Alors que certains groupes sont l’objet d’une survisibilisation, qui peut renforcer leur stigmatisation, d’autres sont au contraire invisibilisés.
Renforcement des logiques de visibilité et d’invisibilité par les médias.
La représentation que donnent les médias de certains groupes participe à leur médiatisation.
Le rapport d’Eric Macé sur la représentation des groupes sociaux dans les médias montre par exemple que “les cadres (dont les professions du spectacle et de l'audiovisuel) sont sur-représentés avec 61% des individus du corpus contre 15% en France” tandis que “les employés sont sous-représentés avec 16% dans le corpus et 30% en France ; - les ouvriers sont fortement sous-représentés avec 2% dans le corpus et 23% en France”.
L’homosexualité reste sous-représenté dans les médias, mais comme le souligne une étude en Belgique (en 2013): “L’homosexualité masculine reste la moins acceptée et celle ayant le plus d’impact dans l’imaginaire. Le traitement de l’actualité fait la part belle aux deux types d’homosexualité mais lorsqu’il s’agit de l’illustrer dans un divertissement, on se contente généralement de faire référence aux seuls hommes. “ Ainsi l’homosexualité masculine est perçue comme la moins tolérée, mais l’homosexualité féminine est moins représentée.
Enfin, si on prend le cas des minorités visibles: les études soulignent qu’elles sont sous-représentés. Mais qu’en outre, le problème est également à l’inverse leur sur-représentation dans des rôles négatifs. Ainsi des études canadiennes soulignent que “Lorsque les minorités visibles sont représentées dans les médias d’information, elles le sont souvent de façon déviante, personnifiant des problèmes sociaux ou une menace à l’idéal du mode de vie « canadien ».
La question de la sous visibilité se pose également pour la présence des femmes dans les médias. Le manque de femmes dans les médias est surtout marqué lorsqu’il s’agit d’inviter des expertes où elles ne sont que 20% des prises de parole en tant qu’expert dans les médias)
(Invisibilité des femmes dans les médias. URL: http://theconversation.com/invisibilite-des-femmes-dans-les-medias-comment-installer-les-conditions-du-changement-70721 )
L’invisibilisation de la classe ouvrière
La thématique de l’invisibilisation de la classe ouvrière a été en particulier mise en lumière par Stéphane Beaud et Michel Pialoux dans Retour sur la condition ouvrière. Les auteurs rappellent entre autre la sous-évaluation bien souvent par les étudiants du poids de la classe ouvrière encore aujourd’hui.
Ils analysent également les marqueurs de honte sociale qui conduisent les jeunes en lycée professionnels qui refusent de s’identifier à l’identité ouvrière en particulier en portant le bleu de travail.
A l’inverse, on peut mettre en avant la sur-visibilisation d’autres groupes sociaux en particulier lorsqu’il s’agit de mobilisations comme les “jeunes intellectuels précaire”: c’est le cas du collectif Jeudi noir, ou encore des rassemblements de Nuit Debout. Le capital culturel et les proximités sociales entre les acteurs de ces mobilisations et les précaires des milieux du journalisme favorise des réseaux de liens dans les médias.
L’invisbilisation des lesbiennes
Les lesbiennes font l’objet d’une invisibilisation qui est déjà présente du fait de l’invisibilisation des femmes par rapport aux hommes. Cette invisibilisation se redouble dans la mesure où l’invisibilité peut être une stratégie pour éviter des formes de stigmatisation et de discrimination et de violence: avoir un genre qui ne fait pas “lesbienne” ou ne pas sortir du “placard”.
La question de l’invisibilité des lesbiennes est une thématique très présente dans la littérature sur l’homosexualité féminine. Dans l’histoire des mouvements sociaux, les lesbiennes se trouvent invisibilisé au sein du mouvement féministe, puis au sein du mouvement homosexuel par les gays.
De nombreux documents ont été consacrés à cette thématique de l’invisibilité des lesbiennes: Voir par exemple:
Zeilinger Irène, Entre visbilité et invisibilité, les lesbiennes dans l’espace public
URL: pufr-editions.fr/download/352
L’invisibilité des “bons immigrés”
Certains groupes immigrés sont considérés comme “discrets” tandis que d’autres seraient trop visibles et devraient se montrer plus discrets pour pouvoir s’intégrer. L’invisibilisation peut effectivement être une stratégie pour éviter d’être confronté aux violences et aux discriminations. L’invisibilité peut également être une stratégie pour échapper aux stigmates et à la honte sociale que suppose le statut d’immigrés.
A l’inverse, les immigrés qui sont perçus comme inintégrables sont qualifiés également de “minorités visibles”: la visbilité ou l’invisibilité lié au phénotype serait alors pris comme critère pour expliquer la stigmatisation. Mais on peut se rendre compte que les personnes juives ou roms par exemple ne se distinguent pas par un phénotype spécifique ( Par ailleurs, on peut noter que le terme de minorité “invisible” aussi bien appliqué aux homosexuels).
Parmis les immigrations pour lesquels l’invisbilité est un poncif figure les asiatiques et les portugais. “La réputation d’invisibilité de l’immigration portugaise s’applique aussi aux jeunes issus de cette immigration. Le concept d’invisibilité est devenu une vulgate reprise jusque dans les journaux nationaux et par les jeunes eux-mêmes. Contrairement aux jeunes d’origine maghrébine, semblant souffrir d’un excès de visibilité, les jeunes d’origine portugaise se plaignent depuis vingt ans d’être invisibles. (Pingault Jean-Baptiste, « Jeunes issus de l'immigration portugaise : affirmations identitaires dans les espaces politiques nationaux », Le Mouvement Social, 2004/4 (no 209), p. 71-89. URL :
https://www.cairn.info/revue-le-mouvement-social-2004-4-page-71.htm )
Mais cette invisibilité repose également sur les ressorts d’une immigration qui repose sur une faible participation politique (par exemple en terme de participation aux élections locales) et un maintien dans des emplois subalternes: “La spécialisation des premières vagues d’immigration s’estompe donc fortement, signe d’une meilleure insertion dans le marché du travail et d’un renouvellement des flux migratoires qui ne suit pas les schémas anciens. Seule exception à cette règle, les immigrés portugais, pourtant les mieux insérés dans l’emploi (avec des taux d’activité et des taux d’emploi supérieurs à ceux des autochtones), restent extrêmement concentrés sur les métiers du bâtiment pour les hommes et les services à la personne pour les femmes. L’ancienneté de la migration n’a pas modifié les ressorts de leur insertion sur le marché du travail français. “
(2012 – URL :
http://archives.strategie.gouv.fr/cas/system/files/2012-03-13-emploietimmigration-dt.pdf )
Conclusion:
L’invisibilité peut constituer une stratégie pour les groupes socialement discriminés pour tenter d’échapper aux violences ou aux stigmatisations dont ils pourraient faire l’objet. Le stigmate négatif qui s’attache à leur identité peut les conduire à une honte sociale qui les dissuade de se manifester dans l’espace public afin de lutter contre les oppressions dont ils/elles sont l’objet.
En ce qui concerne les femmes, en particulier dans l’espace public, il est intéressant de remarquer que les signes qui les visibilisent tendent à les rendre plus vulnérables. Ainsi par exemple les lesbiennes “butch” ou les femmes musulmanes voilées risquent davantage de subir une agression. Tandis que celles qui ont une apparence plus neutre peuvent plus facilement échapper aux risques d’agression liés à un marqueur distinctif.