Afin de mettre en valeur la manière dont la question de l'immigration maghrébine en France a été construite comme un problème politique, en fonction d'une idéologie raciste, nous allons comparer cette question avec l'immigration portugaise en France.
La question de l'éloignement culturel relativement à la société française
Les sociologues Abdelmalek Sayad (dans des textes réunis dans l'ouvrage Les enfants de l'immigration et l'école) et Albano Cordeiro (1) affirment tous les deux que les immigrés issus du Maghreb sont plus proches de la culture française du fait de l'histoire de la colonisation que les immigrés portugais.
Pourtant ce sont les maghrébins qui vont être construits dans l'espace public français comme plus difficilement assimilables. Le Front national, à partir des années 1980, met au second plan l'anti-communisme, pour dans un contexte de monté du chômage, mettre en avant la question des immigrés et progressivement dans les années 1990, celle des musulmans. Cette politisation de la question de l'immigration musulmane est largement reprise par une grande partie du reste de la classe politique dans un contexte international marqué par une montée de l'islamophobie.
On pourrait ainsi affirmer que la question culturelle, et religieuse en particulier, serait un facteur déterminant pour distinguer immigration considérée comme assimilable et inassimilable. Mais c'est en réalité l'effet d'une construction dans l'espace public, d'une politisation. Ainsi, nombreux sont les immigrés issus de l'Asie du Sud-Est à avoir une autre religion que chrétienne, des minorités indiennes par exemples sont musulmanes, pourtant cela n'est jamais un fait soulevé dans l'espace public français.
Au Royaume-Uni, dans le contexte du Brexit, on a constaté une très forte recrudescence des actes xénophobes à l'encontre des minorités musulmanes et de l'immigration polonaise. Pourtant, les polonais, deuxième communauté immigrée au Royaume Uni après les indiens, sont catholiques (2). Ils constituent même une minorité qui pourrait présenter des similitudes avec l'immigration portugaise.
Les portugais constituent l'un des quatre groupes immigrés les plus représentés en France : si les immigrés constituent entre 11 % et 12 % de la population française, quatre groupes au sein de cette immigration dépassent les 10 % - les algériens, les marocains, les portugais, les sub-sahariens -. Depuis 2010, les portugais constituent de nouveau un flux d'immigration massive en France faisant de cette nationalité la plus nombreuse à immigrer en France. Pourtant, ce flux migratoire passe quasiment inaperçue auprès de l'opinion publique à l'exception de quelques articles dans la presse française en 2014 (3).
Nous allons montrer que pourtant il serait tout à fait possible de construire artificiellement un problème immigrés portugais en utilisant des critères qui sont appliqués à l'immigration maghrébine. Ainsi, en Suisse, en 2010, un rapport officiel présente les portugais comme une communauté «méconnue et qui s’intègre difficilement» (4).
Communautarisme et religion dans l'immigration portugaise en France
Plusieurs études ont souligné que dans les pays où une immigration portugaise est installée, les descendants privilégient une orientation des études vers des filières professionnelles. La politiste Rosita Fibbi analyse cela de la manière suivante : les portugais sont « des personnes qui résistent à notre forme d’intégration basée sur la formation » (5).
Comme l'avait souligné le sociologue Albano Cordeiro, les portugais ont constitué le plus grand mouvement associatif immigré en France. De fait, les portugais depuis les années 1970 maintiennent un mouvement associatif culturel qui leur permet d'entretenir une identité culturelle commune au sein des descendants d'immigrés issues de la deuxième et de la troisième génération. Cette culture associative se perpétue en particulier par le maintien de l'enseignement de la langue portugaise encouragé par le gouvernement portugais (6). La proximité géographique entre la France et le Portugal permet des allers/retours fréquents à l'occasion des vacances et donc le maintien des attaches des descendants d'immigrés avec le pays d'origine.
En outre, les portugais en France n'hésitent pas à faire preuve d'une pratique religieuse ostentatoire dans l'espace public. On peut le souligner avec l'organisation de procession de Notre Dame de Fatima organisées dans des villes comme Le Chesnay, près de Versailles (7).
L'affirmation identitaire des portugais descendants de l'immigration :
« A nossa raça é portuguesa »
Si l'ouvrage d'Houria Bouteldeja, Les blancs, les juifs et nous (2016), a suscité une émotion à sa parution, personne néanmoins ne s'émeut de l'affirmation dans les blogs et dans le RAP Franco-portugais d'une « race portugaise » et de la manière dont elle est exaltée.
