Comment définir la notion de race en France ? Quelle distinction entre les explications culturalisantes et celles par les rapports sociaux de racisation ?
Eléments préliminaires définitionnels
Les notions de race et d’ethnie sont souvent définies autour de trois oppositions:
-
la race est phénotypique, l’ethnie est culturelle
-
la racisation est imposée, l’ethnicisation peut être revendiquée
-
la racisation implique des rapports sociaux, l’ethnicisation ne s’accompagne pas nécessairement de discriminations
Il est nécessaire néanmoins d’approfondir ces distinctions.
La notion de race en France et de rapports sociaux de racisation
La plupart du temps, la notion de race en France est abordée du point de vue de la légitimité de son utilisation sociologique face à l’histoire de cette notion.
Mais outre le rapport à l’histoire, se pose la question de la légitimité de cette notion dans la société française. En effet, la notion de race est utilisée de manière privilégiée dans des sociétés, comme le Brésil ou les Etats-Unis, où la société est en particulier clivée entre blancs et noirs.
L’introduction de la notion de race en France semble se justifier face aux limites des concepts utilisés classiquement par la sociologie à savoir la nationalité ou le rapport à l’immigration.
En effet, les personnes noires en France sont racialisées comme noires alors qu’elles ne peuvent avoir aucun rapport proche avec la migration (étant par exemple originaire de la France d’outre-mer). Elles ne possèdent pas non plus d’unité culturelle: en effet, le seul point commun que possèdent des personnes noires, c’est d’être qualifiées comme telles sur la base de leur phénotype.
Aux Etats-Unis ou au Brésil, la race est définie sur la base d’un phénotype. Au Canada, on parle de minorités visibles, plutôt que de race, pour parler de ces catégories. Mais, il faut bien avouer que la notion de minorités visibles n’est guère satisfaisante: en quoi une personne arabe ou latino-américaine se distingue phénotypiquement d’une personne du sud de l’Europe. Ce n’est pas toujours évident.
Si on examine les catégories de racialisation en France, on constate que ce sont principalement les catégories suivantes qui sont objets de racisme selon les études sur la question: maghrébins, noirs, roms, juifs.
Si la notion de “noirs” correspond à un phénotype, il n’en va pas de même des autres catégories. Par exemple, les personnes noires sont l’objet de discrimination sur la base de leur CV du fait de leur phénotype, tandis que les personnes maghrébines le sont sur la base de leur nom de famille.
On peut alors au contraire considérer que la racialisation consiste, non pas tant dans un phénotype, que dans un ensemble de phénomènes sociaux qui se caractérisent en particulier par des pratiques de discriminations (emploi, logement), de ségrégations (logement, emploi) qui s’accompagnent de stéréotypes négatifs, voire d’actes de violences qui s’appuient sur une identité ethno-raciales réelle ou supposée. Etre racisé, c’est donc occuper une place discriminée négativement au sein des rapports sociaux de racisation.
La racisation constitue donc un processus social qui conduit à exclure certains groupes sociaux du système de privilèges blancs. C’est le cas de ce qui se produit à l’encontre des personnes “noires”, “roms” et “arabes”. Le fait de s’afficher ostensiblement comme musulman peut conduire également à un tel état de fait.
A l’inverse, certains groupes peuvent être admis à participer des privilèges blancs, mais leur légitimité leur est néanmoins déniée. C’est le cas des juifs et des asiatiques. Leur réussite sociale, lorsqu’elle a lieu, leur vaut des formes de stigmatisation sociale. Ils peuvent alors être victimes d’actes racistes violents qui traduisent néanmoins la persistance d’une racisation. Cela fait alors apparaître leur illégitimité supposée à participer des privilèges blancs.
Il est donc possible de dire que la racisation constitue un processus social qui consiste à exclure un groupe du système de privilège racial, à savoir plus spécifiquement du privilège blanc, ou à dénier sa légitimité à participer à ce système de privilèges.
La différence entre la racisation et l’ethnicisation
De son côté, l’ethnicisation constitue un processus d’altérisation de certains groupes sociaux qui ne les excluent pas nécessairement du système de privilèges blancs, mais qui les conduit néanmoins à les essentialiser en leur attribuant des caractéristiques culturelles qui les définirait. L’ethnicisation permet d’identifier un groupe par rapport à la population nationale de manière à construire un discours stéréotypé par rapport à ce groupe.
Ce discours culturaliste essentialisant peut par exemple avoir pour conséquence de réifier la place sociale que ces groupes occupent au sein du système de privilèges blancs. Au XIXe, les bretons qui viennent travailler à Paris dans des emplois non qualifiés sont ethnicisés. Par exemple, aujourd’hui les portugais sont vus comme des maçons et des femmes de ménage. Cela traduit une réalité sociale de l’immigration portugaise, mais en même temps cela réifie cette réalité sociale et participer de sa pérennisation.
Il semble donc que l’ethnicisation est un mécanisme qui vise plutôt les groupes sociaux de la semi-périphérie, la racisation plutôt les groupes de la périphérie de l’économie monde.
L’ethnicisation donc consiste dans un processus d’essentialisation par des caractéristiques le plus souvent culturelles, mais parfois aussi physiques, de manière à réifier un groupe en le situant à une place fixe dans les rapports sociaux: sexiste, de classe sociales économique...
On peut donc dire sur le plan conceptuel tandis que l’ethnicisation participe d’une logique uniquement de réification, la racialisation participe également d’une logique de l’exclusion. Des processus d’ethnicisation peuvent être présents dans les processus de racisation. Mais la racisation tend à privilégier des dimensions biologiques plutôt que culturelles de manière à naturaliser la différence. Il peut y avoir parfois des tentatives de lier traits socio-culturels et traits physiques dans l’ethnicisation, par exemple, le maçon portugais est caricaturé comme petit de taille, avec une moustache, un mono-sourcil et particulièrement poilu. Mais, la racialisation va plus loin que l’ethnicisation dans sa logique car elle tend à légitimer un système d’exclusion et de ségrégation sociale sur une base biologique.
