Qu’est-ce que le féminisme décolonial ?

 

 

Le féminisme décolonial est un courant qui propose une synthèse entre la théorie de l’intersectionnalité et la théorie décoloniale. Il s’agit d’un mouvement latino-américain qui est à la fois universitaire et militant.

 

 

Le féminisme décolonial face aux limites de la théorie décolonial masculine

 

Le féminisme décolonial est une proposition théorique issue de la philosophe argentine, Maria Lugones. Elle est universitaire aux Etats-Unis où en tant que latina, elle milite également dans le mouvement des feminists of color.

 

Elle entreprend dans son oeuvre une relecture critique du penseur décolonial péruvien, Anibal Quijano. Cette auteur est le théoricien de la colonialité du pouvoir. On peut retenir quelques idées plus particulière de la pensée de Quijano. Sa théorie se veut une relecture de la modernité. Il fait rupture avec le marxisme en montrant comment le capitalisme est tributaire pour sa mise en place d’une organisation raciale de la production. D’une certaine mesure la race précède la classe. La colonialité du pouvoir désigne un certain régime de pouvoir qui s’est mis en place avec la modernité. Il s’agit d’un régime de pouvoir qui organise un système de classification raciale, de classes sociales, dans lequel s’inscrit également la production de l'État moderne et de la science moderne. La colonialité ne disparaît donc pas avec la modernité, mais constitue le régime de pouvoir dans lequel nous vivons encore actuellement.

 

La philosophe Maria Lugones est influencée outre par la pensée décoloniale, par le black feminism et par la théorie queer. Elle reproche à Quijano de ne pas assez accorder de place dans la construction de la modernité à l’inégalité homme/femme et à la sexualité. Elle développe une théorie de la colonialité du pouvoir comme un système de sexe/race. La racialisation de la main d’oeuvre coloniale s’appuie sur une construction du système de genre basé sur le dysmorphisme sexuel et l’hétérosexualité.

 

La théorie de Maria Lugones est donc une théorie intersectionnelle qui entend articuler les questions de race, de classe, de sexe, de sexualité et de colonialité. Si elle est une lectrice de Kimberle Creenshaw pour autant, elle n'adhère pas à une conception de l’intersectionnalité comme politique des identités qui se traduit dans le droit. Elle considère au contraire que son approche conduit à construire une politique de coalitions entre mouvements sociaux féministes, anti-racistes et anti-capitalistes.

 

La politique féministe décoloniale

 

Le féminisme décolonial en Amérique latine n’est donc pas qu’un mouvement théorique, il s’agit également d’un politique et social qui se situe dans la continuité du féminisme autonome (opposé en Amérique latine au féminisme institutionnalisé). Parmi ces représentantes figurent entre autre Yuderkys Espinola et Ochy Curiel. Ces mouvements sont animés par des féministes, souvent lesbiennes et par ailleurs racisées (afro ou indigène). Comme Maria Lugones, ce sont des femmes intellectuelles issues des classes populaires.

 

Les féministes décoloniales sont critiques par rapport à la politique des gouvernements de gauche populistes latino-américains:”Un des problèmes que nous rencontrons face aux différentes formes de gouvernements populistes, comme ceux que l'on a connu dans la dernière décennie dans différents pays d'Amérique latine, c'est qu'ils produisent un affaiblissement des mouvements sociaux, un dépendance à l'Etat et une politique androcentrique, qui dilue toutes les formes de radicalité, qui suspend la critique sous la logique de l'ennemi commune, et du si tu n'es pas avec nous, tu est du côté des forces ennemies qui nous attaquent". Cela signifie en peu de temps la criminalisation de la protestation et en même temps la négation et l'oubli des projets de vie de populations entières qui continuent à annihiler au nom de la nation. C'est le paradoxe de la politique que nous vivons”.

(http://iberoamericasocial.com/descolonizando-dialogo-yuderkys-espinosa-minoso-nelson-maldonado-torres/ )

 

Conclusion:

 

Le féminisme décolonial constitute en Amériques, un mouvement à la fois intellectuel et social qui croise les apports intersectionnels du féminisme africain-américain et du décolonial latino-américain.

 

Quelques textes en français sur le féminisme décolonial:

 

Falquet J., Les racines féministes et lesbiennes autonomes de la proposition décoloniale d’Abaya Yala, Contretemps (2017). URL:

https://www.contretemps.eu/racines-feministes-lesbiennes-autonomes-dabya-yala/

 

Viveros Vigoya Mara, « L’intersectionnalité au prisme du féminisme latino-américain », Raisons politiques, 2015/2 (N° 58), p. 39-54. DOI : 10.3917/rai.058.0039. URL : http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2015-2-page-39.htm

 

Maria Lugones, « Attitude joueuse, voyage d’un « monde » à d’autres et perception aimante », Les cahiers du CEDREF [En ligne], 18 | 2011. URL : http://cedref.revues.org/684

 

Curiel Ochy, “Décoloniser le féminisme: une perspective d’Amérique latine et des Caraïbes”.URL: http://verrederegles.tumblr.com/post/74838163536