L’intellectuelle chicana Gloria Anzaldua à travers les notions de conscience mestiza et de pensée frontalière a donné les éléments pour penser les notions d’alliances et de coalitions des opprimé-e-s.
Citations extraites de: Gloria Anzaldúa, « La conscience de la Mestiza. Vers une nouvelle conscience », Les cahiers du CEDREF [En ligne], 18 | 2011. URL : http://cedref.revues.org/679
La position sociale anomale de la mestiza
Bien que présentant des points communs avec la pensée de la créolité (Glissant), la notion de new mestiza et de frontière telle que développée par Gloria Anzaldua déborde la question du métissage entre les cultures.
En particulier car elle inclut non pas seulement une perspective décoloniale, mais également féministe: “ La réponse au problème entre le peuple blanc et les peuples de couleur, entre les mâles et les femelles, passe par guérir la déchirure qui est au fondement même de nos vies, de notre culture, de nos langues, de nos pensées.”
La notion de frontière permet de penser des positions sociales anomales. La mestiza de Anzaldua habite les Etats-Unis, mais elle est originaire du mexique, elle vit sur la frontière. Elle est chicana. Elle se trouve à la frontière entre le Sud et le Nord.
La mestiza est une femme, mais elle est lesbienne: “Il y a une raison pour laquelle le mestizo [métis] et le queer existent à ce moment de l’histoire et à cet endroit du continuum de l’évolution.”
La mestiza est une écrivaine et intellectuelle, mais elle vient d’une famille de paysans: « Ça a été une mauvaise année pour le maïs », dit mon frère Nune. Pendant qu’il parle, je me souviens de mon père scrutant le ciel à la recherche de la pluie qui mettrait fin à la sécheresse, levant le regard vers le ciel, jour après jour, pendant que le maïs se dessèche sur sa tige. Mon père est mort depuis vingt-neuf ans, mort d’avoir tant travaillé. L’espérance de vie d’un travailleur mexicain est de cinquante-six ans —il a vécu jusqu’à l’âge de trente-huit. Ca me choque d’être plus vieille que lui.”
La mestiza refuse l’invisibilisation de son origine liée à une communauté culturelle, mais en même temps, le fait d'être lesbienne la met à distance de cette communauté: “En tant que mestiza, je n’ai pas de pays, mon pays m’a expulsée ; pourtant tous les pays sont miens parce que je suis la sœur ou l’amante potentielle de chaque femme. (En tant que lesbienne, je n’ai pas de peuple, mon propre peuple m’a renié ; mais j’appartiens à tous les peuples car ce qu’il y a de queer en moi existe dans tous les peuples)”
Cette position de la mestiza conduit à adopter une conscience et des stratégies qui ne sont pas celles des personnes se situant dans une position sociale moins ambivalente: “La nouvelle mestiza s’en sort en développant une tolérance pour les contradictions, une tolérance pour l’ambigüité. Elle apprend à être une Indienne dans la culture mexicaine, à être Mexicaine d’un point de vue Anglo. Elle apprend à jongler avec les cultures. Elle a une personnalité plurielle, elle opère selon un mode pluraliste —rien n’est expulsé, le bon le mauvais et le laid, rien n’est rejeté, rien n’est abandonné. Non seulement elle nourrit des contradictions, mais elle transforme l’ambivalence en quelque chose d’autre”.
Position de la mestiza, alliances et coalitions.
Comme l’écrit Gloria Anzaldua: “La mestiza doit constamment sortir des formations habituelles ; passer de la pensée convergente et du raisonnement analytique qui tendent à utiliser la rationalité pour atteindre un but unique (un mode occidental), à une pensée divergente, caractérisée par un mouvement qui s’éloigne des schémas et des buts préétablis pour aller vers une perspective plus entière, qui inclue au lieu d’exclure.”
La mestiza ne peut se contenter des oppositions binaires et excluantes pour tracer ses stratégies politiques: choix excluant par exemple entre la communauté culturelle d’origine et l’identité lesbienne par exemple.
La position sociale de la mestiza lui permet au contraire de favoriser des alliances: “Suprêmes franchisseur-e-s de cultures, les homosexuel-le-s ont des liens forts avec les queers blanc-he-s, Noir-e-s, Asiatiques, Native American (Indien-ne-s de l’Amérique du Nord), Latinas et Latinos, ainsi qu’avec les queers en Italie, en Australie et sur le reste de la planète. Nous sommes de toutes les couleurs, de toutes les classes, de tous les peuples et de toutes les époques. Notre rôle est de relier les personnes les unes avec les autres —les Noir-e-s avec les Juives et les Juifs, avec les Indien-ne-s, avec les Asiatiques, avec les blanc-he-s, avec les extraterrestres. Il s’agit de transférer des idées et des informations d’une culture à l’autre. Les homosexuel-le-s de couleur ont plus de connaissance des autres cultures ; ont toujours été en première ligne (bien que quelques fois dans le placard) de toutes les luttes de libération dans ce pays ; ont souffert plus d’injustices et leur ont survécu contre toute attente”
La politique de la mestiza constitue les bases d’un nouvel internationalisme des prolétaires, des femmes, des racisées et des homosexuel-le-s.
Mais elle montre également comment le partage de la mémoire de l’histoire des luttes constitue une base intéressante pour favoriser le dialogue et la construction de coalitions: “Avant que le Chicano et le travailleur sans-papiers et le Mexicain de l’autre côté puissent se rassembler, avant que le Chicano puisse s’unir avec les Native Americans et d’autre groupes, il nous faut connaître l’histoire de leur lutte et qu’ils et elles connaissent la nôtre.”
Conclusion:
Intellectuelle issue d’une famille de paysans, chicana et lesbienne, Gloria Anzaldua théorise la mestiza comme une politique à partir des positions anomales au sein des rapports sociaux.
La politique de la mestiza montre comment la conscience mestiza est au coeur d’une politique des coalitions: “En ce qui me concerne, très personnellement, je choisis d’utiliser une partie de mon énergie pour servir de médiatrice. Je pense qu’il est nécessaire de permettre à des blanc-he-s d’être nos allié-e-s. “.
La position sociale de la mestiza constitue un espace privilégié pour penser les alliances entre racisé-e-s, queer, femmes et prolétaires.
Autres références:
Walter Mignolo , « Géopolitique de la sensibilité et du savoir. (Dé)colonialité, pensée frontalière et désobéissance épistémologique », Mouvements, 2013/1 (n° 73), p. 181-190. https://www.cairn.info/revue-mouvements-2013-1-page-181.htm