Etre racialisé et s’ethniciser
La racialisation est marquée le plus souvent par un acte d’imposition extérieur. Le groupe est assigné à une identité racialisée qu’il ne revendique pas et qu’on lui impose de l’extérieur. Ce groupe racisé peut être également souvent ethnicisé, mais le simple fait d’être racialisé n’induit pas nécessairement une logique de racialisation.
Dans le cas de l’ethnicisation, la relation du groupe social à son identité ethnique est plus ambivalente. Le groupe social peut refuser certains stéréotypes négatifs liés à l’ethnicisation. Mais, il peut à l’inverse revendiquer certains traits culturels pour des raisons stratégiques visant à pouvoir s’essentialiser lui-même dans une visée stratégique par exemple de manière à pouvoir constituer une diaspora ou une communauté par exemple. C’est le cas par exemple de l’immigration portugaise qui à travers un ensemble de pratiques associative maintient vivante une identité culturelle essentialisée.
Représentations culturalisantes et rapports sociaux
Enfin, l’ethnicisation repose sur une approche culturalisante, et non pas matérialiste de la réalité sociale.
Les représentations culturalisantes consistent à attribuer, non pas à des processus de stigmatisation, mais à la culture des personnes racisées, les effets du racisme. La moindre réussite scolaire, les difficultés à trouver un logement ou un emploi: la stigmatisation est alors analysée comme le fait que la culture des personnes racisées joue comme un obstacle à leur intégration sociale.
Cette conception est sous-tendue par une vision essentialisante de la culture. Les individus seraient enfermés dans leur culture d’origine. Elle ne prend pas en compte que le rapport des migrants à leurs cultures d’origine peuvent être diverses à la fois de part leur position sociale dans le pays d’origine que dans le pays d’accueil. Elle fait abstraction de la part de construction à l’oeuvre dans les cultures d’origine revendiquées par les personnes immigrées.
L’analyse en termes de rapports sociaux privilégie non pas une entrée par les cultures, mais par les rapports sociaux. Ainsi, les pratiques sexistes ne sont pas analysées comme les produits de telle ou telle culture, mais comme une structure sociale qui traverse toutes les sociétés indépendamment de leur culture.
De même, la trajectoire scolaire différenciée des élèves d’origine immigré n’est pas analysée à partir de leur supposé éloignement culturel par rapport au système scolaire français, mais comme l’effet de pratiques différenciées mises en oeuvre à l’égard de ces élèves par rapport à la population de référence: mises en place de classes “gitanes”, sur-orientation en SEGPA ou dans les filières professionnelles des garçons d’origine immigrée, ségrégation socio-spatiale des établissements scolaires, les LV2 arabes ou portugais qui conduisent à concentrer des élèves qui ont les mêmes origines migratoires...
En outre, l’analyse en termes de rapports sociaux repose sur un matérialisme épistémologique qui considère les rapports sociaux économiques comme la base du rapport social qu’il soit de classe économique, de sexe ou de racisation. De ce fait, l’histoire de la colonisation se trouve liée à ces effets sur la division internationale du travail et sur la structure des emplois dans les pays d’immigration. C’est également à partir de la place occupé par les parents dans les rapports sociaux de production ou encore leur exclusion du système productif qui éclaire en partie la trajectoire sociale des élèves dans le système scolaire: les enseignants ayant des stéréotypes sociaux-ethniques ou sociaux-raciaux des groupes migratoires qui influent inconsciemment sur leur jugements scolaires et leurs pratiques enseignantes.
La politique d’immigration choisie initiée par Nicolas Sarkozy, mais présente à un niveau plus large au sein de l’espace Schengen indique une division internationale du travail dans un contexte de chômage de masse. Il s’agit de mettre en place un double système de préférence européenne et de division sociale du travail au sein de l’espace européen. Les pays de l’Est et du Sud de l’Europe alimentent en main d’oeuvre faiblement qualifiée les pays du nord de l’Europe (1) (avec néanmoins une pérénisation de la ségrégation de l’immigration rom). Les bassins de recrutement de main d’oeuvre pour les emplois non-qualifiés se resserrent sur les pays de la semi-périphérie. A l’inverse, les immigrés des pays de la périphérie, provenant des anciens pays des Empires coloniaux, tendent à être exclus du marché du travail avec des politiques migratoires restrictives et des pratiques de discriminations à l’emploi qui aboutissent à un sur-chômage chez ces groupes. Le Brexit au Royaume Uni consiste dans une tentative de mettre à l’écart également les travailleurs non-qualifiés des pays de la semi-périphérie comme en témoigne les actes et discours de xénophobie à l’encontre des travailleurs polonais et portugais.
Conclusion:
Les rapports sociaux ethno-raciaux se traduisent par l’existence de processus et de positions sociales diverses:
-
le groupe homme blanc de classe moyenne supérieur constitue l’étalon majoritaire
-
certains groupes racisés sont socialement exclus du système de privilèges blancs. Ils sont alors victimes de processus de ségrégation sociale
-
certains groupes racisés semblent admis dans le système de privilège blanc, mais leur intégration et leur réussite sociale est en réalité considérée comme illégitime.
-
certains groupes sont socialement considérés comme blancs, mais ils sont ethnicisés et réifiés de manière à les maintenir dans les strates socialement inférieures du système de privilèges blancs.
-
Hugrée, Spire, Penissat, Les classes sociales en Europe, Marseilles, Agone, 2017.