La chercheuse Martine Fernandes a consacré un intéressant travail à l'affirmation identitaire chez les jeunes issus de l'immigration portugaise (6). Elle montre comment y est constamment mis en avant la fierté d'être portugais d'origine, voire « portugais pure souche ». Les jeunes portugais de milieu populaire rappellent dans leurs blogs comment ils sont présents partout, comment les portugais ont « envahis la France ».
Cette affirmation d'une identité portugaise va jusqu'à s'appuyer sur l'existence de la « race portugaise ». Elle voit deux origines à cette affirmation. La première provient de l'influence du RAP Chicanos auquel s'identifient les leaders de la scène RAP franco-portuguese, La Harissa : les portugais sont les « putains de latinos de l'Europe ». Ce groupe reproche ainsi au RAP français dans un titre de 2008 d'invisibiliser la condition du prolétariat blanc immigrés : « Il y a une tonne de blancs immigrés mais toi on sait bien ce que t'en penses. Black Blanc Beur! Ouais moi je suis le Portos de service je suis pas inclus dans tes discours tout comme les Asiat' et les Juifs. Rap français ». La Harissa est l'auteur par ailleurs d'un titre intitulé « Nossa raça » (2001). On peut remarquer que cette utilisation politique de la notion de race ne prend pas nécessairement un tour raciste: elle vise à visibiliser la condition de prolétariat ouvrier de l'immigration portugaise au même titre que d'autres groupes invisibilisés dans l'espace public.
Mais Martine Fernandes rappelle également comment la culture des immigrés portugais en France reste marquée par le fascisme de Salazar : Football, Fatima, Folklore. De fait, les intellectuels durant le régime de Salazar avaient développé tout un discours de célébration de la race portugaise associé aux Grandes découvertes (i.e. à la colonisation). Ainsi Fernando Pessoa écrit par référence à cela sous une forme métaphorique : « E a nossa grande Raça partirá em busca de uma Índia nova que não existe no espace » (« Et notre grande race partira à la recherche d'une inde nouvelle qui n'existe pas dans l'espace »). Cette identité raciale différente a été néanmoins davantage construite par le régime fasciste par l'identification à une histoire mythique que sur la base d'une théorie biologique pseudo-scientifique (voir à ce sujet l'usage de l'idéologie luso-tropicaliste par la fascisme portugais (8) .
Ce discours de la célébration d'une mythologie de l'identité des portugais existent encore aujourd'hui comme l'atteste la réception des travaux en génétique des populations par les médias portugais : les portugais y sont présentés comme un groupe fortement métissés avec les « maures » et les « noirs », mais également comme possédant deux gênes spécifiques qui permettent d'identifier le portugais authentique (9) . Cette fois l'identité se trouve biologisée par les recherches scientifiques.
Mais l'un des vecteurs les plus importants de l'affirmation de l'identité nationale portugaise des jeunes issus de l'immigration est le football. Il s'agit sans doute d'une des rares manifestations des portugais issus de l'immigration en France dans l'espace public dont se font l'écho les médias nationaux. Il est à cet égard significatif qu'après la victoire de l'Euro 2016 par les portugais on ait assisté à des manifestations de xénophobie en France à l'égard des portugais (10). On ne peut pas s'empêcher alors de penser aux écrits de Jean-Marie Brohm sur le football : Le football, une peste émotionnelle (2006).
Conclusion :
L'objectif de cet article n'est pas de montrer qu'il y aurait un problème portugais en France que l'on n'aurait pas encore perçu, mais de montrer comment il peut être facile de construire politiquement des problèmes là où il y en a pas. Si l'ensemble des éléments mis en valeur dans cet article sont des faits pour autant ils ne signifient pas que les portugais en France posent problèmes.
A cet égard, le Conseil de l'Europe dans un communiqué de mars 2016 met en avant la responsabilité du personnel politique français dans la construction du racisme en France : « J’en appelle en particulier aux responsables politiques pour qu’ils s’abstiennent de tenir des propos qui stigmatisent des groupes déjà vulnérables et attisent les tensions dans la société française » a déclaré le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, Thorbjørn Jagland » (11). Il fait référence en particulier aux musulmans de France.
