Le syndicalisme révolutionnaire et l’anarcho-syndicalisme ont mis en avant le pan-syndicalisme. Néanmoins, il est nécessaire de comprendre comment l’intersectionnalité ou l’imbrication des rapports sociaux conduit à repenser cette notion.
Le pan-syndicalisme dans le syndicalisme révolutionnaire et l’anarcho-syndicalisme classique
La conception du pan-syndicalisme signifie que le syndicat suffit à tout et se trouve capable de prendre en compte toutes les questions sociales qui peuvent se poser. Traditionnellement, le pan-syndicalisme a signifié que le syndicat n’avait pas besoin des partis politiques pour prendre en compte l’ensemble des questions sociales.
Le pan-syndicalisme était lié à l’idée de la centralité des usines et du travail dans la transformation révolutionnaire à partir de la pratique de la grève générale comme stratégie révolutionnaire. A cela s’ajoutait que l’administration des choses devait remplacer l’administration des personnes. De fait, la politique devait disparaitre, ce qui impliquait la disparition de l’Etat et des partis politiques.
Cela étant posé, l’administration des choses, c’est-à-dire la gestion des usines et des affaires économiques en général, devait être prise en main par les travailleurs à travers leurs syndicats.
D’une limite du pan-syndicalisme classique...
Le mouvement féministe matérialiste est venu introduire une limite au pan-syndicalisme classique. En effet, la théorie ouvrière classique a été construite à partir d’une conception du travailleur qui était celle de l’ouvrier. Que ce soit Proudhon ou Marx, ils ont exclu de leur théorie du travail et de l’exploitation, le travail reproductif produit par les femmes.
Les féministes matérialistes ont mis en lumière que l’usine du mode de production capitaliste ne constituait pas le seul lieu de l’exploitation, et que l’exploitation spécifique des femmes avait pour centre l’espace domestique et donc le mode de production domestique.
De fait, la thèse selon laquelle le marché capitaliste du travail était l’unique centre de l’exploitation se trouvait donc mis à mal.
...aux limites des théories de l’intersectionnalité
Les théories de l’intersectionnalité ont pour inconvénient de ne pas nécessairement renvoyer à un soubassement théorique matérialiste. C’est pourquoi les féministes matérialistes préfèrent parler d’imbrication des rapports sociaux. L’approche matérialiste ne se centre pas sur l’exploitation du travail dans le système capitaliste, mais sur l’exploitation et la division du travail dans les différents espaces où elle peut se produire: usine, espace domestique, organisations militantes....
Une autre difficulté des approches militantes qui s’inspirent de l’intersectionnalité, c’est qu’elles peuvent avoir tendance à privilégier la lutte contre les oppressions de sexe et de race, mais en ayant davantage de difficultés à prendre en compte les questions de classe sociale. Le risque, c’est qu’alors les approches intersectionnelles se concentrent sur la promotion d’une bourgeoisie féminine ou/et racisée: c’est l’intersectionnalité telle qu’elle peut apparaitre dans les programmes de promotion de la diversité en entreprise.
Le pan-syndicalisme intersectionnel
Le pan-syndicalisme intersectionnel ne consiste pas à nier que l’exploitation et la division du travail peuvent exister en dehors des lieux de production capitalistes. Mais, il part du principe que c’est à travers la question de l’exploitation et de la division du travail dans le marché du travail capitaliste et donc à travers la lutte syndicale que la question des luttes intersectionnelles doivent être posées en priorité.
En effet, il est possible de constater que le marché du travail capitaliste permet d’aborder la lutte contre l’ensemble des oppressions. En effet, le marché du travail capitaliste distribue socialement les individus en fonction de leur classe sociale, de leur sexe, de leur origine ethno-raciale, de leur sexualité ou encore de leur religion ou de leur situation de handicap.
De fait, en fonction de leur position dans les rapports sociaux, les individus subissent: de la reproduction sociale, du sur-chomage, des discriminations à l’embauche, de l’inégalité salariale, de la ségrégation professionnelle, le plancher collant ou le plafond de verre…
Plusieurs études se sont intéressées ces dernières années à montrer non seulement pour les personnes de classes populaires ou les femmes, mais également pour les personnes ethno-racialisées, pour les personnes LGBT, pour les personnes juives ou musulmanes, en situation de handicap…. comment le marché du travail produit des inégalités et des discriminations.
Appréhender l’intersectionnalité des rapports sociaux à travers le marché du travail capitaliste, comme peut le faire en priorité une organisation syndicale, permet de ne pas centrer l’approche intersectionnelle sur les revendications des représentants bourgeois des personnes socialement minorisées.
Cela permet de mieux prendre en compte l’intersectionnalité des revendications des personnes socialement minorisées de classes populaires.
Les personnes appartenants à la bourgeoisie intellectuelle précarisée peuvent s’allier aux classes populaires, mais pour autant elles ne constituent pas le centre de gravité de la lutte des classes car elles ne constituent pas le groupe le plus socialement dominé.
En une phrase, il est donc possible de souligner que le rôle du pan-syndicalisme intersectionnel est de lutter en priorité contre l’invisibilisation, au sein des approches intersectionnelles, des classes populaires et en particulier des discriminations encore plus grandes que subissent au sein des classes populaires: les femmes, les personnes racisées ou les autres groupes socialement minorisés.