Comment tenter d’expliquer la place différentiée des immigrés, des descendants d’immigrés et des personnes racialisées en France de manière générale sur le marché du travail ? L’objectif étant de produire une explication des inégalités sociales ethno-raciales matérialistes, et non pas essentialistes sur la base du phénotype.
L’insuffisance de certaines approches
- La lecture phénotypique : elle appuie la racialisation sur le phénotype. Elle se trouve être néanmoins insuffisante pour expliquer les différences par exemple entre des personnes qui sont phénotypiquement racialisés comme les personnes noires ou asiatiques et des personnes qui ne sont pas racisées sur la base du phénotype à savoir les roms ou les maghrébins. Si le phénotype était déterminant les personnes asiatiques seraient plus racisées en France que les personnes roms.
- La lecture post-coloniale : elle permet d’expliquer la situation des personnes issues de l’immigration post-coloniale africaine, mais ne prend pas en compte les roms ou les turcs. Elle n’est pas explicative de la situation des personnes provenant de l’immigration du sud-est asiatique.
- La lecture par le racisme institutionnel d’État : elle ne permet qu’indirectement d’expliquer la distribution des groupes sur le marché du travail. Les politiques migratoires de la France peuvent limiter l’accès au marché du travail. Mais cela n’explique pas par exemple la distribution de l’ensemble des descendants d’immigrés sur le marché du travail par exemple une fois régularisés. En fait, le racisme d'Etat permet de consolider cette organisation, mais il ne la produit pas.
L’approche matérialiste
Elle s’intéresse à expliquer les phénomènes ethno-raciaux en lien avec les positions économiques des personnes dans les rapports de production. Elle ne doit pas être confondue avec l’approche marxiste classique qui ne s’intéresse pas à la racialisation du travail. L’approche matérialiste se situe plutôt dans la continuité de la géographie marxiste de la dépendance et de la pensée décoloniale d’Anibal Quijano. Dans une conception matérialiste, c’est la place des personnes dans les rapports sociaux de travail qui est explicative de l’ensemble de la structure sociale y compris de ce qui relève des dimensions politiques ou culturelles.
Les notions de centre, périphérie et semi-périphérie sont des notions à la fois géographiques et économiques. Cela correspond à des relations de dépendance économiques et d'inégalités économiques.
La racialisation du travail permet d'adopter des comportements différents à l'égard de différents segments de la main d'oeuvre. Par exemple, les politiques migratoires crée la population de sans papiers. Elle permet de répondre à la demande dans le BTP ou la restauration d'emplois faiblement payés pour lesquels on manque de main d'oeuvre et on ne veut pas augmenter les salaires.
La racialisation permet différentes pratiques comme la sur-extorction de plus-value, l'exclusion de certains groupes du marché du travail...
- Les immigrés et descendants d’immigrés de la semi-périphérie de l’Europe (Europe du Sud et Europe de l’Est) : Dans un contexte de chômage de masse, les politiques publiques migratoires européennes et françaises favorisent le recrutement d’immigrés des pays de la semi-périphérie (ex: portugais et polonais). Cela est illustré par exemple par la politique de l’immigration choisie initiée par Nicolas Sarkozy qui réserve de manière privilégiée l’immigration de travail non-qualifiée au membres de l’UE. (http://www.histoire-immigration.fr/questions-contemporaines/politique-et-immigration/qu-est-ce-que-l-immigration-choisie )
Il est possible d’illustrer aussi cela par l’appel que font le Royaume Uni et l’Allemagne à des travailleuses portugaises pour les emplois d’aide aux personnes âgées. ( Article de mars 2017: https://www.dn.pt/sociedade/interior/reino-unido-e-alemanha-querem-portugueses-a-tratar-de-idosos-5706740.html). Il s’agit de jouer sur les inégalités sociales au sein de l’Europe en incitant les portugaises à immigrer en faisant miroiter les différences de salaire entre les pays du centre et de la semi-périphérie.
Des pays de la semi-périphérie, comme le Portugal, peuvent eux-mêmes entretenir des relations de domination avec les ex-pays qu'ils ont colonisés et racialisés leur immigration post-coloniale.
Il est ainsi possible de dire que les ressortissants des pays de la semi-périphérie sont plutôt ethnicisé tandis que les ressortissants des pays de la périphérie sont plutôt racisés.
La situation des roms est particulière. L’entrée de la Roumanie dans l’UE ne se traduit par son entrée dans l’espace Schengen (http://www.liberation.fr/france/2013/09/26/roms-libre-circulation-des-contreverites_934995). Il s’agit d’éviter que les minorités roms qui sont persécutées et discriminées n’émigrent plus massivement en Europe de l’Ouest. Les roms, bien que provenant d’Europe, subissent donc une exclusion qui les places dans une situation comparable aux ressortissants des pays de la périphérie.
- L’immigration de la périphérie de l’Europe (les immigrations post-coloniales africaines, des outre-mers..) : Les immigrés et descendants d’immigrés de la périphérie de l’Europe se voient juridiquement ou sociologiquement limité leur accès au marché du travail : politiques migratoires, sur-chômage, discriminations…
L’explication de la situation des immigrés de la périphérie s’explique donc par la situation économique de forte inégalités et dépendances vis-à-vis des pays du centre du Nord-Ouest dans la continuité de l’histoire coloniale.
- L’Asie du Sud-Est : une zone en voie d’intégration dans le centre économique ? :
Que ce soit en France (ou dans d’autres pays européens) ou en Amérique du Nord, les personnes descendantes de l’immigration du sud-est asiatique connaissent des trajectoires de réussite scolaire supérieure à la population majoritaire et un accès supérieur aux professions de cadre.
Il est possible d’émettre l’hypothèse que ce phénomène n’est pas sans lien avec la manière dont le sud-est asiatique est perçue comme une zone économique capable de concurrencer économiquement le centre économique occidental.
Cela se traduit d’ailleurs aux Etats-Unis par des tentatives des élites historiques WASP de limiter l’accès des asiatiques aux grandes universités (http://etudiant.lefigaro.fr/les-news/actu/detail/article/les-asiatiques-discrimines-dans-les-universites-americaines-858/)
- Les discriminations à l’égard des religions minoritaires :
Il est possible de voir les discriminations à l’égard des religions minoritaires comme une limitation de l’accès des élites émergentes de ces groupes aux positions de pouvoir. Dans la Péninsule ibérique, les politiques de pureté du sang limitaient la mobilité sociale des nouveaux chrétiens, antérieurement juifs et musulmans.
Une étude récentes sur les discriminations montre que les personnes affichant une pratique juive ou musulmanes ont moins de chance d’être recrutées.
(http://www.institutmontaigne.org/publications/discriminations-religieuses-lembauche-une-realite)
On peut ainsi analyser la loi de 2004 ou encore la clause sur « fait religieux et entreprise » dans la loi travail comme des stratégies indirectes de limitations aux postes de pouvoir économiques à de nouvelles élites émergentes.
Conclusion:
La conception matérialiste du racisme s'appuie sur les rapport sociaux de travail. Elle part des processus d'ethno-racialisation du travail. L'ethno-racialisation du travail dans les classes populaires est incarné par la figure de l'immigré. L'immigré se distingue sur le plan économique de l'expatrié. Comme le rappel le FUIQP, selon Abdelmalek Sayad, immigrés et travailleurs sont des quasi-synonymes. Ainsi, alors que la notion de "racisés" est interclassiste, la figure de l'immigrés est intersectionnelle: elle croise la classe sociale économique et l'ethno-racialisation.