupent, de manière compétente, d'une pédagogie des contenus articulé avec des méthodes qui garantissent la participation de l'élève qui, souvent sans le savoir, avancent dans la démocratisation effective de l'enseignement pour les couches populaires.
Pour une pédagogie critico-sociale des contenus
Il y aura toujours des objections selon lesquels ces considérations conduisent vers des postures antidémocratiques, l'autoritarisme, à la centralisation dans le rôle du professeur et à la soumission de l'élève.
Mais qu'est-ce qui est le plus démocratique ? Exclure toute forme de direction, laisser tout à la libre expression, créer un climat amical pour alimenter de bonnes relations ou garantir aux élèves l'acquisition de contenus, l'analyse de modèles sociaux qui vont leur fournir des instruments pour lutter pour leurs droits ? Les relations non-directives ne sont-elles pas une forme subtil de formation qui mènent à des revendications sans contenu ? Les relations non-directives ne représentent-elles pas les racines des conditions sociales du monde social adulte ? Seront-elles capables de promouvoir la libération effective de l'homme de sa condition de dominé ?
Un point de vue réaliste de la relation pédagogique ne récuse par l'autorité pédagogique dans sa fonction d'enseigner. Mais l'on ne doit pas confondre l'autorité avec l'autoritarisme. Cela se manifeste par la peur de professeur de voir son autorité menacée, dans le manque de considération pour élève ou dans l'imposition de la peur comme moyen de rendre plus efficace et moins fatigant l'acte d'enseigner.
Outre cela, les dichotomies tant diffusées par certains enseignants sont inconséquentes : professeur policier/professeur peuple, entre méthodes directives et méthodes non-directives, entre enseignement centré sur le professeur et enseignement centré sur l'élève. En adoptant de telle dichotomies, on affaibli la présence du professeur comme médiateur des contenus qu'il explicite, comme si c'était toujours des impositions dogmatiques et qu'il n'apportait jamais rien de nouveau.
Évidemment, lorsqu'on défend l'intervention de l'enseignant, on ne conclut pas à la négation de la relation professeur-élève. La relation pédagogique est une relation avec un groupe et le climat de groupe est essentiel dans la pédagogie. Dans ce sens, les considérations formulées par la « dynamique de groupe » sont bien venues, qu'enseigne le professeur en relation avec la classe, en percevant les conflits, en sachant qu'il fait face à une collectivité et non pas avec des individus isolés, qu'il doit gagner la confiance des élèves. Cependant, plutôt que de se restreindre au malheureux travail de groupe ou de tomber dans l'illusion de l'égalité entre professeur et élèves, il s'agit de prendre en charge le groupe classe comme une collectivité où sont travaillés des modèles d'interaction avec de l'aide mutuelle, le respect vis à vis des autres, les efforts collectifs, l'autonomie dans les décisions, la richesse de la vie en commun et en élargissant progressivement cette notion (de collectivité) dans l'école, la ville et la société dans son ensemble.
Pour terminer, situer l'enseignement centré sur le professeur et l'enseignement centré sur l'élève comme des extrêmes opposés, c'est presque nier la pédagogie parce qu'il n'y a pas un élève ou un groupe d'élève qui apprennent tout seul, ni un professeur qui enseigne aux murs. Il y a une confrontation de l'élève entre sa culture et l'héritage culturel de l'humanité, entre son mode de vie et les modèles sociaux désirables pour un nouveau projet de société. Et il y a un professeur qui intervient, non pas pour s'opposer aux désirs et aux besoins ou à la liberté et à l'autonomie de l'élève, mais pour l'aider à dépasser leurs besoins et en créer d'autre, pour gagner en autonomie, pour l'aider dans son effort pour distinguer la vérité de l'erreur, pour l'aider à comprendre les réalités sociales et sa propre expérience.
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