Dans un article, le site Oumma s'interroge sur la raison de la différence de traitement entre les manifestations de liesse de la communauté portugaise lors des match de football et celle de la communauté algérienne (12). L'auteur de l'article évoque la différence liée à l'histoire coloniale : d'un côté une ex-colonie africaine de la France, de l'autre un pays européen ancienne métropole coloniale… Mais, il existe également peut être une autre raison à ce traitement différentié. La culture populaire des portugais immigrés en France reste fortement marquée, encore 40 ans après le renversement de la dictature, par l'idéologie du régime salazariste. Ces valeurs sont donc proches de celle de la droite conservatrice française. Pétain était d'ailleurs un grand admirateur de Salazar. Au contraire, l'immigration maghrébine en France était réputée par la sociologie electorale être plus proche des idées d'un vote de gauche.
(1) Cordeiro Albano, « Les portugais et les marches de 1984, 1985 », Migrations Société-revue trimestrielles du CIEMI, vol. XXVII, n° 159-160, mai-août 2015.
(2) Plusieurs articles de presse soulignent les actes xénophobes dont sont victimes les polonais après le Brexit. Voir par exemple : « Violence contre des polonais au Royaume-Uni après le vote sur le Brexit », Le Monde, 05/09/2016.
(3) « L'exode portugais », Libération, 3 février 2014. URL : http://www.liberation.fr/planete/2014/02/03/l-exode-portugais_977523
(4) Les portugais en Suisse (2010) . URL : https://www.sem.admin.ch/dam/data/sem/publiservice/publikationen/diaspora/diasporastudie-portugal-f.pdf
(5) « Avec les portugais, la Suisse a gagné à la loterie », Swissinfo.ch, 18/12/12. URL : http://www.swissinfo.ch/fre/societe/immigration-du-sud-de-l-europe_-avec-les-portugais--la-suisse-a-gagn%C3%A9-%C3%A0-la-loterie-/34185718
(6) Fernandes Martine (2007), « “Miki-le-toss ou comment repérer un guech en quelques leçons” : l’identité ethnique “tos” en France à travers les blogs de jeunes lusodescendants », Journal of Multidisciplinary International Studies, vol. 4, no 2. URL: http://epress.lib.uts.edu.au/journals/index.php/portal/article/view/521
(7). Procession Notre Dame de Fatima au Chesnay – URL : http://www.catholique78.fr/evenement/procession-de-dame-de-fatima-chesnay/
(8) Castelo Claudia, "Le luso-tropicalisme ou le colonialisme portugais sur le tard".URL: http://www.buala.org/fr/a-lire/le-luso-tropicalisme-ou-le-colonialisme-portugais-sur-le-tard
L'auteure précise: Le luso-tropicalisme "anime désormais la Communauté de Pays de Langue Portugaise et le discours politique et idéologique le plus consensuel sur la position du Portugal dans le monde. Le risque actuel est qu’il continue à être utilisé comme un dispositif rhétorique, dans une perspective acritique et immobiliste. Hier, pour légitimer le colonialisme portugais ; aujourd’hui, pour alimenter le mythe de la tolérance raciale des Portugais et même un nationalisme portugais intégrateur et universaliste, contrairement aux « mauvais »nationalismes, fermés, ethnocentriques et xénophobes".
(9) Reportage de la chaîne portugaise TVI - URL: https://www.youtube.com/watch?v=LTyC7LK32f8&t=398s
(10) « Euro 2016 : pourquoi le Portugal génère-t-il autant de commentaires ? », 03/06/16. URL : http://www.leparisien.fr/sports/football/euro-2016/euro-2016-pourquoi-le-portugal-genere-autant-de-commentaires-03-07-2016-5936079.php
(11) Communiqué de Presse, 01/03/16. URL : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/library/PressReleases/208_2016_03_01_France_fr.asp#TopOfPage
(12) Euro 2016 : Pourquoi la liesse des franco-portugais est-elle plus acceptable que ne le serait celle des franco-algériens ?, Oumma, 01/06/16 -URL :http://oumma.com/223330/euro-2016-liesse-franco-portugais-plus-acceptable-ne-
Kool Shen, rappeur d'origine franco-portugaise:
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Skid Steer Attachments (mercredi, 26 avril 2017 08:34)
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