Ethnicisation de l’immigration portugaise et orientation scolaire et professionnelle

 

Cet article a pour objectif de montrer le lien qu’il existe entre l’orientation professionnelle des descendants de l’immigration portugaise et les stéréotypes ethnicisant dans l’orientation scolaire des élèves.

 

Concentration de l’emploi ou ségrégation sur le marché du travail ?

 

Les constats de l’intégration des portugais dans le marché du travail en France:

 

Cette qualification reste encore faible chez les immigrés maliens, portugais et turcs, y compris chez les jeunes. L’influence de la diaspora déjà présente en France (peu diplômée) sur les nouveaux flux migratoires originaires de ces pays joue sans doute un rôle plus prépondérant que pour d’autres origines. (...)

Etant donné le poids numérique des personnes d’origine portugaise et maghrébine dans l’emploi immigré, leur part dans la concentration du travail immigré est prépondérante qu’il s’agisse des métiers de la construction (pour les hommes), de l’hôtellerie-restauration, des activités de nettoyage et de gardiennage-sécurité ou des services à la personne où les actives portugaises (17 % de l’emploi des femmes immigrées) occupent la première place. (...) Dans les services à la personne qui concentrent le personnel féminin immigré, les employées de maison se recrutent majoritairement chez les femmes portugaises (qui sont 18 % à exercer ce métier et représentent la moitié des immigrées dans cette famille professionnelle (...)

Au niveau agrégé néanmoins, les professions d’assistante maternelle et d’aides ménagères ou à domicile, dans l’emploi immigré, sont majoritairement assurées par les trois premières nationalités d’origine de l’immigration en France : les actives portugaises, algériennes et marocaines constituent la moitié (46 % pour les aides à domicile et 50 % pour les assistantes maternelles) des femmes actives immigrées dans ces métiers. (...)

Il en va de même pour les métiers du nettoyage (agent d’entretien) (...) Seule exception européenne à cette segmentation ethnique, les immigrées portugaises sont également nombreuses (15 %) (...)

Le métier d’agent de gardiennage et de sécurité est plutôt exercé par les hommes immigrés à l’exception des femmes portugaises qui représentent 63 % des femmes immigrées dans ce métier (qui sont essentiellement gardiennes d’immeubles, concierges) (...)

Les immigrés des premières vagues d’immigration, espagnole et italienne d’une part, algérienne, marocaine et tunisienne d’autre part sont les nationalités d’origine qui connaissent la plus faible concentration de l’emploi. En dehors d’une surreprésentation qui demeure dans les métiers de la construction, y compris chez les immigrés espagnols et italiens, ainsi que dans les activités de sécurité et de nettoyage et les services de transport pour les maghrébins, la répartition de leur emploi suit celle des Français de naissance. La spécialisation des premières vagues d’immigration s’estompe donc fortement, signe d’une meilleure insertion dans le marché du travail et d’un renouvellement des flux migratoires qui ne suit pas les schémas anciens. Seule exception à cette règle, les immigrés portugais, pourtant les mieux insérés dans l’emploi (avec des taux d’activité et des taux d’emploi supérieurs à ceux des autochtones), restent extrêmement concentrés sur les métiers du bâtiment pour les hommes et les services à la personne pour les femmes. L’ancienneté de la migration n’a pas modifié les ressorts de leur insertion sur le marché du travail français. “

(2012 - URL:

http://archives.strategie.gouv.fr/cas/system/files/2012-03-13-emploietimmigration-dt.pdf )

 

On peut donc constater qu’en dépit de l’ancienneté de l’immigration, les portugais à la différence des autres immigrations européennes, mais également extra-européennes, restent très concentrés dans les secteurs d’activités qui étaient ceux occupés par les immigrés de la première génération.

 

Mais cette concentration des descendants d’immigrés portugais dans certains métiers relève-t-elle uniquement de logiques internes et du choix des familles d’origine portugaise ?

 

L’ethnicisation des métiers et le poids des stéréotypes

 

Comme l’a analysé Weden dans une étude de 2001 sur la segmentation du marché du travail, l’ethnicisation des métiers seraient liés au poids de stéréotypes historiques: "les portugais maçons… cette vision ethnicisée des métiers viendrait de stéréotypes historiques qui enfermerait les immigrés dans un rôle prédéfini" (cité in Francis Danvers, Dictionnaire de Sciences humaines).

 

On retrouve ces stéréotypes dans le rapport des enseignants aux élèves issus de l’immigration portugaise:

 

“"Ève, enseignante de mathématiques au collège, ajoute à propos de ses élèves portugais : « Ils savent qu’ils veulent travailler dans le bâtiment, etc. On va essayer de les pousser dans cette voie [professionnelle] plutôt que de les envoyer dans le général, où ils risquent de se trouver en difficulté ». Au sujet d’un collégien qui hésite entre un bep comptabilité et la plomberie, la conseillère d’orientation nous précise qu’« il sera mieux dans un chantier, parce qu’il aime trop bouger. Je le vois mal assis dans un bureau toute la journée. Et comme ça il suit les traces de son père, ce sera plus facile pour lui ». Les enfants d’origine portugaise « ne sont pas faits pour les études : ce sont surtout des bons manuels », comme leurs parents".(de Amorim Alves Sylvie, « Jeunes d’origine portugaise et maghrébine. Étude comparée des positions scolaires et des mobilisations identitaires », Migrations Société, 2010/3 (N° 129-130), p. 13-30. URL :https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2010-3-page-13.htm)

 

 

Conclusion: Comment les enseignants peuvent-ils se positionner sur le poids des stéréotypes à l'égard des élèves d'origine portugaise ?

Les familles sont souvent favorables à l'orientation vers les filières professionnelles courtes et les élèves portugais y rencontre une bonne insertion professionnelle.

Néanmoins cette trajectoire sociale ne va pas sans poser problème. Cela rappelle les choix des filles qui ne s'orientent pas vers les filières socialement plus ambitieuses car elles ont intériorisés les stéréotypes qui les détournent de ces filières.  Cette trajectoire sociale n'est pas conforme aux valeurs d'égalité sociale.

Sans forcer les familles et les élèves à faire des choix différents, il est pour autant sans doute important de sensibiliser les enseignants afin qu'ils ne renforcent pas les stéréotypes dans ce sens, mais au contraire favorisent leur déconstruction comme on le fait avec les stéréotypes à l'égard des filles. 

 

Il est possible d'ajouter que la trajectoire scolaire des garçons d'origine portugaise met en lumière un écart très important avec les filles de la même origine migratoire. On peut donc mettre en lumière que cet écart de genre entre les filles et les garçons d'origine immigrés ne tient pas à on ne sait quelle éducation africaine ou musulmane car c'est chez les descendants de l'immigration portugaise qu'elle est la plus présente.