Classes sociales et perceptions ethno-raciales

 

L’une des questions les plus intéressantes des approches “intersectionnelles” consiste à s'intéresser à l’effet du croisement des oppressions. Il s’agit ici plus exactement de s'intéresser à l’intersection des catégories ethno-raciales et de la classe sociale. Si l’articulation entre sexe et race (aux USA) et l’articulation entre classe et sexe (en France) ont été relativement bien étudiées, en revanche les liens entre la classe sociale et la racisation sont moins thématisées.

 

Classe sociale et immigration

 

Il existe un lien étroit en France entre l’immigration et la classe sociale. Si la majorité des classes populaires ne sont pas d’origine immigrée, la majorité des immigrés sont de classes populaires. C’est le cas en particulier pour les groupes les plus présents en France: les maghrébins, l’Afrique sub-saharienne et les portugais. Cela se traduit dans le langage car on utilise “immigrés” pour l’immigration économique de classe populaire. A l’inverse, on va plutôt parler d’expatriés lorsqu’ils s’agit de cadres supérieurs provenant de pays occidentaux du Nord-Ouest.

 

Pour ces trois groupes cités précedemment, être d’origine immigré en France, c’est être perçu comme de classe populaire. Mais à l’inverse, l’ascension sociale conduit dans une certaine mesure à invisibiliser l’origine ethno-raciale. Il existe un blanchiment par la classe sociale.

 

Dans les classes moyennes supérieures, il est de bon ton de ne pas parler des origines ethno-raciales des personnes et d’afficher une attitude apparemment neutre à ce propos. Il existe un “racial color blindness” à la française (un aveuglement à la couleur).

 

Pourtant les perceptions ne disparaissent pas totalement et l’on peut supposer que les préjugés peuvent continuer à rester présents, au moins dans une certaine mesure de manière inconsciente et dénié. C’est par exemple ce qu’illustre une blague sur les portugais: “Que fait une portugaise à l’Université ? Réponse: Le ménage”. Le lien entre origine ethnique et origine sociale continue à être imbriqué en dépit de l’ascension sociale.

 

Racialisation de l’immigration

 

La racialisation de l’immigration de classe populaire a été mis en valeur par Boaventura de Sousa Santos dans son analyse des pays de la semi-périphérie de l’Europe:

 

“Le sens du terme Sud est particulièrement complexe dans le cas de l’Europe. Le Sud qui s’oppose à l’Europe comme autre existe au sein comme à l’extérieur de l’Europe. [...] Le Sud à l’intérieur de l’Europe est constitué, par exemple, par les tziganes/roms, par les migrants et par les enfants d’immigrés - certains d’eux sont nés en Europe depuis plusieurs générations, détenteurs de passeports européens, sans pour autant être des “européens comme les autres”. Il existe, surtout, un autre sud à l’intérieur de l’Europe. C’est un Sud géographique, mais également appartenant au Sud métaphorique. Je me réfère aux pays du Sud de l’Europe, en particulier la Grèce, l’Espagne et le Portugal. Le mépris à l’égard des pays du Sud est historique et se trouve également documenté. Par exemple, entre le XVe siècle et le XVIIe siècle, on trouve d’innombrables narrations de voyageurs et de commerçants du nord de l’Europe qui souligne les conditions de vie précaires dans l’Europe du Sud. Ces histoires attribuent aux portugais et aux espagnols les mêmes caractéristiques que les colonisateurs portugais et espagnols attribuaient aux peuples sauvages et primitifs dans leurs colonies: les conditions de vie précaires, la paresse et la lascivité, la violence, l’affabilité, la négligence hygiénique, l’ignorance, la superstition, l’irrationalité…” (Source: http://www.boaventuradesousasantos.pt/media/Nova%20Visão%20da%20Europa_Sociologias_2016.pdf )

 

Cette analyse est partagée par Françoise Vergès qui souligne que l’Europe à partir du XVIIe siècle a surtout désigné l’Europe du Nord-Ouest. L’Europe du Sud et de l’Est ayant été exclu de ce qui définit l’Europe comme centre.

 

Cette analyse de Boaventura de Sousa Santos est illustrée aujourd’hui par la production d’un imaginaire racialisant autour de la figure du maçon portugais. Celui-ci se trouve doté de traits physiques spécifiques: petite taille, brun, moustachu, monosourcil, et d’une pilosité qui le rapproche du singe…(voir les caricatures qui circulent en ligne sur le sujet).

 

Il existe donc une racialisation différentielle en fonction que l’on appartient aux pays du Centre, de la semi-périphérie et de la périphérie. Ainsi, la trajectoire scolaire et sociale des enfants de l’immigration du sud est-asiatique pourrait être la marque de la reconnaissance sociale de leur appartenance au Centre économique.

 

Conclusion:

La combinaison des rapports sociaux de sexe et de race semble conduire à une inversion des stéréotypes de genre entre les racisants et les racisés. Le rapport social de sexe semble venir alourdir les tendances de la classe sociale: les notions de plancher collant et de plafond de verre illustrent bien ces tendances.

La relation entre rapport social de racisation et de classe sociale semble fonctionner d’une manière proche de celle qui lie classe sociale et sexe. Il existe un traitement différentié des personnes racisées en fonction de leur classe sociale. La racisation accentue les effets de la classe sociale populaire et elle limite les privilèges d’une mobilité sociale ascendante. Corrélativement, le fait d’être immigrés du pays du sud, issus des classes populaires, accentuent les effets de la racisation comme l’illustre les pays de la semi-périphérie.